Revue de presse

H. Peña-Ruiz : "Le monde en noir et blanc ? Lettre ouverte à Danièle Obono" (marianne.net , 6 juil. 20)

Henri Peña-Ruiz, philosophe et écrivain, Prix de la Laïcité 2014, auteur de "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon). 18 juillet 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Madame Obono, je ne doute pas le moins du monde de votre volonté d’émancipation humaine. Mais je pense que vous faites fausse route. Renverser le racisme, ce n’est pas l’inverser. Dire de Monsieur Castex, nouveau Premier ministre, que c’est un "homme blanc de droite", c’est inaugurer une typologie éthiquement scandaleuse et politiquement inepte. N’oubliez pas que le combat antiraciste de Nelson Mandela s’est fait au nom de l’universalisme émancipateur, qui rend les droits des uns inséparables des droits des autres. La notion d’universalisme est facile à comprendre. A condition de la distinguer de l’ethnocentrisme colonialiste, qui érigeait une civilisation particulière en référence prétendue universelle pour mieux l’imposer aux peuples dominés. Est universel ce qui vaut ou peut valoir pour toutes et tous. Ainsi de la liberté, de l’égalité, de l’émancipation, de l’instruction qui fonde l’autonomie de jugement. [...]

La tentation de personnaliser la lutte émancipatrice en lui donnant des cibles humaines peut se comprendre, mais elle n’est pas justifiable, et ce à un double titre. Politiquement, car elle peut laisser croire qu’en changeant les personnes on change le système, ce qui le plus souvent est une illusion. Et moralement, car en se trompant ainsi de cible on occulte la portée universelle de toute lutte émancipatrice.

Le grand mérite de la pensée progressiste a toujours été de distinguer ce qui relève de la nature et ce qui relève de la société, à la fois par souci de lucidité critique et par refus de toute fatalisation d’inégalités qu’on ne peut imputer à la nature. C’est un certain rapport de force social qui entend faire jouer à l’invocation de la nature un rôle de justification. Ainsi l’idéologie patriarcale machiste prit prétexte de la différence de sexe ou si l’on veut de genre pour construire une hiérarchie. Dans son livre intitulé "Le deuxième sexe" Simone de Beauvoir a contré cette approche. [...]

Il est donc pour le moins paradoxal et objectivement réactionnaire d’essentialiser la référence à la couleur de peau. Le monde n’oppose pas les hommes blancs et les hommes noirs, mais les exploités et les exploiteurs. La fonction d’exploiteur ou de colonisateur raciste n’est pas inscrite dans les chromosomes, pas plus que celle d’esclavagiste. Ne confondons pas l’être et le rôle, la peau et la chemise. Bien sûr, tout rapport social de domination met en présence des dominants et des dominés. Et cela peut conduire à de la haine, si l’on n’y prend pas garde. Il faut pourtant résister à toute dérive haineuse qui s’en prend aux personnes au lieu de mettre en cause un système. Sinon la lutte pour l’émancipation perd son sens. Elle se psychologise en ressentiment au lieu de se politiser en combattant les causes sociales de la domination. [...]"

Lire "Chronique intempestive : le monde en noir et blanc ? Lettre ouverte à Danièle Obono".


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