Revue de presse

G. Chevrier : Radicalisation dans les services publics, "des constats qui n’autorisent plus de dire « on ne savait pas »" (atlantico.fr , 27 juin 19)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 29 juin 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Pour la première fois, un rapport parlementaire tente de dresser l’ampleur du phénomène de la radicalisation dans les services publics. Si le problème reste marginal il convient de ne pas le minimiser selon les auteurs

Atlantico : Selon ce que révèle ce rapport, comment expliquer que certaines organisations soient considérées comme plus vulnérables à la radicalisation ? S’agit-il d’un problème de recrutement à l’origine, le terreau géographique et social d’entreprises comme Roissy joue-t-elle dans ces chiffres ?

Guylain Chevrier : Les conditions de recrutement à la RATP n’ont que récemment inclus des vérifications auprès des services de renseignement, ce qui a abouti à 124 avis négatifs avec refus d’embaucher. Une entreprise d’autant plus exposée qu’il y existe une politique d’ouverture à la diversité, et du fait même du métier un accès facilité pour des peu ou pas diplômés, favorisant une embauche de jeunes venus des quartiers. Dans le contexte d’angélisme des vingt dernières années, on y a recruté ainsi sans prendre la mesure des risques liés aux affirmations identitaires montantes. Comme l’un des derniers rapports du Sénat sur la radicalisation le pointait, le communautarisme est tout particulièrement le terreau de celle-ci. On constate dans les dépôts la multiplication des prières sur le lieu de travail, le refus de serrer la main d’une femme ou pour un homme de prendre un bus conduit par une collègue, voire de conduire avec des gants pour certains chauffeurs pour ne pas toucher quoi que ce soit qui l’ait été par une femme. Ceci dévoilant un refus des règles communes et aussi un apartheid sexuel. Ce qui en dit long sur cette façon de porter la foi au-dessus de tout qui devrait être considérée comme l’entrée dans la radicalisation religieuse, car cela mène inévitablement à un moment à l’affrontement avec notre société. On prend encore beaucoup de pincettes avec ces phénomènes que l’on n’ose nommer. Ils sont pourtant à rattacher, bien au-delà d’une simple volonté de pratiquer sa religion au travail, à une pratique au pied de la lettre de celle-ci, avec un retour du sacré qui contient tous les dangers. S’il existe là le refus de toute adaptation à notre modernité, comme l’égalité hommes-femmes, il y a aussi en toile de fond une vision de l’islam qui contient l’idée de conquête de la société et de lui imposer ses règles, puisque cette religion est aussi un projet de société. Il n’en va donc pas que d’informations recueillies auprès des services de renseignement pour régler la question au moment de l’embauche et encore moins dans l’entreprise pour ceux qui y sont déjà. Sans une volonté d’imposer des conduites qui ne laissent pas ce genre de pratiques exister, la lutte contre la radicalisation est un leurre et ce constat risque de n’être qu’un artifice.
Dans le sport, on retrouve encore plus fortement ce phénomène, avec une embauche à tendance communautaire réalisée dans une population à dominante identitaire commune. Ceci, avec toutes les conséquences en termes de fonctionnement, dont refus de la mixité, prières collectives sur les terrains de sport… Ce sont explicitement des territoires perdus de la République dans des secteurs d’activité publics ou rattachés par leurs financement et leur contrôle normalement à des services publics. On imagine les dégâts que cela peut faire du point de vue de l’éducation, avec quels effets plus tard sur les enfants pris en charge. On constate dans le secteur des aéroports que sur 80 000 titulaires d’une accréditation à Roissy, permettant l’accès à une « zone réservée », 80 font l’objet d’un suivi régulier pour radicalisation. Il y a les mêmes facilitations d’embauche que pour la RATP avec des publics au profil commun, avec des risques encore plus grands au regard de ce domaine de l’aviation civile. Là encore, on tolère ce qui ne l’est pas, mais licencier pour ce type de critère peut être considéré comme une discrimination, bien curieusement. Les manifestations et pratiques religieuses intempestives peuvent s’opposer à la bonne exécution du contrat de travail, constituant une rupture de celui-ci, à commencer par des prières sur le temps de travail par exemple.

Les forces de l’ordre et notamment l’armée semblent mieux s’en sortir (0,05 % des troupes de l’armée de terre, 0,03 % des marins et aucun aviateur ne sont concernés par la radicalisation). Comment expliquer à contrario que certaines franges du service public s’en sortent mieux ?

