Revue de presse

"Comment tuer socialement un homme" (lepoint.fr , 29 sept. 20)

22 février 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[...] La justice révolutionnaire paranoïaque va prolonger cette extension du domaine de la mort sociale. La loi des suspects, votée le 17 septembre 1793, au début de la Terreur, place la suspicion au cœur de la machine judiciaire. Comme l’écrit l’historien de la Révolution Georges Lefebvre, « la suspicion ne visait pas le coupable probable d’un fait accompli, mais l’auteur possible d’un crime éventuel dont on l’estimait capable ». Le critère n’est plus le mal qu’on a commis, ni même qu’on n’a pas commis, mais celui qu’on pourrait commettre. Sont réputés suspects ceux qui « par leur conduite, leurs relations, leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté ». Se trouvent aussi dans le viseur ceux qui ne peuvent justifier de moyens d’existence ou produire leur certificat de civisme et leur carte de sûreté. Aucune proportion entre la faute et le châtiment. L’intention est même dans l’acte. N’importe quel délit peut trahir des péchés contre-révolutionnaires, qui sont le goût du privilège, de la superstition, du fanatisme. Différents types de suspects sont identifiés : le royaliste, le violent, la sangsue du peuple, le factieux, l’indifférent. Il existe une gradation parmi les suspects : « très suspects », « notoirement suspects ». Robespierre introduit donc cette notion très actuelle de « notoriété publique ». Elle suffit à « accuser le citoyen de crimes dont il n’existe pas de preuves écrites, mais dont la preuve est dans le cœur de tous les citoyens indignés ». On a là le ferment de nos pratiques actuelles. L’indignation, si elle émane du bon citoyen, saurait à elle seule faire office d’argument de condamnation. C’est la porte ouverte, évidemment, à la dénonciation qu’institutionnalise la Révolution version Robespierre, dont le nouveau commandement est : tu désigneras ton suspect. L’Autre n’est plus qu’un prochain sur la liste. [...]

Aujourd’hui – et c’est le triste apanage de notre époque hyperconnectée –, la mise à mort se fait non plus par le vide, la purge ou le caviardage mais par le trop-plein, l’emballement et la foudroyante propagation du virus calomniateur. Dans notre Éphèse, le nom d’Érostrate ne doit pas être supprimé, mais répercuté et ressassé, bêtement, mécaniquement, sans même l’intention de nuire. Nous sommes à l’ère du pouce baissé répété à l’infini. Le martèlement a supplanté le martelage. Nous avons l’effarant privilège de vivre dans un temps qui combine la paranoïa révolutionnaire, où libre cours est donné à la pulsion dénonciatrice, et la loi de la contagion maximale et immédiate.

Le sémiologue François Jost emploie le joli mot de « méchanceté » pour désigner la chose : dans La Méchanceté en actes à l’ère du numérique (CNRS éditions), il analyse les mille nuances de la violence en ligne – de l’attaque ad statum et du procès en légitimité (comment oses-tu prendre la parole, toi qui te prétends expert mais qui n’es rien ?) au raid tel que l’a subi, en janvier 2020, la jeune Mila, menacée de mort et de viol pour avoir injurié l’islam. [...]"

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