Revue de presse

"« Décivilisation » : quand la gauche ne sait pas de quoi elle parle" (J.-Y. Camus, Charlie Hebdo, 31 mai 23)

(J.-Y. Camus, Charlie Hebdo, 31 mai 23). Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite. 3 juin 2023

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Lire "« Décivilisation » : quand la gauche ne sait pas de quoi elle parle".

"En utilisant le terme de « décivilisation », Emmanuel Macron s’est vu critiqué par la gauche, qui l’accuse de parler comme le théoricien du grand remplacement Renaud Camus. Les deux hommes tiennent pourtant un discours radicalement différent.

Le mot « décivilisation », prononcé la semaine passée par le président de la République, a été accueilli à gauche par une ­manoeuvre de diversion qui traduit son désarroi idéologique : elle a aussitôt invoqué une avancée du chef de l’État sur le terrain « de l’extrême droite », en l’espèce de l’écrivain Renaud Camus, icône identitaire qui publia, en 2011, un ouvrage du même nom.

Le coup est imparable : le nombre de lecteurs du livre en question, dédié à Richard Millet, étant réduit, on peut ne jamais évoquer précisément sa thèse centrale. Or elle n’a rien à voir avec le propos présidentiel puisque, selon Renaud Camus, il existe des limites à l’égalité, et certains domaines comme la famille, la culture, l’art, l’art de vivre ne peuvent être régis par le principe démocratique, qui est celui du nombre, René Guénon aurait dit du « règne de la quantité ».

Renaud Camus, qui mit en couverture de son ouvrage une photographie du néo­classique Grand Théâtre de Nîmes, justifie « l’existence et même la nécessité d’une classe cultivée pour une large part héréditaire ». Position élitiste et réactionnaire d’un auteur pour qui la perte de nos bases civilisationnelles est une des conditions qui ont permis le « grand remplacement », son thème de prédilection. Il est évident que Macron ne partage pas cette vision du monde. Certains lui appliqueront la maxime de ­Bossuet selon laquelle « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes », mais il est allé chercher ses références ailleurs qu’à l’extrême droite.

Une déformation du pacte qui nous fait faire nation

C’est Norbert Elias, sociologue juif et allemand qui, dans son livre Les Allemands, publié en 1989, utilise le terme « Entzivilisierung », ou « décivilisation ». Il le fait en écho à un autre livre, Sur le processus de civilisation, paru en 1939, dans lequel il décrit le polissage des mœurs, le contrôle des émotions, l’évolution du raffinement et du savoir-vivre, la maîtrise de la guerre par l’État qui, en se centralisant, élimine les vengeances privées et la violence débridée du Moyen Âge. Tout cela forme le processus de civilisation qui, précisément dans l’Allemagne nazie, est en train de s’effondrer.

Nous n’en sommes pas là mais, d’un point de vue strictement républicain, certes un peu « hussard noir » mais parfaitement défendable, il me semble que nous sommes arrivés à un point d’« ensauvagement  » qui résulte d’une déformation du pacte qui nous fait faire nation. Le pacte républicain est un équilibre subtil de droits et de devoirs. Il lie des individus, pas des agrégats de communautés. Si l’équilibre penche, et c’est le cas, vers une hypertrophie des droits individuels (« moi, j’ai le droit de… »  ; « moi, je veux ») et collectifs (« nous, minorité, exigeons le droit de… »), le délitement vient.

Les faits divers tragiques qui ont poussé Macron à s’exprimer font système parce qu’ils démontrent la baisse de l’autorégulation des pulsions, le refus délibéré de brider ses désirs, même s’ils mettent en danger autrui, et le choix assumé de refuser cette décence commune, cet esprit civique, qui ne sont pas l’apanage de la droite et furent même au cœur du combat pour faire émerger le citoyen éclairé. Mais peut-être sommes-nous déjà arrivés au point tragique où le terme « civilisation » est considéré comme « de droite »."


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