Revue de presse

Hugo Micheron : « Le djihadisme, c’est avant tout une idéologie » (Charlie Hebdo, 24 mai 23)

(Charlie Hebdo, 24 mai 23). Hugo Micheron, maître de conférences et chercheur à Sciences Po. 28 mai 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Hugo Micheron, La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen, Gallimard, avril 2023, 400 p., 24 e.

"Dans « La Colère et l’Oubli. Les démocraties face au jihadisme européen » (éd. Gallimard), Hugo Micheron, docteur en science politique, chercheur et maître de conférences à Sciences Po, retrace pour la première fois l’histoire du djihadisme à l’échelle de l’Europe. Un livre éminemment instructif, très documenté, qui permet d’élargir la focale au-delà de la France, de comprendre les logiques à l’œuvre dans l’implantation de foyers djihadistes, et au passage de battre en brèche certaines idées reçues. Il nous rappelle que le djihadisme est d’abord une lutte idéologique.

Propos recueillis par Laure Daussy.

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Charlie Hebdo : Vous rappelez que le djihadisme ne se réduit pas aux attentats, il existe un djihadisme qui perdure en dehors des attaques terroristes. Que se passe-t-il dans ces périodes de « creux »  ?

Hugo Micheron : Il se passe l’essentiel  ! Le terrorisme intervient toujours en bout de course. Il faut s’intéresser à tout ce qu’il y a en amont. Je distingue des phases de marée haute, celles des attentats, et de marée basse, qui sont les phases structurantes, celles de diffusion de l’idéologie djihadiste. Derrière ces idées, il y a une manière de voir le monde qui détermine un système de lutte. Cette idéologie a commencé à se constituer dans le cadre de la guerre en Afghanistan, au ­moment du ­combat contre les Soviétiques, dans les années 1980. Ce qu’on tend à oublier, c’est qu’elle s’est en fait mise en place assez loin du front, dans une base arrière située à Peshawar, au Pakistan, où les djihadistes s’endoctrinaient. Ensuite, dans les années 1990, des vétérans de ce conflit se sont installés en Europe, notamment à Londres, non pas pour commettre des attentats, là encore, mais pour s’organiser sur le modèle expérimenté à Peshawar. Ils vont le dupliquer en l’adaptant à l’Europe : mettre la main sur des lieux de culte quand cela est possible, former une base militante, en organisant des séminaires religieux ou des cours du soir, utiliser dès le départ Internet pour diffuser leurs idées. En dehors des attentats, ce travail de militantisme a pris forme au sein de ce que j’appelle des « machines de prédication ».

Qu’en est-il de ces « machines de prédication » aujourd’hui  ? Comment cela se traduit-il  ?

Les machines de prédication se sont complexifiées au fil du temps. Les djihadistes ont diversifié les contenus, aujourd’hui consultables sur Internet. Après le 11 Septembre, ils vont adapter leur discours et s’appuyer notamment sur la prolifération des discours salafistes au sein de l’islam européen. Sur le fond, il faut comprendre l’importance de quelques principes clés de l’essor de l’idéologie djihadiste en Europe. L’un d’entre eux est « l’allégeance et le désaveu », au cœur de l’idéologie de Daech. C’est l’idée qu’il faut choisir son camp, entre celui de l’islam, dont les djihadistes seraient les seuls défenseurs, et la démocratie mécréante, à rejeter.

Au milieu des années 1990, un étudiant d’Omar Bakri, un des prédicateurs installés en Angleterre, publie un livre où il explique pour la première fois comment appliquer ce principe à l’Europe du XXIe siècle. L’idée est que si vous êtes musulman en Europe, vous ne pouvez pas être citoyen de votre pays, vous devez désavouer tout ce qui ne vient pas de l’islam, mais aussi détester tous ceux qui ne partagent pas votre conviction, y compris les musulmans qui ne vous écoutent pas. C’est une arme de prosélytisme très puissante, aux effets désastreux sur la fabrique du lien social et politique. Dans les années 1990, elle est déployée par les émirs du Londonistan [réseaux islamistes djihadistes présents à Londres, ndlr] et quelques dizaines de militants  ; aujourd’hui, son emploi est bien plus banalisé, y compris en dehors des cercles djihadistes et jusque sur TikTok. Les idéologues djihadistes cherchent à capitaliser sur ça, et disent qu’en ce moment il ne faut pas tant faire des attentats qu’étendre le camp du « désaveu ». [...]"


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