Revue de presse

"Farida Belghoul : ennemie ou produit de la gauche morale ?" (Marianne, 7 fév. 14)

15 février 2014

"Le plus beau numéro de gêne hypocrite nous a été offert par Libération qui, sur deux pages, a feint de découvrir "une certaine Farida Belghoul" à l’origine de la journée de retrait des classes dans plusieurs ZEP. Mais l’article s’illustrait d’un beau portrait de cette supposée inconnue : le même qui avait été publié en 2008 par le même Libération pour faire son éloge ! Le quotidien s’enflammait alors pour "l’égérie du milieu beur", "française, totalement française", "drôle comme tout, s’emportant devant chaque injustice", et racontait son parcours."

Lire ci-dessous "Toujours en marche" (Libération, juin 08).


"Farida Belghoul ? Le retour. Allons donc, elle s’était juste absentée. Aujourd’hui, dans son F3 d’une cité à Bezons où elle vit seule avec ses trois enfants, Farida parle sans fin. Farida, comme toujours. Farida qui a 50 ans, drôle comme tout, s’emportant devant chaque injustice. Quelques jours auparavant, on l’avait revue dans les bureaux de Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités nouvelles, qui avait bien voulu la recevoir.« Oui, j’essaye encore une fois une action publique. Ça fait vingt-cinq ans que je me taisais, dit-elle. Et puis on verra. »

Se taire, elle ? Au début des années 80, elle était l’égérie du milieu beur. Elle adorait ça. Elle adorait convaincre, débattre, s’engueuler, affronter les militants professionnels. Farida, fille d’un éboueur algérien et d’une femme de ménage, aînée de cinq enfants, terminait alors sa maîtrise de Sciences Eco. Française, totalement française. Farida, la combattante, avait été à l’origine de cette seconde marche des Beurs, « Convergence », qui avait rassemblé en décembre 1984 plus de 60 000 personnes, place de la République. Avec ce fameux slogan : « La France, c’est comme une mobylette, pour avancer, il lui faut du mélange. » Une magnifique initiative, s’achevant par une marche tonique et passionnée.

Vingt-cinq ans plus tard, on la retrouve, le visage un peu fatigué. Mais inchangée, passionnée, directe, intraitable devant les petites médiocrités. Pendant ce quart de siècle, Farida-la-publique s’est peu à peu repliée, écrivant d’abord des livres, puis passant son Capes de lettres, avant de se retrouver à enseigner dans ces lycées professionnels, « où, au moins, là, on ne joue plus ».Et voilà donc que depuis peu, elle a voulu ressortir la tête dehors. Avec un projet : faire avec les ados de banlieue la même chose qu’avec les gosses de beaux quartiers, leur donner des cours particuliers. « Mon idée ? Prendre 16 à 18 ados, sortis du système scolaire sans savoir ni lire ni écrire, et leur proposer un dispositif de seconde chance par une instruction individuelle à domicile de deux heures par jour. Et ensuite, pourquoi pas, généraliser la méthode. »

Mais pourquoi diable renouer avec l’engagement à 50 ans ? « On ne se rend pas compte de l’état dans lequel se trouvent les élèves. Depuis quinze ans, je suis prof de français en lycée professionnel et je vois ce qu’il en est. Certains de mes élèves, à Noisy-le-Sec, sont illettrés et incultes. Et qu’est-ce que j’entends ? Partout, tout le temps on accuse les familles. C’est leur faute. Pourquoi pas ? Mais ces gamins ont quand même passé huit heures par jour en classe, huit mois par an, pendant dix ans. D’une certaine façon, les enseignants les ont vus plus souvent que leurs propres parents. » Farida sort les copies de ses élèves. Une copie d’un élève de 19 ans, scolarisé, en terminale professionnelle maintenance. C’est la copie d’une dictée.« Et voilà le résultat :"Gavroch rempait a plat ventre, galopé a quatres pâttes, prennait sont paniè au dents, ceux tordair, glissait, ondulait, cerpenté d’un mort à l’otre." »Elle est intarissable. « C’est dingue. Je tombe sur des gosses qui ne sont jamais sortis de leurs ascenseurs. Attends, ce ne sont pas des débiles. Ils ne savent ni lire, ni écrire, ni compter. Comment veux-tu qu’ils se défendent. »Elle est intarissable sur l’état de ces lycées, sur ces classes pro où les enseignants font cours devant des chaises vides.« Les élèves sont tous mis à la porte. »Ces élèves qu’elle adore.

