Revue de presse

C. Fourest : “Une laïcité de chanoine” (Le Monde, 1er fév. 08)

Caroline Fourest, essayiste et enseignante à Sciences Po. 3 février 2008

"La laïcité à la française vit-elle ses dernières heures ? "La société a changé", nous dit Michèle Alliot-Marie. La loi de 1905 est censée suivre. Elle nous annonce une modification, non pas de sa lettre, mais de son esprit, par circulaire ou par décret. Encouragé par de tels propos, le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, demande carrément un "moratoire".

Personne ne peut prétendre être surpris. Nicolas Sarkozy l’avait promis, et même écrit en 2004 dans La République, les religions et l’espérance : un livre de combat contre une conception stricte et ambitieuse de la laïcité à la française, qualifiée de "sectaire". Il envisageait même de modifier l’article 2 - selon lequel "l’Etat ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte" - pour financer des lieux de culte sur fonds publics. Sentant que cela ne passerait pas, il s’est vite rabattu sur une solution plus discrète : décloisonner les associations de type 1905 et de type 1901 pour pouvoir financer le religieux via le culturel. Une suggestion du président de la Fédération protestante, retenue par la commission Machelon mise en place par Nicolas Sarkozy, et que Michèle Alliot-Marie promet d’appliquer en pleine remontée des intégrismes.

Officiellement, il s’agit d’aider l’islam à rattraper son retard. L’argument séduit même à gauche. Les mêmes n’accepteraient jamais que l’on touche à la laïcité pour financer le culte chrétien ou juif, mais si c’est pour l’islam... Mais de quel retard nous parle-t-on ? Si les fidèles sont nombreux et manquent d’un lieu de culte, ne peuvent-ils pas se cotiser ? Bien sûr que si, et c’est ce qu’ils font. D’après les chiffres du bureau des cultes du ministère de l’intérieur, le retard est pratiquement rattrapé. L’islam des caves n’est plus qu’un fantasme. Sur les 30 caves recensées par les services de renseignements, la plupart ont été remplacées par des salles de prières officielles, passées de 1 555 à 2 000 entre 2001 et 2006. Soit presque autant que le nombre de lieux de culte évangéliques, en pleine explosion avec 1 800 lieux recensés. Alors que 3 % des Français sont musulmans et 2 % protestants, il s’ouvre chaque année en moyenne 34 lieux évangéliques et 16 mosquées.

Jamais, depuis un siècle, la France n’avait connu une telle frénésie dans la construction de lieux de culte. Il en pousse un par semaine, souvent avec l’aide des élus locaux, de gauche ou de droite, désireux d’entretenir les clientèles religieuses. C’est dire si le dynamisme actuel devrait bien vite combler les besoins des musulmans français, dont un tiers seulement se déclarent "croyants et pratiquants", et dont seule une petite minorité va à la mosquée.

L’Etat a-t-il tellement d’argent à dépenser qu’il faille le consacrer à encourager cet islam collectif, souvent politique, au détriment de l’islam individuel ? Cet argent, nous dit-on, permettrait de mieux contrôler l’islam radical. Rien n’est plus illusoire. Les mosquées radicales, comme celles de l’UOIF - une organisation inspirée par les Frères musulmans légitimée par Nicolas Sarkozy au sein du Conseil français du culte musulman -, ont déjà leurs mécènes et déclinent l’offre d’une aide de l’Etat assortie d’un contrôle. D’ailleurs, à moins de revenir à un système concordataire, comment l’Etat pourrait-il contrôler le contenu d’un prêche ? Et de quel droit ?

Le seul moyen de protéger l’islam contre les influences étrangères et intégristes serait d’obliger tous les fonds destinés au cultuel à passer par la Fondation pour les oeuvres de l’islam, imaginée sous Dominique de Villepin. Et de l’étendre à tous les cultes par souci d’équité. Un comité de sages, républicains et laïques, se chargerait de redistribuer l’argent ainsi collecté. Autrement dit, il ne faut pas assouplir l’esprit de 1905, mais le durcir.

Au lieu de financer le retour du religieux, on pourrait surtout consacrer cet argent au social et au culturel. Par exemple en vue de réduire le nombre d’élèves par classe dans les quartiers populaires. Mais ce n’est pas la priorité de notre président, pour qui un instituteur ne remplacera jamais un prêtre ou un pasteur. A l’entendre, le plus grand mal dont souffrent les banlieues serait d’être devenues des "déserts spirituels". Sachant que l’"espérance" passe à ses yeux par le religieux, le nouveau nom du plan banlieue - baptisé "Espoir banlieue" - a de quoi inquiéter.

Mais que l’on ne s’y trompe pas : la volonté de décloisonner le cultuel et le culturel servira surtout le christianisme. En particulier le renouveau évangélique à tendance sectaire, que Nicolas Sarkozy juge "évidemment positif" et sur lequel il mise ouvertement pour reconquérir les banlieues. Toujours dans ce fameux livre, il consacre un chapitre entier à la reconnaissance des "nouveaux mouvements spirituels", du nom donné aux Etats-Unis à ce que nous appelons en France des sectes. On pense à des mouvements comme les Témoins de Jéhovah ou la Scientologie, incroyablement chouchoutés lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur. Michèle Alliot-Marie annonce vouloir revoir "les qualifications pénales" envers les "dérives sectaires". Pour les assouplir, bien sûr. La "laïcité positive", c’est-à-dire à l’anglo-saxonne, n’a pas fini de nous surprendre."

Lire "Une laïcité de chanoine, par Caroline Fourest".



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