Contribution

Un quinquennat supplémentaire de Nicolas Sarkozy signerait l’arrêt de mort de l’école publique

par Gérard Delfau 27 mars 2012

Ancien sénateur (PRG) de l’Hérault, Gérard Delfau vient de publier un "Éloge de la laïcité". Il y répond à quelques questions simples et trace des pistes de réflexion pour éclairer le débat, parfois confus, sur ce principe républicain.

Vous faites l’éloge de la laïcité, dont vous estimez quelle est un combat. Pourtant, certains la considèrent durablement établie. Que leur répondez-vous ?

Gérard Delfau. À coup sûr, le peuple français est profondément laïque. La séparation des Églises et de l’État, acquise en 1905, au prix d’une longue lutte, mais aussi au terme d’une riche discussion au Parlement, est l’un des fondements de la République. Et pourtant, les lobbies cléricaux n’ont pas désarmé. Ils s’activent au niveau européen et en France même. Et ils bénéficient souvent d’une étonnante mansuétude, au point que l’influence des Églises et des confessions, sur notre vie quotidienne, demeure très forte.

Voici quelques exemples. La position dogmatique de l’Église catholique freine l’accès des femmes à la contraception et à l’IVG, comme elle freine la recherche scientifique sur les cellules souches issues d’embryons ou même prélevées sur le cordon ombilical. Et que dire du droit de mourir dans la dignité ? La pression de l’islam radical, dans un certain nombre de quartiers urbains laissés en déshérence fragilise de l’intérieur l’école publique et restreint l’égalité de droits de la femme. Le statut dérogatoire de l’Alsace - Moselle (et de la Guyane) est cité par tout un courant de pensée, et pas seulement à droite, comme la voie de l’avenir. Or, ce statut impose une double discrimination : à l’égard de l’islam, qui, pour des raisons historiques, ne fait pas partie des quatre cultes "reconnus" ; mais aussi à l’égard des non-croyants, environ deux tiers des Français, selon une récente enquête d’opinion.

Et d’ailleurs, sur l’ensemble du territoire national, les athées, les agnostiques, les libres penseurs et les indifférents, compte tenu de la place accordée encore à la religion, sont-ils des citoyens à part entière ? La liberté de conscience s’étend-elle pleinement jusqu’à eux ? On peut en douter.

Enfin, le développement continu de l’enseignement privé confessionnel, au détriment de l’école publique, grâce au financement de l’État et des collectivités locales, sape insensiblement les bases de la laïcité, alors même que la pratique religieuse se réduit comme peau de chagrin. Bref, nous sommes encore loin d’une société durablement laïque, ce qui ne veut pas dire irrespectueuse de la liberté de religion. Au contraire.

Votre livre analyse les cinq années de présidence Sarkozy sur la laïcité. Quel bilan dressez-vous de ce quinquennat en la matière ?

Justement, je montre, textes à l’appui, que Nicolas Sarkozy a conçu, avant même sa présidence, dès le début des années 2000, un projet politique en complète rupture avec la tradition républicaine. Il veut établir les bases d’un retour au Concordat (type Napoléon Bonaparte) avec l’Église catholique et les autres religions, notamment l’islam. Une démarche encouragée par le Vatican, mais que récusent l’épiscopat français et la grande majorité des fidèles. Deux livres d’interviews, signés de son nom (2001 et 2004) et plusieurs discours retentissants exposent ce projet. Il martèle le même message : la laïcité, telle que la définit la loi de 1905, serait, selon lui, "obsolète" (Libre, 2001) ; il faudrait revenir à une forme de " reconnaissance " et de financement des cultes. Le fameux discours de St-Jean-du-Latran (décembre 2007), qu’il a prononcé en tant que président de la République, après avoir rendu visite au Pape, avait pour fonction d’annoncer cette volonté de bifurcation majeure de la politique française. Il sera suivi par la signature des Accords du Vatican (mai 2008), qui élargissent le champ d’intervention de l’Église catholique dans l’enseignement supérieur. Un arrêt du Conseil d’État viendra heureusement limiter les effets de cet abandon de souveraineté.

