Congrès de la Libre Pensée (9 juil. 08) : message du CLR

9 juillet 2008

Message de Philippe Foussier, président du CLR, lu au Congrès de la Fédération nationale de la Libre pensée, le 9 juillet 2008 à Roanne.

Citoyennes, citoyens, chers amis,

Merci au nom du Comité Laïcité République de nous inviter à nous exprimer une nouvelle fois devant vous. Nous partageons de nombreux combats communs, nous nous croisons régulièrement dans des manifestations ou des réunions au cours de l’année et c’est donc avec plaisir que nous avons répondu à votre invitation. Le CLR, son bureau, ses militants, vous adressent un salut amical, laïque et républicain et tous leurs encouragements pour le déroulement de votre congrès national. Un salut particulier à ceux que nous côtoyons souvent à Paris, Marc Blondel, Christian Eyschen et Jacques Lafouge.

Cet échange est aussi une occasion de vous faire part des préoccupations qui sont les nôtres, et que nous savons partagées ici et au sein du mouvement laïque. L’an dernier nous vous avions fait part de nos inquiétudes face à l’offensive créationniste dont notre ami l’ancien ministre Guy Lengagne avait été un témoin privilégié au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Nous vous avions également indiqué nos craintes de voir un nouveau traité européen porteur du même contenu attentatoire à la laïcité que le Traité constitutionnel européen rejeté par les Français en mai 2005 [1]. Le Parlement l’a désormais adopté.

Aujourd’hui, nous souhaitons vous dire quelles sont nos craintes pour les valeurs d’universalisme auxquelles nous sommes attachés, lesquelles découlent à chaque fois d’un même texte initial, celui adopté par l’Assemblée constituante le 26 août 1789 [2]. Ce sont d’une part les risques contenus dans le projet de révision du préambule de la Constitution française et, d’autre part, les menaces qui pèsent sur le caractère universel des principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous célébrerons le 60e anniversaire en décembre prochain.

Le président de la République a donc installé un comité de réflexion présidé par Mme Simone Veil, qui doit remettre prochainement un rapport qui servira de base à un projet de loi constitutionnel. M. Sarkozy entend en particulier que le préambule de notre Constitution prévoie d’assurer le « respect de la diversité ». A travers un vocable sympathique, celui de la « diversité », c’est en réalité un principe fondamental de notre droit et au-delà de notre République qui est en danger [3]. Ce souhait de réécriture, qui est plus qu’un « toilettage », a d’ailleurs été salué dès son annonce par les partisans de la « discrimination positive » [4]. Quels sont les enjeux ? Il s’agit ici de revenir sur le principe d’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine, de sexe, de couleur de peau, de confession ou d’absence de confession religieuse. Depuis 1789, en France, en tous cas sous les régimes républicains, il n’existe plus de lien entre la naissance et le statut juridique. Même si la loi sur la parité hommes-femmes a, de notre point de vue, constitué un précédent dont nous n’avons pas fini d’expérimenter les conséquences… C’est l’individu, ou plutôt le citoyen, qui était reconnu dans notre droit et non le Noir, le protestant, l’Asiatique ou le Blanc. Pour les tenants de la discrimination positive, qui veulent imposer la fin de l’indistinction entre les hommes, il s’agit au contraire de reconnaitre d’abord des individus à partir de leur condition biologique ou de la culture dont ils sont issus, qu’ils n’ont évidemment pas choisies. C’est une conception non seulement rétrograde mais surtout réactionnaire de l’homme, réduit à son origine, à son essence, et qui l’enferme dans un déterminisme auquel précisément les révolutionnaires français ont voulu mettre un terme, contre la société d’ordres de l’Ancien régime dont les promoteurs modernes de la « diversité » sont finalement des héritiers idéologiques. Au lieu d’insister sur notre condition humaine commune, ceux-là veulent toujours mettre l’accent sur ce qui nous différencie, nous enfermer dans des cases communautaires.

