Revue de presse

G. Erner : "Les censeurs nous prennent-ils pour des cons  ?" (Charlie Hebdo, 7 jan. 20)

13 janvier 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"C’est mystérieux, la censure. Pourquoi vouloir faire taire quelqu’un avec qui l’on est en désaccord  ? Un dictateur, on comprend, Big Brother a tout intérêt à imposer ses mensonges. Mais à quoi bon le faire au sein d’une démocratie, surtout quand on se dit « de gauche »  ? Le procédé est discutable moralement, mais il est aussi stratégiquement incertain. N’est-ce pas une manière d’avouer que l’on est très peu sûr de ses arguments. Vouloir empêcher l’autre de prendre la parole, c’est dévoiler sa faiblesse au grand jour. Paradoxalement, cela revient à conférer une puissance inouïe au raisonnement adverse : toute personne qui y serait exposée serait immédiatement convertie. Dans ces conditions, la seule manière de conserver le monopole du ­penser correct serait d’imposer le silence à ses contradicteurs : « Je ne suis pas d’accord avec vous, et je me battrai jusqu’au bout pour que personne ne puisse vous entendre… »

En fait, ce goût du bâillon révèle chez les censeurs un vrai mépris pour les cerveaux disponibles. Tout se passe comme si le public avait besoin d’être mis sous curatelle. Exposés à Finkielkraut, Zemmour ou Trucmuche, les pauvres d’esprit adhé­reraient immédiatement à des arguments jugés simultanément monstrueux et irrésistibles. Finalement, cette volonté de censure trahit un manque de confiance dans le jugement d’autrui. Les démocrates, réels ou autoproclamés, seraient démunis face à leurs ennemis. Cette volonté de censure ignore l’existence du sens critique. Les défenses immunitaires du quidam seraient si basses que n’importe quel virus plus ou moins fascistoïde serait capable de faire des victimes… Un virus qui avance masqué, bien entendu. Et c’est pourquoi l’on interdit souvent à quelqu’un de prendre la parole, au nom d’un sens caché, d’un poison implicite. Dire que le péril est indétectable pour des oreilles non exercées, c’est aussi une manière de justifier à coup sûr toute volonté d’interdire. 

Mais il y a plus : si les convictions doivent être préservées au sein de chambres stériles, c’est que l’on n’attend plus du dialogue qu’il permette la manifestation de la vérité. Sur les réseaux sociaux, l’art de convaincre est à l’agonie. On ne cherche plus à convertir l’autre, on l’insulte, le pilonne, dans l’espoir, peut-être, de l’ensevelir sous les mots, pour que son discours ­devienne inaudible. Finalement, cette volonté de censure signifie que l’on n’espère plus convaincre personne. Le point Godwin comme tout type d’insultes n’ont jamais fait changer quiconque d’avis. Tout ce que l’on peut en attendre, c’est d’installer une aura de maléfice autour d’une personne qui en dissuadera, peut-être, certaines autres de fréquenter un auteur aussi sulfureux.

Pour le reste, ces discours témoignent surtout de la fra­gilité des convictions actuelles. Il est loin, le temps des idéologies, où un communiste préférait mourir sous la torture plutôt que de renoncer à la théorie de la paupérisation absolue du prolétariat. Bien sûr, dans les années 1950, les insultes volaient bas, les excommunications ne se faisaient pas prier, bref, les échanges d’opinions ne se déroulaient pas dans un climat parfaitement ­serein. Mais on avait encore l’espoir de convaincre l’autre, parce que les certitudes reposaient sur des idéologies et non sur des avis subjectifs. Aujourd’hui, plus une chose est personnelle, relève du témoignage, plus elle est censée être indubitable. Autant dire : plus elle est fragile, plus elle est précieuse. Mais ce qui est fragile doit être protégé. ­Voilà pourquoi, au bout du compte, la seule manière d’emballer ces vérités incertaines, c’est de les glisser dans l’atmosphère stérile de la censure.

Guillaume Erner"

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