Revue de presse

"En Allemagne, des réfugiés musulmans se convertissent au protestantisme" (Le Monde, 7 juin 16)

7 juin 2016

"En Allemagne, les réfugiés musulmans venus de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan sont nombreux à se convertir au protestantisme. Malgré la réprobation de leurs proches et les suspicions qu’engendrent ces nouveaux baptêmes

Jusqu’à ces dernières semaines, il s’appelait Ali. Mais, depuis Pâques, la vie de cet Irakien de confession musulmane a changé. Sept mois après son arrivée en Allemagne, à Stuttgart, il a décidé de se convertir. Il est désormais protestant et s’appelle Adam. Un prénom que ce grand gaillard de 24 ans, un peu timide, dit " avoir toujours aimé ". " J’éprouve un sentiment indescriptible. C’est comme une nouvelle naissance ", ajoute ce technicien qui, en Irak, était spécialisé dans la maintenance d’appareils médicaux.

Adam est loin d’être un cas unique. Même si les Eglises ne fournissent aucun chiffre, il est clair qu’au moins plusieurs centaines de réfugiés arrivés récemment en Allemagne se sont convertis, au protestantisme pour une grande majorité d’entre eux. A Stuttgart, le pasteur Hanna Josua, responsable de la communauté arabe évangélique de la ville, qui a baptisé Adam et sept autres personnes venues de Syrie et d’Irak à Pâques, devrait baptiser toute une famille dans les semaines à venir.

Dans d’autres villes, le phénomène est encore bien plus massif. A Hambourg, 196 Afghans et Iraniens ont déjà été baptisés cette année par le pasteur Albert Babajan, responsable de l’église Alpha et Omega, de la communauté perse chrétienne. Selon lui, cinq cents devraient l’être cette année. A Berlin, l’Eglise évangélique-luthérienne de la Trinité connaît un phénomène comparable. Quel que soit le jour de la semaine, on entend désormais davantage parler farsi qu’allemand dans cette paroisse protestante située dans une rue calme de Steglitz, dans le sud de la ville.

Le 23 avril, pas moins de vingt-cinq personnes venues d’Iran et d’Afghanistan – en majorité des hommes, mais aussi des femmes aux longs cheveux auburn et quelques enfants – y ont été baptisées. Le 27 février, quinze autres l’avaient été. Et vingt-cinq le 12 mars. A chaque fois, l’église est pleine à craquer, mais on ne compte qu’une poignée d’Allemands, souvent âgés. A la tête d’une communauté de 945 fidèles, fin 2015, contre 659 un an plus tôt, Gottfried Martens est un pasteur débordé. Pour la première fois, ce quinquagénaire énergique n’a pas réussi à rédiger son rapport d’activité annuel avant l’assemblée du 1er mars. Intrigué par ce phénomène, Volker Kauder, président du groupe CDU au Bundestag, s’est même déplacé pour rencontrer cette paroisse pas comme les autres.

Tout a commencé en 2008, lorsque deux réfugiés iraniens convertis ont quitté Leipzig pour Berlin et ont rejoint cette Eglise considérée comme conservatrice. Depuis, grâce au bouche-à-oreille, plusieurs centaines d’Iraniens et d’Afghans s’y retrouvent régulièrement. Le 4 mai, quinze minutes ont été nécessaires à Gottfried Martens et à son traducteur pour faire l’appel et repérer les – très rares – absents d’une liste comportant 222 noms. Autant de personnes qui souhaitent se faire baptiser et vont suivre durant une heure et demie le cours sur " la prière ", aussi studieusement qu’elles avaient suivi la semaine précédente celui sur " l’office religieux ".

