Revue de presse

"L’affaire Céline Pina révélatrice des nouvelles fractures de la gauche" (A. Devecchio, Le Figaro, 23 sept. 15)

23 septembre 2015

"Elle a dit non. Le vendredi 11 septembre, alors que se tenait le Salon musulman du Val-d’Oise à Pontoise, Céline Pina n’a pas voulu se taire. Ce salon, en effet, accueillait des prédicateurs salafistes. Ces derniers promettaient « aux femmes coquettes et parfumées » un « châtiment atroce » et leur enjoignaient de « se voiler pour éviter le viol ici-bas, et l’enfer dans l’au-delà ». La conseillère régionale d’Île-de-France a fait connaître son indignation et a dénoncé les lâchetés et les compromissions auxquelles se livrent nombre d’élus. « Négocier avec un “barbu”, souvent sous couvert d’aide à une association dite culturelle ou sociale, peut vous permettre de fixer des quartiers entiers, a-t-elle confié à Isabelle Kersimon. C’est donc une rente de situation que l’on pérennise en servant les intérêts de ceux qui manipulent leur communauté. Ainsi, communautarisme et clientélisme sont les deux mamelles de l’électoralisme… » Céline Pina conclut : « À Pontoise, il s’agit d’un maire de droite, Philippe Houillon, mais le silence assourdissant de tous les élus du territoire est révélateur, notamment celui du député président de l’agglomération PS, Dominique Lefebvre. »

Son témoignage a connu un écho retentissant sur la Toile (plus de 200 000 visiteurs uniques sur FigaroVox), mais qui embarrasse le Parti socialiste. Quelques jours plus tard, Céline Pina a été menacée d’exclusion du PS par Rachid Temal, premier secrétaire fédéral du Val-d’Oise et tête de listeaux régionales. L’affaire pourrait passer pour un simple règlement de comptes entre élus locaux. Elle est au contraire profondément révélatrice. De la pression communautaire qui règne dans certains territoires, mais aussi de la nouvelle fracture qui divise la gauche. Au-delà des traditionnelles oppositions entre gauche socialiste et gauche sociale-libérale, entre pro et anti-européens, il y a désormais deux gauches qui s’affrontent sur la question de l’intégration. Depuis 1983, l’antiracisme était pourtant un moyen commode de rassembler le PS et de faire taire les divisions idéologiques.

À l’époque, la marche des Beurs et la lutte contre le FN avaient permis à François Mitterrand de faire oublier le tournant de la rigueur et l’abandon de la sidérurgie lorraine. Mais la profondeur de la crise de l’intégration et la montée de l’islam radical ont rebattu les cartes. Les réflexions inquiètes sur le devenir de l’identité française ne sont plus l’apanage de la droite réac. L’insécurité culturelle chère à Laurent Bouvet et Christophe Guilluy, concept autrefois tabou pour la majorité de la gauche, est désormais au cœur du débat. Le tournant a eu lieu après les attentats de janvier 2015. Ces derniers ont bousculé les certitudes jusque dans les rangs de la gauche dite morale. En martelant le fameux esprit du 11 janvier, le PS a voulu retrouver le souffle des grandes marches des années 1980. En vain. C’est dans le monde des intellectuels que les lignes ont bougé en premier. Certains ont persisté dans une fuite en avant multiculturelle et dans la mise en accusation systématique de la France. L’auteur de Pour les musulmans, Edwy Plenel, ou le démographe Emmanuel Todd dans son essai Qui est Charlie ? proclament en chœur que les responsables des attentats sont tout autant les islamistes que les islamophobes. Tandis que le premier fait meeting commun avec Tariq Ramadan, le second dépeint Mahomet comme « le personnage central de la religion d’un groupe faible et discriminé ». Pour eux, les années 1930 sont de retour et les musulmans d’aujourd’hui sont les Juifs ou les prolétaires d’hier. Mais, face à « ce parti de l’Autre » se dessine « un parti du sursaut », comme le résume Alain Finkielkraut. On y trouve Philippe Val, Caroline Fourest, Malek Boutih, qui s’attaquent frontalement à l’islam radical.

Sur le terrain politique, les lignes sont plus floues. François Hollande, fidèle à son art de la synthèse, peine à choisir son camp. Il s’abstient d’employer les mots qui fâchent. Son Premier ministre, contraint de faire le grand écart entre la ligne de Christiane Taubira et celle de Bernard Cazeneuve, oscille entre déclaration de guerre contre l’« islamo-fascisme » et dénonciation hasardeuse d’un prétendu « apartheid français ». Une ambiguïté qui repose sur un fait électoral : les minorités et leurs soutiens associatifs sont un enjeu existentiel pour le Parti socialiste. En 2012, le PS avait opté pour la stratégie du think-thank Terra nova, qui recommandait de se tourner vers les jeunes, les diplômés, les femmes et les immigrés, plutôt que vers les classes populaires. Une stratégie payante à court terme (86 % des musulmans avaient voté pour François Hollande), mais qui s’avère piégée. Une partie d’entre eux ont tourné le dos au PS après le mariage pour tous et la polémique sur les ABCD de l’égalité.

Concilier les bobos, la gauche « morale » et la frange radicale des musulmans est devenu une impossible équation. Entre les militants comme Céline Pina qui ne veulent plus se taire et le salon de la femme musulmane, il faudra choisir."

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