Alors, que faire ? Une collègue lui a dit méchamment : « On les a mis à la porte du lycée, c’est pas pour travailler dehors avec eux. » Et bien, si. Son dernier combat a un drôle de nom : Reid, pour Remédiation éducative individualisée à domicile (1). « Je ne compte plus sur les financements publics. Je n’y crois plus. Mon dernier recours est de m’adresser à la société civile. Si 25 000 personnes donnent chacune 10 euros pour ce projet, la somme permet de couvrir la totalité des frais de la première année de fonctionnement du Reid. J’ai déjà créé moi-même l’association loi 1901. Tout est prêt : les jeunes candidats au Reid attendent, les instructeurs sont disponibles, le programme est conçu, il ne manque que l’argent. Nous voulons démarrer en septembre 2008. Il y a même un comité d’experts qui se constitue pour suivre ce dispositif. Ce seront des experts qui connaissent le terrain, pas des experts d’en haut qui noieraient le poisson. Des enseignants de lycée professionnel notamment. »

La vie de Farida est finalement un drôle de mélange, cocktail de fatalité et de révolte, de silences et de cris. Farida, si fière à 8 ans quand elle pose sur cette vieille photo de famille, avec ses parents. Mais Farida, fidèle à son histoire : plus tard dans un de ses livres, elle écrira à propos de la langue kabyle de son père, arrivé en France en 1951 : « En vérité, si mon père me la vend, je n’achète pas sa langue. Je collectionne juste ce qui brille. Tant pis ! Le principal, c’est la beauté de sa voix. La sienne, je la paye tout de suite. »

Farida, militante : un jour, au Palais de l’Unesco, en mars 1984, elle se bat avec véhémence pour lancer la seconde marche des Beurs : « Le droit à la différence est une concession du dominé. L’enjeu n’est pas la reconnaissance des différences qui de toute façon existent, mais plutôt la conquête collective des droits universels »,dit-elle. Farida la passionnée : tous les acteurs de l’époque se souviennent d’elle, en pleine euphorie du mouvement beur, bataillant férocement contre Harlem Désir qu’elle avait connu à la fac : il était alors militant du PS et pour lancer SOS Racisme, ce dernier racontait à tout vent qu’il était un « simple jeune, choqué du racisme », alors qu’au même moment Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l’Elysée pilotait l’opération. Farida ne décolérant pas devant tous ces mensonges.

Farida croyante, aussi : quittant la sphère publique, elle l’est peu à peu devenue, à la grande surprise de ses proches. Une foi personnelle, privée. Farida qui se perd aussi, se débrouillant tant bien que mal dans des histoires d’amour un rien chaotiques, élevant au final seule ses trois enfants, Meriem, Hussein, Zine. Elle a même décidé de les retirer du collège pour leur faire « cours à la maison ». « Ce n’est pas par plaisir personnel, explique Farida,mais je voyais la situation se dégrader avec Meriem, ma fille de 14 ans, elle ne travaillait plus. » Dans un documentaire qui vient d’être fait sur cette expérience (2), Farida dit à sa fille : « J’ai peur de ton évolution, je ne veux pas te retrouver dans l’état de mes élèves. » Meriem, ce jour-là, lui répond joliment :« Je voudrais que tu comprennes que l’école, ça me manque. C’est vrai que côté travail, c’est nul, mais avec les copines, c’est mieux. » Farida écoute : « Moi, lui dit-elle, j’aimerais simplement que tu arrives à te défendre dans la vie. »

Farida qui repart, enfin, à l’assaut. « Farida est tout sauf diplomate, dit Dominique Chaudoye, professeure de lettres dans le même lycée professionnel. Sa force, c’est sa capacité à s’en sortir, y compris quand elle est noyée dans des situations impossibles. Ce qui me frappe, c’est son acharnement à trouver des solutions. Son projet, j’y crois. » Et si cela ne marche pas ? « J’aurais essayé »,répond sans hésiter Farida.

(1) http://blog.reid.fr/
(2) Sauve qui peut, documentaire de Samia Chala."


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