Note de lecture

G. Delfau : La Laïcité au secours de la démocratie

par Patrick Kessel 17 décembre 2015

Gérard Delfau, La laïcité, défi du XXIe siècle, L’Harmattan.

Le pire est désormais possible. Au lendemain des élections régionales, l’horizon politique est particulièrement lourd de menaces. Si les partis républicains ne tirent pas les leçons de l’échec que viennent de leur infliger des citoyens de plus en plus nombreux, inquiets, en colère, la victoire de l’extrême droite au scrutin présidentiel devient une hypothèse crédible !

Le sursaut s’impose et la laïcité en constitue un levier essentiel.

Tel est le message principal que nous délivre Gérard Delfau dans La Laïcité, défi du XXIe siècle, qui tombe à point nommé pour mener la bataille décisive.

Car ce nouveau livre du président de l’association Egale, le cinquième sur la laïcité en une quinzaine d’années, est un appel au sursaut. Mais aussi une réflexion au fond car si la Laïcité a deux ennemis évidents, l’islamisme radical et l’extrême droite, qui la détourne pour stigmatiser les musulmans, elle doit faire face à un courant différencialiste qui vise à la rendre inopérante. Des adversaires dont l’idéologie communautariste pèse de façon significative sur une partie de la gauche.

L’ancien sénateur de l’Hérault s’attelle à démonter les arguments de ces révisionnistes de la laïcité.

En premier lieu, il montre clairement que si la question sociale demeure une clé essentielle pour comprendre la déchirure culturelle, elle n’explique pas tout.
La montée en puissance du communautarisme ces dernières années a largement nourri la progression électorale de l’extrême droite. Sur le terrain de la vie vraie, des citoyens constatent les dégâts occasionnés dans les écoles, les hôpitaux, les crèches, les universités, les entreprises, dégâts que nombre d’élus ne veulent ou n’osent pas voir.
A ceux qui prétendent que l’ascension de l’islamisme radical en France et son recrutement dans certaines cités ne serait que d’origine sociale, il répond : “Je me rends à l’évidence : la question religieuse est liée à la question sociale mais elle ne s’y résume pas”.
Voilà pour ceux qui croient discerner dans ces mouvements identitaires les héritiers de la classe ouvrière en lutte contre le grand capital ! Car pour Gérard Delfau, “les idiots utiles du stalinisme ont fait souche. Ils se réincarnent en avocats zélés des apprentis terroristes issus de l’islam radical”.

Second constat, ce n’est pas en tant que religion que l’islamisme radical pose problème à la République, mais en tant que système politique, en guerre contre la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Il s’agit de soumettre l’ordre social à la religion et les populations, les femmes en premier lieu, à la charia. L’immense majorité des musulmans en sont les premières victimes.

Gérard Delfau a parfaitement raison de mettre ce point en exergue car il est au coeur de la confusion qui pèse comme une chape de plomb sur les consciences de gauche. Entre les deux tours des régionales, une élue d’un parti de gauche s’est ainsi crue légitime à participer à un meeting avec des représentants des Frères musulmans ! Philosophiquement erronée, cette stratégie communautariste a conduit à la défaite électorale dans la plus peuplée des régions de France. Ils croient lutter contre l’extrême droite ; à leur corps défendant, ils en font le lit. Cela mérite réflexion.

L’auteur s’efforce de lever cette confusion, capable à elle seule de faire exploser la gauche. Il commence par préciser de quoi la Laïcité est le nom. Depuis trop longtemps, par l’ajout de qualificatifs, certains ont voulu la vider de son contenu.

Gérard Delfau rappelle avec rigueur que pour être un principe de droit, la Laïcité est d’abord un instrument de construction de soi, l’outil de l’émancipation continue, de l’égalité des droits et devoirs entre tous et d’abord entre hommes et femmes. Delfau tord le cou à cette ridicule interprétation qui voudrait faire croire que la loi de 1905 serait un compromis, fruit d’une négociation entre l’Etat et l’Eglise. Compromis qu’il conviendrait de reproduire aujourd’hui entre l’Islam et la République et en revenir à une situation de type concordataire ! La réalité c’est que la loi de Séparation est bien un compromis, mais entre républicains, à qui il aura fallu près de dix ans pour parvenir à ce texte porté par Aristide Briand et Jean Jaurès. “La République ne signe pas un traité de paix avec l’un des plus farouches ennemis de la démocratie, l’Eglise. Elle lui signifie la totale prééminence de la loi sur le dogme. Elle exprime le primat du politique sur la religion. Ce n’est pas une espèce de donnant-donnant, mais la fixation d’une liberté publique, la liberté absolue de conscience dont la liberté de culte est une composante”. Les églises y gagnent la liberté de pratiquer le culte et les libèrent de la tutelle de l’Etat. Ce qui provoqua la fureur du Vatican pour qui la France devait demeurer la “fille aînée de l’Eglise” rappelle l’auteur.

On le voit, les députés qui votèrent la loi ne manquaient pas de courage. Ils furent d’ailleurs tous excommuniés !

Gérard Delfau s’interroge ensuite sur le périmètre de la loi de séparation. On sait que sa sphère est celle de la Puissance publique. Même là, elle n’est pas toujours appliquée, en particulier en terre concordataire où prévaut toujours le délit de blasphème et où l’enseignement religieux demeure obligatoire (sauf dérogation) dans les écoles publique. Mais au-delà de la sphère publique, comment faire face à l’explosion des revendications communautaristes qui remettent en question les principes fondateurs de la République ? Comment répondre aux problèmes de plus en plus nombreux, posés dans des crèches, des hôpitaux, des universités, des entreprises, des associations sportives ? Le déni n’est pas une réponse tenable.

Alors que faire ? Gérard Delfau instruit les diverses situations. Mettre en place des chartes laïques dans tous les lieux publics ? C’est presque fait mais que faire lorsqu’elles ne sont pas respectées ? Des Chartes dans les entreprises comme l’a fait Paprec pour garantir la neutralité philosophique, religieuse et politique sur les lieux de travail ? On sait la fragilité juridique de la solution. Modifier le Code du Travail ? Bien évidemment, c’est là un point très sensible car il conviendrait dans le même temps de s’assurer de la pérennité des droits syndicaux. Légiférer comme l’a proposé la sénatrice Françoise Laborde à l’occasion de l’affaire de la crèche Baby Loup ? Comment assurer la neutralité de l’enseignement dans les universités ?
Comment reprendre la marche en avant du processus d’émancipation et d’autonomie des individus ? Toutes les libertés individuelles ont été arrachées de haute lutte contre la conjuration des conservateurs et des appareils religieux, égalité en droit entre hommes et femmes, contraception, IVG, mariage pour tous. A quand le droit à mourir dans la dignité ?

Gérard Delfau pose les bonnes questions. Avec rigueur. Sa grande expérience d’élu fait aussi de lui un homme de dialogue et, comme nous le faisons au Comité Laïcité République, il appelle de ses voeux tous les sincères défenseurs de la Laïcité à débattre de ces questions pour proposer les solutions.

Ce livre vient à point. Espérons que les futurs candidats à l’élection présidentielle le comprendront à temps et feront de la laïcité le ciment de la fraternité dont la République a tant besoin.

Patrick Kessel


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