Note de lecture

F. Nicolino, F. Veillerette : la peste des pesticides (G. Durand)

par Gérard Durand. 28 mars 2020

Fabrice Nicolino, François Veillerette, Nous voulons des coquelicots, éd Les liens qui libèrent, 2018, 128 p., 8 €.

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Ce livre est un manifeste contre une industrie devenue folle, qui détruit tout et surtout notre santé, mais est aujourd’hui triomphante grâce aux relais d’opinion qu’elle a mis en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, lesquels parviennent à convaincre les peuples que leur empoisonnement est synonyme de progrès au mépris total de la réalité.

La réalité ne se cache pourtant pas, chacun peut la constater. Au cours des 27 dernières années, 80 % des insectes volants ont disparu, avec un tiers des oiseaux de nos campagnes, alors même que 80 % des plantes permettant de nous alimenter ont besoin de pollinisateurs pour produire notre nourriture.

L’histoire commence dès la fin de la Seconde Guerre mondiale avec l’apparition du DDT, remède miracle pour lutter contre les parasites. Dès 1946 est créé l’INRA, premier des faux nez de l’industrie agro-alimentaire. A cette époque, nos ingénieurs n’avaient pas de mots assez élogieux pour vanter les rendements extraordinaires de l’agriculture américaine et l’importation en Europe de ses méthodes de production. Fin 1959 est créé le Comité de lutte contre les mauvaise herbes (COLUMA), qui va devenir le fer de lance de l’industrie des pesticides. Dont le 2,4-D dont l’on sait aujourd’hui qu’il est cancérigène. Un an plus tard, le tristement célèbre « Agent Orange » est massivement dispersé sur les forêts vietnamiennes ; 60 ans après il aura pénétré tous les organismes vivants, humains compris et trois ou quatre générations plus tard souffrent encore de pathologies graves - on les estime à plus de trois millions.

Bien sûr on ne savait pas, ou on n’a pas voulu savoir. Car depuis que l’on sait rien n’a véritablement changé : les molécules tueuses sont toujours répandues et la machine construite pour en promouvoir l’usage n’a cessé de se perfectionner. Mais en 1962 une bombe éclate sous les pas des industriels quand le New Yorker publie en feuilleton l’ouvrage de Rachel Carson Le Printemps Silencieux. « Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’homme vit au contact de produits toxiques depuis sa conception jusqu’à sa mort ». Rachel Carson ne s’arrête pas là : « Si nous sommes condamnés à vivre dans l’intimité de ces produits, les mangeant, les buvant, les emmagasinant dans la moelle de nos os, autant nous renseigner sur la nature de leurs pouvoirs. »

Quand le livre paraît en entier, les industriels sont déjà installés derrière leurs mitrailleuses lourdes. Rachel Carson reçoit des milliers de lettres d’insultes, auxquelles elle ne pourra répondre car elle meurt d’un cancer à l’âge de 54 ans. Comme souvent aux Etats-Unis, s’opposer aux multinationales conduit à se faire traiter de communiste. Dans son journal d’entreprise, Monsanto joue l’ironie en publiant une parodie du livre qui montre une terre désolée et ravagée par les nuisibles parce qu’on a refusé l’utilisation de pesticides. En France les choses sont moins faciles, le livre est défendu par un éminent chimiste, Roger Heim, mais les attaques sont massives avec au tout premier rang les syndicalistes agricoles de la FNSEA.

La suite de ce petit opus de 130 pages nous décrit avec une grande précision la montée en puissance des lobbies et leurs méthodes, tout y est avec les dates les noms de leurs partenaires agissant sous couvert de science. On voit se transformer les noms quand les pesticides deviennent des phytosanitaires, les congrès à la gloire des nouveaux produits, un Grenelle bidon jusqu’au atermoiements concernant l’interdiction du glyphosate.

La France est une démocratie mais n’espérez pas que votre vote va changer quelque chose. En 1981, François Mitterrand va choisir Henri Nallet comme conseiller puis comme ministre de l’agriculture, en sachant très bien qu’il a été l’un des conseillers de la FNSEA. Nallet va s’illustrer dans la gestion du scandale du chlordécone, ce traitement qui empoisonne les sols pour plusieurs centaines d’année mais dont l’autorisation de mise sur le marché sera prolongée, sous le nom de curlone, par Edith Cresson. Nallet finira tranquillement sa carrière comme lobbyiste des laboratoire Servier, un spécialiste de la mort par empoisonnement en quelque sorte ! Les criminels peuvent dormir tranquilles. Bayer, qui a produit les gaz de combat pendant la Première Guerre mondiale puis, sous le nom d’IG Farben, les gaz Ziclon B des camps d’extermination pendant la Seconde, met sur le marché le gaucho, dont la responsabilité dans le massacre des abeilles parait très évidente. La chicane judicaire va durer plus de seize ans, mais en janvier 2002 un autre ministre socialiste, Jean Glavany, va prolonger de dix sont autorisation.

La suite du livre nous rapproche d’aujourd’hui et l’on s’aperçoit que les chose empirent. Le pesticides, devenus produits phytosanitaires, dont la France s’est engagée à réduire l’utilisation de 50 % lors de cette spectaculaire conférence COP 21 voient leur utilisation bondir de 12 %. Des noms nouveaux apparaissent, des faux nez se multiplient, organismes « indépendants » constitués de haut fonctionnaires ou de pseudo savants en plein conflit d’intérêt. Les néonicotinoïdes se diversifient avec l’aide constante de dizaines de milliers de lobbyistes, à Bruxelles etc..

La conclusion des auteurs est simple : « Le crime est presque parfait ». Leur seul espoir est une mobilisation des consommateurs, il est bien mince.

Gérard Durand


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