En revanche, durant tout le quinquennat, l’enseignement public des premier et second degrés est systématiquement défavorisé au profit de l’enseignement privé (c’est-à-dire catholique à 96 %). Un chiffre en fournit la preuve : les suppressions de postes dans le service public ont été proportionnellement deux fois plus importantes que dans les établissements privés, qui pourtant ne peuvent plus guère se prévaloir d’un caractère propre, en raison de la sécularisation de la société. Plus généralement, Nicolas Sarkozy n’a cessé de jeter la suspicion sur les maîtres de l’enseignement public, mettant en doute leur générosité, leur dévouement et leur aptitude à la mission d’éducation alors même qu’ils exercent leur métier dans des conditions infiniment plus difficiles que les enseignants du privé. Un quinquennat supplémentaire de Nicolas Sarkozy signerait l’arrêt de mort de l’école publique.

Il faudrait énumérer aussi les circulaires du ministère de l’Intérieur, qui, systématiquement encouragent les collectivités locales à financer les lieux de cultes et à solliciter l’intervention des différents clergés dans l’élaboration des décisions publiques. Une innovation gouvernementale symbolise cette pratique typiquement concordataire : la récente mise en place de « conférences départementales des religions », convoquées à l’initiative des préfets. Au moment où l’Europe se sécularise et où se distendent les liens entre États et religions, allons-nous faire le chemin inverse ? Tel est l’un les enjeux majeurs de l’élection présidentielle.

Selon vous, pour quelles raisons l’extrême droite a-t-elle entrepris un hold-up sur la laïcité, et comment y répondre ?

La réponse à cette question est évidente. Elle a été résumée dans une formule brillante de Marc Blondel, ancien syndicaliste, président de la Fédération nationale de la Libre-pensée : « On dit islam, et on pense arabe ». Tel est en effet le ressort du discours de Marine Le Pen : instrumentaliser le terme de laïcité pour déguiser une attitude de discrimination et de racisme à l’égard des Français de confession ou de culture musulmane, qui se situent en général dans la fraction la plus pauvre de la population. Mais qui se laisserait prendre à cette falsification ? Souvenons-nous que le Front national abrite en son sein toutes les composantes de l’intégrisme catholique et du courant contre-révolutionnaire. Et rappelons que Marine Le Pen a fait baptiser ses enfants à St-Nicolas-du-Chardonnet, lieu de rencontre des adversaires de la République et des nostalgiques de Barrès et de Maurras, sans oublier Brasillach.

Mais plus grave encore est la reprise de cette thématique d’extrême droite par le candidat Nicolas Sarkozy et son porte-parole Claude Guéant. En effet, pour la première fois dans notre histoire, un homme politique, en charge de l’État, entreprend d’exploiter les réflexes racistes à des fins électorales, en falsifiant le concept de laïcité. Rappelons-le, puisque c’est nécessaire : la loi de 1905 assure la liberté de conscience à tous les citoyens, qu’ils soient croyants, sans discrimination de religions, mais aussi qu’ils soient athées, agnostiques et indifférents. Elle est une loi de paix civile, alors que le candidat Sarkozy tente de créer un climat de guerre de religions, espérant en tirer un bénéfice électoral.

François Hollande propose de constitutionnaliser les deux premiers articles de la loi de 1905. Cet engagement vous semble-t-il pertinent ?

Je me réjouis de l’engagement de François Hollande d’inclure dans notre Constitution les deux premiers articles de la loi de 1905 et le concept de Séparation. Cela rendrait plus difficiles les errements actuels. Encore faut-il que figure dans le nouveau texte la phrase clé : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». La seule référence à la notion de liberté de conscience (article Premier) ne saurait suffire. C’est pourquoi je suis perplexe devant l’idée de constitutionnaliser aussi le statut d’Alsace- Moselle, fût-il qualifié d’"exception". Il y aurait une contradiction juridique insurmontable à vouloir faire cohabiter, dans le même texte constitutionnel, deux régimes aussi opposés que celui de Séparation et celui de Concordat. De surcroît, je vois des difficultés de mise en œuvre insurmontables, étant donné l’extrême variété des statuts dérogatoires qui existent dans les territoires d’outre-mer. Mieux vaut prendre le temps de la réflexion et de la négociation pour que tous les territoires relevant d’un statut dérogatoire entrent progressivement dans la loi commune, celle de 1905. Le processus devra se faire sereinement et de telle façon qu’aucun ministre du culte en exercice ne subisse un préjudice. Une telle évolution me semble inéluctable, dans la mesure où ces statuts ne correspondent plus à l’état actuel de nos sociétés sécularisées.

Propos recueillis par Philippe Foussier

Gérard Delfau, Éloge de la laïcité, Vendémiaire éditions, 224 p., 18,50 €


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