Revue de presse

G. Chevrier : "Communautarisme à l’IUT Saint-Denis : faut-il interdire le voile à l’université ?" (lefigaro.fr/vox , 21 mai 14)

23 mai 2014

"On apprend ce lundi que Monsieur Samuel Mayol, le Directeur de l’IUT de Saint-Denis (93) se trouve visé par des menaces de mort à caractère islamiste. Il n’en a pas reçu moins de quinze en trois mois ! Tout d’abord sur son lieu de travail puis directement chez lui. « Tu vas mourir, toi et tes enfants », dit l’une des premières, écrite avec des caractères découpés dans des journaux. Les dernières, adressées à son domicile, sont écrites en arabe : « J’appelle tous les musulmans à te punir. Tu dois payer, toi, tes proches, tes enfants ». Il a à chaque fois porté plainte au commissariat rejoint par une plainte de Jean-Loup Salzmann, le Président de l’Université à laquelle l’établissement est rattaché, Paris 13 Villetaneuse.

Ces lettres sont à replacer dans un contexte bien précis où de graves événements, perturbant la vie de l’IUT, sont intervenus. [...]

Bien sûr, le conseil d’administration et la direction de l’IUT n’ont pu établir pour l’instant un lien entre ces événements, il revient à la justice de le dire. Mais un climat de tension s’est installé à l’IUT depuis, auquel les lettres de menaces de mort donnent un écho très inquiétant. Aujourd’hui, le directeur vit dans la peur et pense constamment à sa sécurité. On le comprend ! Mardi matin, les professeurs se sont réunis en Assemblée générale pour apporter leur soutien massif au Directeur alors qu’une pétition dans ce sens circule. Le ministre de l’Education nationale, Benoît Hamon, lui a apporté aussi son soutien.

On parlera d’un fait isolé, mais dans combien d’universités des associations se disant culturelles pratiquent en réalité une logique communautaire à caractère religieux que l’on hésite, voire redoute à questionner ? Il serait intéressant qu’une véritable enquête, à la lumière de ce qui vient de se produire à l’IUT de Saint-Denis, soit menée à l’initiative des pouvoirs publics. Car on le sait, cette association n’est pas elle, dans sa démarche, un cas isolé.

Il se trouve que l’Université n’est pas un espace en vase clos, elle est aussi le reflet des tensions qui traversent la société au regard des revendications à caractère religieux qui ont pour origine, pour l’essentiel, l’islam. Quelques exemples sont significatifs. « Le droit est sans prise sur la foi » expliquent les auteurs d’un ouvrage intitulé Droit et religion musulmane publié chez Dalloz, signé Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, respectivement avocat de la Grande Mosquée de Paris et de la Grande Mosquée de Lyon. N’y a-t-il rien d’inquiétant à cette affirmation, qui encourage les musulmans à imposer leurs rites et pratiques au fil de revendications communautaires, visant à des aménagements qui reviennent à ce que la règle religieuse impose des reculs à la règle commune ? C’est une évidence !

Il faut dire que l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme intitulé « Liberté de pensée, de conscience et de religion » oblige les États parties à la Convention, à respecter et protéger ces libertés dans des termes qui sont à l’inverse de la laïcité de notre République. Si on y trouve affirmée la liberté de pensée ou de conscience, c’est la liberté de religion qui est surtout promue, exprimant que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. » Une formulation qui est une invitation à imposer partout sous toutes leurs formes les manifestations religieuses.

Lorsque le Conseil d’Etat facilite par de multiples dérogations le contournement de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat de décembre 1905, par la libéralisation du financement de lieux de cultes ou leur entretien à l’aide de fonds publics, nous sommes encore un peu plus loin dans cette dérive. Le Conseil d’Etat rejoint par là le clientélisme de trop d’élus locaux qui financent des projets à caractère cultuel, en jouant sur une politique des communautés contraire aux grands principes et à l’esprit de nos institutions.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) relaie une victimisation portée par toute une série d’associations qui dénoncent ce qu’elles appellent des actes d’islamophobie. Un concept qui finalement recouvre habilement la revendication à la reconnaissance du délit de blasphème sous couvert de défendre la liberté religieuse, qui est pourtant largement admis par la classe politique et portée par beaucoup de médias.

