Revue de presse

L. Bouvet : « Remettre en question l’équilibre de 1905, ce serait ouvrir la boîte de Pandore » (Le Figaro, 20 av. 18)

Laurent Bouvet, professeur de science politique, auteur de "La gauche Zombie" (Lemieux) et "L’insécurité culturelle" (Fayard). 23 avril 2018

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[...] S’il est bien évident que le chef de l’État n’a pas porté atteinte aux dispositions de la loi de 1905 en tant que texte juridique, on peut en revanche s’interroger sur les implications de telles assertions au regard de la laïcité comme principe. D’autant qu’au-delà de cette reconnaissance témoignée aux catholiques, c’est à l’organisation d’un islam de France que pense depuis un moment déjà le président de la République, ce qui soulève une question clef : cette organisation est-elle possible dans le cadre laïque actuel ou ne peut-elle se faire qu’en le transformant fondamentalement pour l’adapter aux défis particuliers qu’elle soulève ?

La laïcité est bien plus qu’un simple ensemble de dispositions juridiques consignées dans des lois, celle de 1905 au premier chef, ou reconnues par la Constitution. C’est un principe philosophique et politique sur lequel s’appuient notre contrat social et notre « commun » français. Produit d’une longue histoire, souvent conflictuelle, il s’inscrit à la fois dans la continuité de la construction étatique française commencée sous la monarchie et étroitement liée au catholicisme, et dans la rupture révolutionnaire, à partir du moment où non seulement l’État est laïcisé mais où la société elle-même peut se séculariser puisque, par exemple, les moments principaux de la vie du sujet devenu citoyen (naissance, mariage, mort) échappent désormais à l’Église pour devenir purement civils, permettant par là l’égalité de tous, catholiques ou non, croyants ou non.

En 1905, la laïcité trouve son point d’équilibre dans la loi dite « de séparation des Églises et de l’État ». Le législateur républicain réunit dans un même texte liberté de conscience, liberté de culte et séparation entre l’État et les cultes, l’une se nourrissant de l’autre. C’est d’ailleurs tout l’intérêt et toute la force de cette loi constitutive de notre socle républicain. Elle nous permet en effet, en tant que citoyens, d’avoir la liberté de croire ou de ne pas croire bien évidemment mais encore de changer de croyance, de cesser de croire et même de croire comme on l’entend, sans qu’aucune institution ni aucun dogme ne puissent nous en dissuader ou nous en empêcher, qu’il émane de l’État ou d’un quelconque culte. Cette liberté est protégée de toute tentation de religion officielle par la neutralité de l’État comme elle est protégée de toute pression religieuse par l’État.

C’est l’équilibre sur lequel nous vivons aujourd’hui encore - malgré quelques exceptions et aménagements locaux en Alsace-Moselle concordataire, en raison des régimes spécifiques d’outre-mer ou des modalités de participation de l’enseignement privé au service public de l’Éducation nationale qui ne remettent pas pour autant en cause le caractère laïque de la République inscrit dans notre Constitution.

Or cet équilibre pourrait être bouleversé par la nécessité de plus en plus pressante d’intégrer dans le pacte républicain un culte musulman qui n’était pas présent de manière significative sur le territoire métropolitain en 1905. Les difficultés d’organisation d’un islam de France, désormais bien connues (sources de financement, divisions intracommunautaires, multiplicité des pratiques…), sont redoublées dans le contexte, national et international, de forte radicalisation d’une partie des musulmans.

L’enjeu en la matière n’est pas, comme certains voudraient le croire, de savoir si l’islam est compatible ou non avec la République. Il est de décider, concrètement et collectivement, si l’on considère ou non que le cadre laïque est le mieux adapté au défi de l’intégration de l’islam dans la République. Ou, dit autrement, si l’on considère les Français de confession musulmane avant tout comme des citoyens, à égalité de droits et de devoirs avec tous les autres, ou bien si l’on considère ces concitoyens avant tout comme des musulmans, définis et déterminés par leur foi, et donc que l’on doit adapter notre régime de séparation aux nécessités de l’organisation de ce culte, en particulier en matière de financement public.

Cette dernière option conduirait ni plus ni moins à remettre en cause tout l’équilibre de la loi de 1905. Ce serait la fin du régime de séparation lui-même bien évidemment (les autres cultes pourraient ainsi légitimement faire valoir leur droit au financement public), mais ce serait aussi l’abaissement des conditions même de l’exercice de la liberté de conscience. Comment en effet considérer comme libre de sa conscience celui que l’on désignerait avant tout, dans sa relation à l’État, comme membre d’un culte reconnu par celui-ci ? Comment échapper, comme musulman, à l’islam de France tout en bénéficiant des conditions, financières notamment, qui lui seraient réservées ? Et qu’en serait-il de tous ceux, croyants ou non, qui ne se retrouveraient pas dans des cultes ainsi reconnus et représentés officiellement ?

Face à l’ouverture d’une telle boîte de Pandore, la France dispose avec la laïcité et sa traduction dans la loi de 1905 d’un formidable principe d’équilibre politique au regard du fait religieux contemporain, et ce dans un monde entré de plain-pied dans l’âge identitaire. Soyons-en aussi dignes que nous devons en être fiers."

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