Revue de presse

J. Macé-Scaron : Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? (Marianne, 24 mars 17)

"Le poste sacrifié". 3 avril 2017

Alexandra Laignel-Lavastine, Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? Cerf, 156 p., 14 €.

"Je ne vais pas parler ici de cette élection présidentielle qui désole et qui - sauf miracle - va voir le triomphe de la combine politique et le retour de cette IVe République dont la majorité de nos élites n’a jamais accepté la disparition, jugeant la Ve fondamentalement incapable de la maintenir « aux affaires ».

Il y a heureusement une actualité éditoriale qui redonne du baume au cœur. C’est le cas du court et vibrant essai d’Alexandra Laignel-Lavastine : Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ?

Peut-être se souvient-on de la polémique qui avait entouré l’année dernière une déclaration faite par Eric Zemmour à Causeur où il avait déclaré à propos des djihadistes : « Et je respecte des gens prêts à mourir pour ce en quoi ils croient - ce dont nous ne sommes plus capables. »

L’épaule fleurdelisée, le publiciste avait été traîné par les pieds devant les tribunaux pour apologie du terrorisme au risque de criminaliser un débat d’idées qui ressemble de plus en plus à une communauté réduite aux aguets. Bien entendu, quelques mois plus tard, l’affaire fut classée sans suite par le parquet de Paris, sans que ce jugement reçoive le même écho médiatique. Passons.

Le terme « respect », employé dans ce contexte, n’était pas criminel mais pour le moins baroque, incongru, voire obscène. En revanche, la seconde partie de la phrase, « ce dont nous ne sommes plus capables » , donnait à penser, car elle renvoyait directement au petit livre salubre de Philippe Muray, Chers djihadistes… - ce qui, au passage, n’était pas pour déplaire à l’équipe de Causeur. Que lit-on dans cet ouvrage publié en 2002 ? Des pages prophétiques sur notre impuissance à appréhender cet instinct de mort auquel nous sommes, aujourd’hui, de plus en plus souvent confrontés en dépit de ce qu’affirment tous les déni-oui-oui qui nous entourent.

« Qu’est-ce qu’un homme vivant ? demande Muray. C’est un homme capable de se demander pour quoi - pour quel principe, pour quelle cause, pour quel bien supérieur - il serait prêt à se battre et le cas échéant à mourir. » L’auteur estime que nous ne pouvons pas écarter d’un revers de main cette question existentielle. Il rejoint ainsi l’écrivain Ernst Jünger qui jugeait que, tôt ou tard, tout être libre pouvait se voir proposer d’occuper un « poste sacrifié » . Ce poste ne se trouvant pas sur les seuls champs de bataille, mais aussi, écrit son traducteur Julien Hervier, « au moment où les civilisations s’écroulent, après avoir laissé subsister une sécurité trompeuse ».

Qu’avons-nous appris des actes de guerre qui ont été commis dans notre pays ? Car c’est bien là la question puisque pour la première fois depuis des décennies les Français se trouvent en confrontation directe avec un ennemi qui a juré notre anéantissement : le totalitarisme islamiste. Philosophe, Alexandra Laignel-Lavastine monte - et avec quelle vigueur ! -au front et pose la question qui effraie : face à un tel enjeu, comment être à la hauteur ? Etait-ce vraiment rendre coup pour coup que de penser notre salut en adoptant l’« ubérisation de nos vies » et la politique de l’autruche, répétant sans cesse que « l’autre est innocent par essence » ? Etait-ce la riposte appropriée de s’écrier « Je suis en terrasse » après les massacres de novembre 2015 ? Etat d’urgence ? Etat de somnolence plutôt, rugit l’auteur qui décortique l’énergie déployée pour nier, discréditer, dénoncer l’immense sursaut populaire du 11 janvier avec la crapulerie de l’essai même pas transformé d’Emmanuel Todd qui voit des zombies partout sauf devant sa glace. Laignel-Lavastine tient sans trembler le registre de ces accommodements déraisonnables, de ces positions démissionnaires. Comment le politiquement correct s’est allié au politiquement abject ? Pourquoi, s’interroge-t-elle, chaque tuerie donne l’impression horrible d’effacer les autres ? Comment en finir avec ce vivre-ensemble qui prend de plus en plus la forme d’un « mourir-ensemble résigné » ?

Que pouvons-nous opposer aux barbares ? Où forger le réarmement moral face au djihadisme ? Intelligemment, l’auteur nous fait réentendre la voix des grands dissidents de l’Est qui luttaient contre un autre totalitarisme. Toutes ces femmes et ces hommes qui ont pensé qu’une existence sans raison de vivre est misérable. Emerge la figure du philosophe pragois assassiné Jan Patocka, conspué à l’Ouest par ceux qui défilaient en beuglant « Plutôt rouge que mort », préparant, comme le souligne l’auteur, au « plutôt vert que mort » des personnages de Soumission de Houellebecq. De belles pages sont consacrées ici au « souci de l’âme » et à la nécessité de se tenir debout. Plus étonnantes mais tout aussi intéressantes sont celles consacrées à la figure du guerrier, à celui du combattant. Celui qui accepte le poste sacrifié est « un appelé » et Alexandra Laignel-Lavastine a raison de rappeler que ce terme désignait autrefois les soldats. Etre appelé, c’est se souvenir que nous sommes comptables autant de ceux qui viennent que de ceux qui nous ont précédés. Car c’est à ce moment-là et à ce moment seulement que l’on peut juger les caractères et que « la vie livre son sens, souligne Jünger dans le Cœur aventureux, comme la matière sous les hautes pressions se révèle en ses formes cristallines »."

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