" Contrairement à l’islam, la prière chrétienne n’est pas un devoir qu’il faut accomplir à un moment précis de la journée. Il n’y a pas non plus de formulation précise. Dieu est notre père. Ni lui ni personne ne nous dit combien de fois par jour il faut lui parler ni ce qu’il faut lui dire ", explique Gottfried Martens. " On peut tout lui dire. L’important est de le remercier. Il est bon de le remercier au moins une fois par jour. Il faut être honnête quand on prie. Certaines attitudes peuvent aider. Joindre les mains ou fermer les yeux par exemple. Mais, si vous priez en conduisant, je vous le déconseille ", poursuit-il, s’autorisant une note d’humour dans cette leçon plutôt austère. Même si une petite minorité seulement de l’auditoire prend des notes, les participants sont attentifs. Les portables restent dans les poches. Il est vrai que, devant chaque banc, les petits papiers rédigés en allemand et en farsi sont formels : " Dieu est toujours présent. Nous le respectons. (…) Celui qui parle pendant la messe ou utilise son portable ou son smartphone montre qu’il ne respecte pas Jésus-Christ. "

A l’issue du cours, Gottfried Martens embrasse les hommes et les femmes qu’il n’a pas eu l’occasion de rencontrer au début de la séance. Manifestement, il les connaît tous. Cet homme à la fois direct et chaleureux et qui parle quelques mots de farsi inspire confiance à ses ouailles. Certains traversent une bonne partie de la ville pour écouter le pasteur. Comme Artemas, un Iranien de 33 ans qui s’est fait baptiser il y a quatre ans et qui vient à Steglitz " presque chaque semaine ",bien qu’il habite dans un quartier assez éloigné. " En Iran, j’ai comparé les différentes religions. Le catholicisme m’a paru plus strict, un peu comme l’islam. J’ai préféré le protestantisme ", explique ce célibataire qui fait une formation pour être vendeur de voitures. Selon lui, " beaucoup de gens quittent l’islam, car ils trouvent cette religion trop sévère et condamnent l’organisation Etat islamiste ".

Mais se convertir n’est pas facile. Même s’il assiste au cours de Gottfried Martens, un Iranien de 29 ans, arrivé en début d’année à Berlin et qui veut rester anonyme, hésite encore. " Je suis musulman, mais je ne veux pas d’un Dieu triste et d’un Dieu qui tue. En Iran, je cherchais déjà des informations sur d’autres religions, mais la police surveille les lieux où l’on peut en obtenir. Ici, je cherche ce qui correspond à mes convictions. Le catholicisme est plus strict. Je n’ai pas peur d’être chrétien, mais il n’est pas facile de quitter l’islam et de ne pas quitter sa famille ", reconnaît-il. A Stuttgart, Adam confie s’être converti car, lorsqu’il a quitté Bagdad, sa mère, catholique chaldéenne, lui a donné son feu vert. Par ailleurs, son père, musulman, est aujourd’hui décédé.

Les conversions ne vont de soi ni pour les convertis ni pour les autorités religieuses. " La majorité des pasteurs n’y sont pas favorables ", reconnaît Hanna Josua, lui-même originaire du Liban. " Les grandes Eglises hésitent à parler du phénomène, car elles veulent éviter les conflits et redoutent les problèmes dans le dialogue interreligieux. Or, c’est un sujet très sensible pour les musulmans ", explique Jörn Thielmann, qui dirige le Centre pour l’islam et le droit en Europe (Ezire), à l’université bavaroise d’Erlangen-Nuremberg.

L’Eglise protestante a malgré tout publié, fin 2013, un fascicule d’une trentaine de pages pour aider les pasteurs à " gérer les désirs de baptême des demandeurs d’asile ". Certes, ces demandes de conversion constituent un " événement positif " pour des paroisses qui ont tendance à se dépeupler, y est-il expliqué, mais pour ajouter aussitôt : " Pourtant, les ministres du culte sont parfois en proie au doute : cette conversion est-elle sérieusement pensée ? Ne s’agit-il pas seulement pour le baptisé d’assurer son séjour ici ? Ai-je, en tant que pasteur, suffisamment indiqué que la conversion ne protège pas automatiquement d’une possible expulsion ? Devrais-je recommander une plus longue période probatoire avant d’accorder effectivement le baptême ? "

