Revue de presse

J.-P. Le Goff : La loi “égalité et citoyenneté” ou la démocratie rêvée des anges (lefigaro.fr/vox , 12 oct. 16)

Jean-Pierre Le Goff, philosophe, sociologue, auteur de "Malaise dans la démocratie" (Stock). 21 octobre 2016

"Le projet de loi « égalité et citoyenneté » mériterait d’être étudié comme un cas d’école : il est un exemple type d’une inflation normative « abracadabrantesque » qui prétend transformer la réalité et changer les mentalités par un mélange de proclamation de grands principes et d’encadrement de la société.

Ce projet fait suite aux mesures issues des « comités interministériels à l’égalité et la citoyenneté ». Par-delà les slogans et les formules toutes faites, on peut y trouver des mesures comme l’extension du service civique, la création de la réserve citoyenne, le renforcement de la maîtrise du français tout au long de la vie, ou encore « rendre publiques les règles d’attribution des logements sociaux »... correspondant à l’objectif de « retisser les liens de la communauté nationale ». D’autres mesures préconisées, comme celle consistant à établir de façon étatique et autoritaire une mixité sociale, ne favorisent pas nécessairement le fameux « vivre-ensemble » et ont toutes les chances d’aboutir à des effets inverses. Quant à l’ « égalité réelle », elle consiste surtout à créer de nouveaux droits et à durcir les sanctions contre le racisme et les discriminations, processus qui paraît sans fin.

Les soixante mesures issues de la première réunion du comité interministériel ont été complétées lors d’une seconde réunion par cinq nouveaux blocs de mesures visant à « amplifier l’action ». Au bout du compte, la traduction législative de ces mesures s’est traduite dans un projet de loi initial de 41 articles pour aboutir, après discussions et amendements à l’Assemblée nationale, à un quintuplement de leur nombre, soit 217 articles, dont la cohérence et le rapport avec les objectifs initiaux sont pour le moins problématiques. Comment s’y retrouver dans cet agglomérat qui a des allures d’inventaire à la Prévert où se côtoient dans un même projet de loi les articles concernant l’« engagement républicain des jeunes », avec l’« autorisation d’absence pour PMA dans la fonction publique », la « protection de l’image des femmes dans les messages publicitaires », l’« expérimentation de l’utilisation systématique par les policiers et les gendarmes de caméras mobiles individuelles lors d’un contrôle d’identité », l’« action civile des associations de défense des victimes du bizutage », sans oublier la « suppression de la condition de nationalité des dirigeants des sociétés de pompes funèbres »...?

Le titre III du projet baptisé « Pour l’égalité réelle » pousse ce patchwork au plus haut point et constitue une sorte de panier de la ménagère du gauchisme culturel. On y trouve tous ses thèmes de prédilection liés aux mœurs (interdiction des agissements sexistes, insertion de la notion de genre dans le code de procédure pénale...), à l’éducation des enfants (interdiction aux parents de donner une fessée à leurs enfants), à l’antiracisme et aux discriminations qui concernent tout autant les paroles, les comportements et les actes, à la représentation de la « diversité » dans les programmes audiovisuels et les « quotas relatifs aux langues régionales pour la diffusion des œuvres musicales »...

Le plus frappant en l’affaire est l’accentuation systématique du côté répressif d’un arsenal législatif déjà bien fourni en matière de lutte contre le sexisme, le racisme, les discriminations..., comme si avant une défaite électorale annoncée, la gauche voulait créer une situation où tout retour en arrière soit rendu difficile. L’incantation de nobles valeurs et de bons sentiments s’accompagne d’une sorte de folie normative et d’une volonté renforcée de punir tout ce qui de près ou de loin est moralement incorrect au regard des nouvelles normes étatiques du bon comportement social et citoyen. Le renforcement du pouvoir des associations de se porter partie civile à la moindre occasion accroît la pression et les possibilités de stigmatisation de ceux qui contestent la légitimité d’un tel dispositif d’encadrement.

En réalité, la plupart des articles concernant l’égalité réelle ne changent pas grand-chose aux réalités qu’ils condamnent. Ce genre de loi informe et justicière n’agit pas par effet d’adhésion, mais par effet de déstabilisation. Elle encourage un processus de victimisation et de multiplication de plaintes en justice qui crée un climat de suspicion délétère. La confiance dans les rapports sociaux, le sentiment de vivre dans un climat de liberté s’étiolent et avec eux la bonne humeur et la dynamique même de la vie sociale. La société démocratique n’est pas une pâte à modeler ou un lieu d’expérimentation de moralistes-technocrates qui veulent faire le bonheur des gens malgré eux. Le pouvoir socialiste a tendance à l’oublier, tellement il semble persuadé qu’il incarne naturellement l’idée de progrès dans tous les domaines. [...]"

Lire "Jean-Pierre Le Goff : « La loi “égalité et citoyenneté”, panier de la ménagère du gauchisme culturel »".



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