Nous avions depuis 1789, grâce au combat d’abord de quelques-uns contre l’obscurantisme et l’absolutisme, grâce à l’humanisme de la Renaissance, grâce aux Lumières, réussi à proclamer l’avènement d’un homme libéré de ses appartenances héritées, qui pouvait enfin se projeter au-delà des données de sa naissance. Si demain le préambule de la Constitution reconnaît la notion de diversité, ce sera pour la société française la voie ouverte à une organisation en « communautés ». Et comme le rappelait récemment une universitaire, Anne-Marie Le Pourhiet [5], le seul texte constitutionnel français à avoir expressément mentionné le « droit des communautés » est le projet de Constitution du sinistre Philippe Pétain. Il y a quelques mois, le Conseil constitutionnel censurait au nom du principe d’égalité un article de la loi Hortefeux qui entendait instaurer en France des statistiques ethno-raciales [6]. Demain, si notre Constitution comporte la notion de « diversité », vous serez, nous serons les uns et les autres, classés comme Blancs, Noirs, Arabes, Métis etc. dans les statistiques officielles.

Sur le plan international et ce sera le second et dernier exemple, au nom du relativisme, des menaces très graves planent sur la conception universelle des droits à laquelle nous sommes attachés. Vous le savez, en décembre 1948, l’ONU a adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme, très largement inspirée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’humanité, le 26 août 1789, un texte juridique affirmait une ambition et une portée universelles et proclamait l’égalité en droit de tous les hommes. La Déclaration de décembre 1948 a en quelque sorte transcendé notre texte de 1789 en posant comme principe de droit ces règles pour l’ensemble des Nations et tous les hommes de la planète. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui l’avait déjà fait lors d’une conférence réunie à Durban en 2001, et qui doit se réunir à Genève du 20 au 24 avril prochains, conteste la notion même d’universalité des droits au nom de la « diversité » [7]. On affirme ainsi dans cette instance que la laïcité est ancrée dans une culture esclavagiste et colonialiste, qu’une critique de la religion ou des religions s’apparente à une attitude raciste et on y demande d’ailleurs que la « diffamation » à l’égard des religions, « l’incitation à la haine religieuse » comme le dit le rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, Doudou Diène, soit reconnue comme une « nouvelle forme de racisme ».

Là encore, ce sont les principes d’égalité, d’universalité des droits et de laïcité auxquels nous sommes les uns et les autres attachés qui sont clairement menacés.

Dans le cas de la Constitution française comme dans celui de la Conférence mondiale de l’ONU à Genève, c’est le même mouvement qui est à l’œuvre. Et nous ne sommes plus ici seulement dans le constat d’un retour factuel des religions, d’une poussée de revendications de groupes de pression minoritaires. C’est dans l’un et l’autre cas nos règles de droit, chèrement acquises, qui sont au plan national et international gravement mises en cause. Demain, vous, libres penseurs qui aimez, et c’est votre droit, proclamer « A bas la calotte ! », vous serez ni plus ni moins accusés de racisme si les forces à l’œuvre au sein des Nations Unies obtiennent satisfaction dans leur combat douteux. Dans l’un et l’autre cas, c’est le retour au différentialisme théorisé par les officines de l’extrême droite, au tribalisme, au communautarisme, qui seront notre avenir. Le droit qui avait constitué jusqu’à présent un rempart juridique contre ces menaces sera peut être bientôt un auxiliaire de cette tribalisation du monde entreprise au nom du relativisme, que certains encouragent hier comme aujourd’hui en ex-Yougoslavie, en Belgique, en Espagne, au Liban et ailleurs [8].

Alors, citoyennes, citoyens, chers amis, sur ces chantiers comme sur d’autres - la Charte européenne des langues régionales [9], la prochaine visite du Pape qui donnera probablement lieu à de nouvelles entorses au principe de Séparation [10] et tant d’autres - je ne doute pas que nous nous retrouverons pour affirmer inlassablement notre attachement aux principes de la République universelle, laïque et sociale, à l’émancipation des consciences par la raison, autour d’une volonté commune de faire reculer toujours et partout les obscurantismes et les atteintes aux libertés, par notre volonté de combattre encore et toujours pour l’égalité et pour faire enfin triompher un jour prochain la fraternité.

Philippe Foussier


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