Note de lecture

J. de Saint Victor : Le blasphème, une liberté menacée

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 22 février 2016

Jacques de Saint Victor, Blasphème. Brève histoire d’un « crime imaginaire », Gallimard, 126 pp., 14 €.

Il avait disparu de notre horizon politique. Voltaire en avait fait une infraction d’un autre âge. Le blasphème est pourtant de retour, menaçant la liberté de penser et la liberté d’expression.

Le petit livre de Jacques de Saint-Victor, historien du droit et professeur à l’université de Paris XIII, permet de comprendre d’où vient cette censure si désuète et pourquoi elle se retrouve au coeur de la vie politique.

L’interdiction de critiquer la religion vient de loin. Dans l’Ancien testament, la prohibition du blasphème est une règle essentielle et rigoureuse. Qui blasphème le nom de Yahvé devra mourir. Le christianisme reprend les interdits bibliques dans la chasse aux blasphémateurs. Jusqu’à l’avènement des premiers rois Capétiens, ce qu’on appelle alors "le péché de bouche", demeurait exclusivement ecclésiastique. Mais au XVIe siècle, il est associé à l’idée d’atteinte à la souveraineté royale avant de devenir crime de "lèse-majesté divine". Dans un tiers des arrêts, la peine capitale est prononcée. Répression du blasphème, excommunication, Inquisition vont s’épanouir à l’occasion des guerres de religion, “l’intolérance religieuse présentant sensiblement les mêmes atours dans les pays protestants et catholiques”.

Montesquieu permet un pas décisif vers la séparation de la morale et de la religion. Mais en 1757, Louis XV durcit la législation qui condamne à la peine capitale écrivains et éditeurs d’ouvrages "tendant à attaquer la religion". On ne badine pas avec le blasphème ! Le 28 février 1788, à Abbeville, un jeune homme de dix-neuf ans, le chevalier de la Barre, est condamné à mort pour "impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables". On le sait, il est exécuté dans des conditions si atroces que l’Europe entière s’en émeut. Avec lui, sur le bûcher on brula le Dictionnaire philosophique de Voltaire qu’on avait trouvé à son domicile !
Ce fut le "procès de trop" qui fut la cause directe de l’abolition pure et simple du délit de blasphème au début de la Révolution française. La France fut ainsi la première nation d’Europe à dissocier aussi nettement le droit de la religion. Le principe de séparation était en marche.

La répression de la critique de la religion fera son retour dans les années 1820, avec la Restauration puis avec le second Empire. C’est le projet d’Ordre moral. Le délit d’outrage à la “morale religieuse" devient un instrument commode pour réprimer les propos ou les écrits qui s’attaquant à la religion. On est en plein dans l’offensive cléricale avec le Syllabus de Pie IX en 1864 contre la modernité et la démocratie. Flaubert, Baudelaire, Eugène Sue, Proudhon sont inquiétés. L’avènement de la République le 4 septembre 1870 change la donne. Mais il faut attendre Clemenceau puis la loi sur la presse de 1881 pour en finir avec de délit.

Le cléricalisme a suscité son rejet, l’anticléricalisme. Le débat sur la laïcité fait rage. Ce sont les lois sur l’enseignement et sur la vie civile (funérailles, divorce) de Jules Ferry puis de Goblet qui étend la laïcité au personnel des écoles publiques et des hôpitaux. Les hommes politiques et les intellectuels, Victor Hugo, Léo Gambetta, Anatole France, Marcellin Berthelot, Ferdinand Buisson, ne tergiversent pas. La séparation des églises et de l’Etat est en marche qui prendra forme en 1905.

"Certains auteurs font preuve de nos jours d’aveuglement en prétendant que nous traiterions moins bien la religion musulmane que ne le firent nos aînés pour le catholicisme à la fin du XIXe siècle. C’est plutôt l’inverse," écrit l’auteur.

La loi Pleven de juillet 1972, en créant un nouveau délit de “provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers des individus, en raison de leur appartenance à une race ou à une religion", sans y prendre garde, marque le début d’un repli identitaire. Des films jugés blasphématoires par des associations communautaristes seront interdits. Depuis 2000, la nation la plus laïque d’Europe voit fleurir des “exigences parmi les plus fondamentalistes du continent en matière de blasphème”.

Après 2011, les mouvements islamistes reprennent avec zèle le flambeau des associations catholiques intégristes dans leur combat contre le blasphème. Dans la plus grande confusion intellectuelle, celui-ci, issu de la droite catholique intégriste, fait des émules chez certains intellectuels et politiques de gauche qui se demandent s’il faut encore tolérer le blasphème.

L’enjeu n’est pas franco-français, estime l’auteur, pour qui "les autres religions attendent avec gourmandise de recueillir les bienfaits de cette nouvelle morale" et s’allient au Nations unies pour essayer de pénaliser toute diffamation des religions (résolution du 26 mars 2009).

Un mauvais procès, dit-il, car “la laïcité a toujours protégé les croyants mais n’a jamais protégé aucune religion (...) et la République garantit la liberté des cultes, mais non leur dogme”.

A lire sans modération.

Patrick Kessel



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