Revue de presse

"Europe : à chacun sa laïcité" (Sciences humaines, fév. 05)

18 mars 2005

"Coopération Églises-État dans les Länder allemands, respect de la pluralité culturelle et religieuse chez les Anglais, laïcité garante de la liberté confessionnelle en Italie... Dans la diversité des modèles européens, c’est bien souvent la reconnaissance des religions qui est au centre du principe de laïcité. [...]

Tout en proclamant qu’il n’y a pas d’Eglise d’Etat, « l’Etat allemand cède (...) une partie de l’espace public aux institutions religieuses issues des institutions religieuses historiques »(4). Ces dernières sont reconnues comme des institutions politiques qui participent au bien commun. Loin de réduire l’action publique à la seule action de l’Etat et des collectivités territoriales, en Allemagne, on reconnaît une mission d’intérêt public aux Eglises. [...]

Le Royaume-Uni est une monarchie multinationale (la reine est nommée Defender of the Faith et Supreme Governor of the Church) qui compte deux Eglises établies dont le nom même indique combien elles sont liées à l’identité des nations concernées : la Church of England (anglicane) et la Church of Scotland (presbytérienne). Ces Eglises ne sont cependant pas financées par les pouvoirs publics. En Ecosse, ce ne sont pas des laïcs contestant les prétentions du religieux qui ont réclamé le désétablissement de l’Eglise presbytérienne, mais des religieux non conformistes ardents partisans de la séparation des Eglises et de l’Etat (ils fondèrent en 1843 une Eglise presbytérienne libre). Les archevêques et vingt-quatre évêques anglicans siègent dans la deuxième chambre du Parlement, la House of Lords. Une loi sur le blasphème « protège » le christianisme mais pas l’islam. [...]

En Italie, le texte du Concordat de 1984 stipule que « les principes du catholicisme font partie du patrimoine historique du peuple italien » et que la République italienne et le Saint-Siège collaborent « pour la promotion de l’homme et le bien du pays ». En abrogeant la « religion d’Etat », ces accords prévoient un régime d’autofinancement des cultes et la liberté « d’exercer le droit de profiter ou non de l’instruction religieuse à l’école ». [...]

En Italie, la laïcité de l’Etat n’implique donc pas l’indifférence de celui-ci devant les religions, mais la garantie du maintien de la liberté religieuse dans un cadre régime de pluralisme confessionnel et culturel, ce qui entraîne aussi bien l’enseignement de la religion catholique sur la base de l’évolution et de la valeur formatrice de la culture religieuse et de l’incorporation des principes du catholicisme au patrimoine historique du peuple italien que le respect, par l’Etat, du droit objectif du choix de suivre ou de ne pas suivre le cours de religion ainsi prévu.

On peut donc dire qu’en Europe prévaut une laïcité de reconnaissance du religieux. Tout en respectant l’autonomie respective de l’Etat et des religions et en veillant à garantir les principes fondamentaux de liberté et de non-discrimination qu’elle implique, la laïcité à l’échelle de l’Europe reconnaît les apports sociaux, éducatifs et civiques des religions et les intègre de ce fait dans la sphère publique. Même si des courants anticléricaux existent dans différents pays, même si des formes militantes de laïcité se rencontrent également (comme en Belgique), il reste que, globalement, la différence la plus sensible avec la France est sans aucun doute l’absence dans de nombreux pays de prévention particulière face au religieux en tant que tel.

Quant à l’intégration européenne, elle a, pour la laïcité, essentiellement deux conséquences qui consacrent ce principe tout en le banalisant. Elle renforce tout d’abord sa juridicisation et son inscription dans le registre des droits de l’homme et des principes fondamentaux des démocraties libérales et pluralistes, quels que soient leur régime des cultes et leurs particularités religieuses. Par ailleurs, dans la manière dont les religions et convictions philosophiques organisent leur présence auprès des institutions européennes à Bruxelles, la laïcité se trouve surtout prise en compte comme conception philosophique particulière (libre pensée, humanismes athées) à côté des conceptions religieuses de l’homme et du monde et non comme idéologie supérieure et englobante par rapport aux religions (selon la logique belgo-néerlandaise où le monde laïc est institué comme segment particulier de la société à côté de mondes religieux). En conséquence, l’européanisation pourrait contribuer à une certaine marginalisation du modèle hexagonal de laïcité si, du moins, celui-ci restait figé ce qui n’est en fait pas le cas. Même si, en effet, on observe régulièrement la réactivation des dimensions antireligieuses de la laïcité française, notamment face aux problèmes des groupes sectaires et d’expressions fanatiques de l’islam, les pratiques françaises de la laïcité ont largement évolué vers une laïcité de reconnaissance sociale des religions qui la met au diapason de l’Europe."

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