On parle de l’armée, de la gendarmerie et de la police comme étant au « vert ». Je crois qu’il faut regarder les choses sous différents angles. Il y a sans doute, en raison du caractère sensible de l’armée, un filtre plus efficace dans les recrutements. La gendarmerie, rappelons-le, est une institution militaire. La radicalisation est probablement moins à même de s’exprimer là que dans des services publics moins encadrés. Cela étant on pratique dans l’armée l’égalité de traitement des religions dans l’esprit d’une « laïcité ouverte » qui n’est pas sans interroger, au regard de l’impact que pourrait avoir en certaines circonstances le fait de porter sa religion au-dessus de tout, en cas de conflits avec un pays ayant l’islam pour religion ou d’affrontement dans des quartiers avec des groupes d’islamistes en France. Précisons que la radicalisation visible n’est que la partie émergée d’un iceberg. La radicalisation est sous-jacente à tout un processus qui va y conduire, difficile à circonscrire tant il se fait dans l’ombre. Le problème que nous connaissons avec l’islam, c’est le fait d’une religion qui est pratiquée par un nombre croissant de nos concitoyens refusant le mélange au-delà de la communauté de croyance, et le moindre compromis. L’Institut Montaigne a souligné dans l’une de ses études sur l’islam de France, que près de trente pour cent des pratiquants musulmans sont pour reconnaitre la charia comme supérieure à notre droit et faisaient de leur religion un instrument de révolte contre notre société. Le droit n’a pas de prise sur la foi peut-on affirmer dans les milieux musulmans très pratiquants et communautarisés. On a les mêmes phénomènes de communautarisme dans tous les secteurs, mais ils s’expriment de façons différentes selon les conditions propres à ceux-ci. Sans être paranoïaque, on ne saurait écarter la taqîya de ce tableau idyllique de l’armée, cette technique de dissimulation qui correspond à une stratégie de camouflage pour mieux agir un jour, puisque celle-ci est sans doute dans cet état d’esprit un lieu de très forts enjeux.

Comme l’exprimait Le Parisien en mars 2016, sous le titre « Radicalisation : la police n’est pas épargnée » (9 mars 2016), il en allait ainsi selon une note confidentielle de la préfecture de police. « Diffusion de chants religieux en patrouille, refus de participer à une minute de silence ou de protéger une synagogue, voire incitation, sur Facebook, à commettre des attentats » On parlait alors de faits marginaux, mais pour autant on recense depuis, côté police, de façon hebdomadaire ces faits. Ce qui indique que ce n’est pas si négligeable. Des comportements qui par-delà le respect du principe de laïcité, posent de réels problèmes de sécurité. Pour nous rassurer, dans le prolongement du sociologue Farhad Khosrokhavar, spécialiste de la banalisation du fait, on distingue le fondamentalisme, qui serait sans danger, parce que ne relevant que d’un enfermement dans le religieux, d’une radicalisation violente que l’on dit là inexistante. Jusqu’à ce qu’elle se manifeste le jour « j », bien évidemment.

Du côté de la police municipale il y a des inquiétudes plus grandes, et spécialement dans le domaine de la sous-traitance de la sécurité. L’embauche communautaire n’y est pas un secret, avec des personnes aux habilitations pas toujours conformes aux missions réalisées. On leur confie par exemple, dans le cadre de grands événements, comme les matchs de foot, les fan zones. Il y a là, sans doute, bien des choses à revoir.

Y a-t-il plus largement un laxisme dans certaines organisations ? L’exemple de tribunaux administratifs qui annulent certains motifs de licenciement pour des actes de radicalisation sous prétexte de protection des libertés individuelles ont-ils une part de responsabilités ?

Le secteur pénitentiaire est considéré par les rapporteurs de la mission d’information comme étant au « rouge ». Le risque y est vu comme très grand de radicalisation en raison du contact des personnels pénitentiaires avec des détenus radicalisés, à partir du partage d’une même origine, religion. On cite plusieurs cas dont celui éloquent d’un message d’alerte des services de renseignement des Bouches-du-Rhône, concernant des surveillants devant être prochainement affectés à un établissement pénitentiaire pour mineur du département. Leur profil était inscrit au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Les surveillants en question dénoncent évidemment une « islamophobie rampante » de l’administration. Un argument d’intimidation qui fait souvent mouche, et conduit à laisser dans le silence des situations qui devraient être traitées sans ambiguïté. Ne pas les traiter avec fermeté, c’est encourager des individus qui pourraient y résister à se laisser prendre à ce jeu. Ne pas réagir c’est comme se rendre coupable de quelque chose qui alimente l’idéologie victimaire qui est au fondement de cette radicalisation. On a le cas de tribunaux administratifs qui cassent des « avis d’incompatibilité » dans le travail, en relation avec des manifestations de radicalisation, qui pourtant bien identifiées dépendent de base d’éléments de renseignements protégés par la confidentialité et donc dont on ne peut avancer l’argument. On marche sur la tête ! Voilà bien un cas révélateur des vides juridiques qui nuisent à des prises de décisions essentielles sur cette question, en désarmant ceux qui ont le courage de vouloir agir. Il faut que le législateur y remédie résolument.