Un soupçon plane en effet sur ces convertis. Ne se feraient-ils pas baptiser uniquement pour rendre leur retour dans leur pays dangereux et ainsi contraindre l’Allemagne à leur accorder un titre de séjour ? Pour éviter un tel phénomène, l’Eglise catholique allemande affirme qu’un baptême demande " un an de préparation ". De son côté, le ministère de l’intérieur répète que les conversions ne garantissent pas l’obtention du droit d’asile.

Malgré tout, certains réfugiés y voient une chance supplémentaire. " Je suis ici depuis cinq ans, mais il y a deux mois que je ne touche plus d’argent et qu’on m’a dit de rentrer en Afghanistan. C’est impossible : les talibans me menacent parce que, sur place, j’ai travaillé avec Médecins sans frontières. C’est justement pour cela que je suis parti avec ma famille. Je me convertis à la fois parce que j’ai besoin de croire et que je veux que mes enfants puissent rester en Allemagne. Ma femme reste, elle, musulmane ", témoigne, désespéré, un Afghan de 47 ans rencontré à Steglitz. Mais ces " conversions juridiques " sont minoritaires. " Une grande majorité des convertis sont des personnes qui ont un réel besoin spirituel, mais qui ont le sentiment que l’islam est manipulé à des fins politiques. Ce faisant, ils prennent le risque de se couper de leur famille, de leurs amis, et d’avoir des réactions hostiles de leurs voisins ", note Jörn Thielmann.

Lorsqu’il a reçu le député de la CDU Volker Kauder dans sa paroisse, Gottfried Martens a d’ailleurs dénoncé les violences que les convertis subissent dans les foyers où ils sont logés à leur arrivée. Tant de la part d’autres réfugiés que d’agents de sécurité musulmans. Pour cette raison, nombre de convertis refusent d’être mis en avant. Pour Gottfried Martens, la crainte que ceux-ci se soient fait baptiser par simple intérêt est infondée. " Seulement 6 % des paroissiens d’origine perse ou afghane n’ont pas pris part à la communion l’année dernière contre un tiers des paroissiens allemands ou germano-russes ", note-t-il dans son rapport d’activité.

" Je ne baptise personne qui n’appartient pas à notre communauté, qui n’a pas suivi des cours intensifs, qui n’est pas lui-même convaincu et qui insulte l’islam ", résume de son côté Hanna Josua. " J’ai commencé à baptiser des convertis dans les années 1990. Ce sont aujourd’hui encore les premiers à me souhaiter une bonne fête à Noël et à Pâques ", affirme-t-il, refusant tout prosélytisme. " Les prochains séminaires que j’organise pour ceux qui veulent être baptisés ne commencent qu’en septembre. Si certains sont pressés, ils sont libres d’aller voir ailleurs ", dit-il.

Mais le rôle d’Hanna Josua, comme celui de Gottfried Martens, n’est pas que sacerdotal. C’est sans doute aussi ce qui explique leur succès. " Baptiser n’est qu’une petite partie de notre travail. On traduit des documents, on cherche un logement, on essaie de leur trouver des amis à proximité quand ils déménagent. Nous avons un réseau dans tout le sud de l’Allemagne. On se rend compte combien l’intégration est difficile ", résume ce pasteur, aveugle, dont la propre intégration en Allemagne, dans les années 1980, n’a pas été évidente.

Quant à Gottfried Martens, il a carrément installé deux petits dortoirs au sous-sol de la paroisse pour accueillir les réfugiés sans abri et, chaque dimanche, après la messe, des bénévoles préparent " de délicieux repas perses ou afghans " pour environ quatre cents personnes. Autant d’initiatives matérielles essentielles pour des réfugiés souvent accablés de solitude."

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