Encore à déplorer, tout récemment, le ministre de l’Education nationale Benoît Hamon, vient de satisfaire à la demande du très communautariste Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), d’autoriser la présence de mères voilées lors de sorties scolaires. « Il faut regarder au cas par cas, et faire preuve de discernement », a déclaré le ministre. Autant dire qu’il écarte définitivement la circulaire Chatel qui l’interdisait, en raison de la mission de l’école qui ne s’arrêtent pas à l’intérieur de ses murs, car à l’extérieur les enfants sont toujours scolarisés dans l’école publique laïque et les parents accompagnants censés ainsi se soumettre aux règles de tout encadrant, bénévole ou non. Un nouveau recul de la laïcité à l’école, après que le Conseil d’Etat ait déjà considéré en décembre 2013 que la Charte de la laïcité, qui promeut la neutralité dans le milieu scolaire, ne s’impose pas aux parents accompagnateurs. Les chefs d’établissement doivent donc décider seuls, en faisant face à des groupes de pression très actifs qui ne manqueront pas de se saisir de cette nouvelle voie d’eau.

Ce faisceau de faits, qui n’est que partiel, montre déjà l’encouragement à la mise en confiance de certains dont le but est clairement d’imposer une conception de la liberté religieuse relevant de la non-discrimination qui va dans le sens des accommodements dits raisonnables, antagonique avec l’égalité de tous devant la loi. Il est certain qu’à l’Université comme ailleurs, certains savent s’emparer de ce contexte pour mettre l’édifice républicain à mal, après l’échec rencontré pour imposer le voile dans l’école publique interdit avec l’ensemble des signes religieux ostensibles par la loi du 15 mars 2004.

On se souvient que, début août 2013, le rapport de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration sur le thème Expression religieuse et laïcité dans l’enseignement supérieur qui avait fuité malencontreusement, était présenté comme un brûlot cherchant querelle à l’islam en demandant « l’interdiction du voile à l’université ». En réalité, on trouvait dans cet Avis douze propositions, dont une qui entendait faire que, puisse être laissés à l’entrée des lieux d’enseignement et de recherche, de travail donc et des salles de cours, les signes religieux. Pourquoi ? Parce qu’il était apparu clairement à travers des témoignages alarmants lors des auditions réalisées dans ce cadre, qu’il n’était que temps de réagir en faisant diverses propositions visant tout d’abord à garantir des conditions d’enseignement satisfaisante pour tous les étudiants, croyants ou non. Il en allait de la sérénité de l’enseignement.

Ce qu’il s’agissait de garantir, c’était que ne soit pas contesté ou rejeté, au nom de la liberté d’opinion ou de la liberté religieuse, le contenu même de l’enseignement. Il apparaissait que pouvait même parfois s’exercer dans ce sens des groupes de pression de façon intolérable et que, la meilleure des façons de prévenir ces situations était de faire que l’on ne manifeste pas son appartenance religieuse, là où s’opère la transmission et la réflexion scientifique autour du savoir. Il n’était pas question d’interdire donc les signes d’appartenance religieuse sur les campus universitaire de façon générale, contrairement aux allégations de certains ou de viser une religion pour stigmatiser une population, comme cela a pu être dit.

Bien sûr, bien des pratiquants respectent les principes de fonctionnement de l’Université, il n’en reste pas moins un véritable problème révélé au grand jour par ce qui se produit à l’IUT de Saint-Denis et qui n’est pas le premier. On ne peut ignorer la montée d’une pression communautaire qui relève d’un prosélytisme qui doit être rejeté sans ambiguïté. A défaut de quoi, dans certaines universités, les choses vont devenir de plus en plus difficiles à gérer pour les enseignants, mais aussi spécialement pour les élèves qui entendent recevoir un enseignement qui correspondent aux engagements de l’Université à leur permettre de réussir.

Parmi les douze propositions, il était question que soit consacré un temps d’enseignement à l’étude du principe de laïcité pour les étudiants durant le cycle de licence. Mieux encore, la huitième proposition portait précisément sur la recommandation « que toute occupation d’un local, au sein d’un établissement d’enseignement supérieur par une association étudiante, fasse l’objet d’une convention d’affectation des locaux. Ces locaux ne peuvent en aucun cas être affectés aux cultes. Des critères d’attribution, en particulier la non-discrimination et l’égalité hommes-femmes doivent être retenus. Hors les aumôneries, l’objet et les activités de ces associations ne sauraient être cultuels. »

L’Université est aussi au cœur des enjeux de la laïcité parce que c’est le lieu de diffusion des savoirs et de leur questionnement qui n’est pas étranger à la formation du citoyen, le lieu d’apprentissage du libre examen de soi, de la pensée critique. N’est-ce pas là que se joue une part de cette histoire commune de notre pays qui est à construire avec tous ?

L’Université doit rester un lieu qui ne se voit imposer de l’extérieur ses règles et ses contenus, un véritable lieu de liberté d’accès à la connaissance, sans restriction ni primauté. Il en va aussi de donner à chacun sa chance de pouvoir se construire sa propre liberté."

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