On ne peut oublier l’école classée en « orange » dans ce tableau, où on voit dès la primaire apparaitre ces refus de petits garçons de prendre la main d’une petite fille, les tables « sans porc », des anniversaires où est demandé sur le carnet de correspondance de ne pas apporter de bonbons qui contiendraient du porc, le rejet de certains enseignements. Sans compter encore avec la polémique sur les mères voilées lors des sorties scolaires. Puisque les enseignants y restent bien dans leur fonction, ces mères sont donc bien des collaboratrices occasionnelles du service public répondant au critère de laïcité imposant la neutralité vestimentaire, n’en déplaise au Conseil d’Etat qui ne le voit curieusement pas. On entend pourtant les laisser libres d’arborer leur appartenance religieuse, avec dans certains quartiers, elles-seules à encadrer les enfants avec les enseignants. Demain aurons-nous peut-être, puisque ces sorties ne seraient plus l’école pour justifier ce laisser faire, des enseignants considérant, puisque les mères voilées seraient de simples bénévoles, de l’être aussi, pour que certaines maitresses se mettent à porter le voile lors de ces sorties, poussant un cran plus loin les contradictions sur lesquelles fructifie la radicalisation. Les mêmes certainement qui portent le voile pendant leur formation. L’Université française est pointée du doigt puisqu’elle ne transmet que très peu voire pas d’information sur le sujet, alors que l’indigénisme par exemple qui s’y est développé, frère jumeau de la radicalisation, y passe inaperçu. Le Code de l’éducation rejette pourtant toute emprise religieuse, entre autres, sur l’enseignement à tous ses degrés.

Des secteurs moins cités comme le travail social sont en sérieuse difficulté. Des travailleurs sociaux de clubs de prévention arborent leurs appartenances religieuses sous prétexte d’être proches des publics d’un quartier, alors qu’il s’agit d’une mission de l’aide sociale à l’enfance, service public, sous le financement et le contrôle des départements. Là, tel éducateur prie avec tel usager qu’il accompagne sur son lieu de culte, ou encore, tel autre refuse de participer à une mission de prévention contre le sida en direction de collégiens pour raison religieuse, lorsque ce ne sont pas des aides médico-psychologiques qui refusent de s’occuper, dans une maison spécialisée, d’un couple d’homosexuels parce que cela est pour elles « péché ». Un secteur extrêmement sensible en contact direct avec des territoires avec lesquels il ne faut pas jouer. Sans compter encore avec des informations préoccupantes d’enfants en danger, qui doivent être traitées à la demande du ministère de l’Intérieur au titre de suspicion ou de risque de radicalisation de telle famille, évaluées par des travailleurs sociaux qui n’y sont ni préparés ni formés. Et ce, sans moyens d’imposer dans ce cadre administratif quoi que ce soit pour accéder aux informations essentielles permettant d’en prévenir les conséquences éventuelles.

Avec cette mission d’information, qui constate la progression de l’islam radical en France, pour atteindre le chiffre officiel de 21 039 personnes inscrites au fichier correspondant, nous entrons dans une nouvelle période, car elle vient comme coiffer bien des constats qui n’autorisent plus de dire « on ne savait pas ». Cela doit se traduire par une prise de conscience qu’il faut sortir du déni et agir. Cela passe par redonner de la cohérence à l’action publique à travers une politique de gestion de ses agents et acteurs, parfois privés qui en relaient le rôle, par la réaffirmation de nos principes républicains, des valeurs collectives qui en découlent, dans le prolongement d’une modernité démocratique qui est loin d’être acquise dans l’esprit de tous nos concitoyens."

Lire "Radicalisation dans les services publics : pourquoi certains secteurs résistent très bien quand d’autres se laissent infiltrer ?".



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