Revue de presse

J. Dion : "Le recours au bâton, la maladie infantile du macronisme" (Marianne, 19 juil. 19)

Jack Dion, directeur adjoint de la rédaction de "Marianne". 10 août 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Il s’appelle Steve Maia Caniço. Dans la nuit du 21 au 22 juin dernier, ce jeune homme de 24 ans participait à la Fête de la musique, à Nantes, plus précisément sur le quai Wilson, où se tenait une soirée techno. A 4h30 eut lieu une charge de police d’une rare violence, avec chiens, grenades lacrymogènes et même lanceurs de balles de défense (LBD). Affolés, des jeunes se jetèrent dans la Loire.

Depuis ce jour, on est sans nouvelle de Steve, animateur périscolaire, qui ne savait pas nager. Quelques photos ont été accolées sur le pont fatal où ses amis continuent à « exiger la vérité ». Le parquet a ouvert une information judiciaire. L’IGPN a été saisi d’une enquête sur l’intervention policière. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est « saisi d’office ». Mais de parole officielle, point, à croire que Steve a été victime d’un incident malencontreux lors d’une soirée trop arrosée.

Elle s’appelle Geneviève Legay. Le 23 mars, à Nice, lors d’une manifestation des « gilets jaunes », cette militante d’Attac âgé de 73 ans a été gravement blessée à la tête par suite d’une charge de police qui l’a envoyée à l’hôpital. Deux jours après les faits, le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre, assurait que la septuagénaire n’avait pas été blessée par un policier, avant de se dénier. On saura ensuite que, le jour de la manif, le procureur était aux premières loges et qu’il savait donc parfaitement ce qui s’était passé. En vertu de quoi, la Cour de cassation a décidé de dépayser l’enquête afin d’évincer Jean-Michel Prêtre du dossier. Quant à Geneviève Legay, elle tricote un gilet jaune destiné à Emmanuel Macron, qui avait osé lui donner des leçons de « sagesse ».

Elle s’appelle Zineb Redouane. Cette Algérienne de 80 ans est morte à l’hôpital le 3 décembre 2018. Deux jours auparavant, en marge d’une manifestation des « gilets jaunes », elle avait été atteinte au visage par une grenade lacrymogène alors qu’elle fermait les volets de son appartement, au quatrième étage d’un immeuble de Marseille, près de la Canebière. Sept mois après les faits, la thèse officielle vole en éclats. Alors que les autorités parlaient d’un tir « en cloche » , il est avéré, au vu des constats médicaux (blessures sous le nez, os de la mâchoire fracturé) qu’il s’agissait d’un tir tendu. Mais on n’en connaît toujours pas l’auteur. Pourtant, le procureur adjoint, André Ribes, était sur les lieux ce jour-là, identifié par des photos où il apparaît aux côtés des forces de l’ordre, dûment harnaché (casque, lunettes de protection, brassard). Dans la foulée, on apprenait que la caméra installée sur les lieux avait été déclarée « inopérante ». Résultat : comme à Nice, l’enquête a été dépaysée pour éviter « une forme de suspicion ».

Si ces faits avaient lieu à Moscou, ou à Budapest, personne ne serait surpris. On se dirait que, dans des régimes classés dans la rubrique des démocraties « illibérales », il faut s’attendre à tout, y compris au pire. Seulement voilà, cela se passe en France, là où l’on se réclame des droits de l’homme, là où un président aime à faire la leçon au nom de grands principes qu’il foule d’un pied déterminé, là où la gauche caviar a cédé la place au centrisme homard.

On oublie trop souvent que l’autoritarisme est la maladie infantile du macronisme, en raison de la faiblesse intrinsèque du courant politique représenté par LREM. Si l’élite s’est trouvé un nouveau champion, un mixte incertain de Juppé et de Rocard, le président de la République n’en conserve pas moins une base électorale friable et une base populaire quasi inexistante. Seule l’absence de relève envisageable le sauve de l’angoisse du lendemain politique. Mais, pour gouverner un pays en crise où la contestation guette à chaque coin de rue, c’est un peu juste. D’où le recours immodéré au bâton et au bâillon.

On ne peut séparer les graves dérives évoquées précédemment de la répression qui frappe les « gilets jaunes », au point que des syndicalistes policiers s’émeuvent du recours systématique aux arrestations préventives, ce déni de droit caractérisé. On ne peut oublier les rêves de censure illustrés par la loi contre la haine en ligne, les syndicats de salariés méprisés, les corps intermédiaires phagocytés, la justice instrumentalisée, le Parlement caporalisé, les élus oubliés et les citoyens maltraités. Montesquieu disait : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. » Quand ce pouvoir est chancelant, il en abuse encore plus."

Lire "Steve, Geneviève Legay, Zineb Redouane… Le recours au bâton, maladie infantile du macronisme".


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