Revue de presse

"Attentats djihadistes : "rien à voir" avec l’islam ?" (J. Birnbaum, Le Monde, 12 fév. 15)

15 février 2015

"Les hommes qui ont commis les attentats de Paris " n’ont rien à voir avec la religion musulmane ", a affirmé François Hollande, le 9 janvier. Ces tueurs n’ont " rien à voir avec l’islam ", a insisté Laurent Fabius, trois jours plus tard. Les paroles du président de la République et du ministre des affaires étrangères, amplifiées par beaucoup d’autres voix, relèvent évidemment d’une intention louable. Elles traduisent la nécessité, bien réelle, de prévenir l’amalgame mortifère entre islam et terrorisme.

A bien y réfléchir, pourtant, ces déclarations pourraient être à double tranchant. Car affirmer que les djihadistes n’ont rien à voir avec l’islam, c’est considérer que le monde musulman n’est aucunement concerné par les fanatiques qui se réclament du Coran. C’est donc prendre à revers tous les intellectuels musulmans qui se battent, à l’intérieur même de l’islam, pour opposer l’islam spirituel à l’islam politique, l’espérance à l’idéologie.

Loin d’affirmer que l’islamisme n’a rien à voir avec la religion musulmane, ces " nouveaux penseurs de l’islam ", ainsi que les a nommés Rachid Benzine dans un livre précieux (Albin Michel, 2008), luttent pour dissocier l’islam de sa perversion islamiste. Comme les réformateurs juifs et chrétiens ayant travaillé à soustraire leur foi à l’emprise de ceux qui la défigurent, ils s’efforcent de fonder un islam accordé au monde moderne, à une société ouverte, où le théologique et le politique se trouveraient enfin séparés. Ces penseurs sont conscients que certains djihadistes ont fréquenté les mosquées et les écoles coraniques de grandes villes arabes, où l’islam se trouve souvent pris en otage par des doctrinaires qui ont tout autre chose en tête que l’élan spirituel et l’exégèse symbolique.

" Constater la misère de l’islam sous les effets de l’islamisme devrait apporter sursaut, éveil, vigilance ", écrivait Abdelwahab Meddeb, récemment disparu, dans un livre intitulé Face à l’islam (Textuel, 2004), où il affirmait que " la tâche de l’heure est de séparer l’islam de ses démons islamistes ". Deux ans plus tôt, Meddeb signait un essai au titre emblématique, La Maladie de l’islam (Seuil), où il allait jusqu’à écrire : " Si le fanatisme fut la maladie du catholicisme, si le nazisme fut la maladie de l’Allemagne, il est sûr que l’intégrisme est la maladie de l’islam ", avant d’ajouter, quelques lignes plus loin : " Au lieu de distinguer le bon islam du mauvais, il vaut mieux que l’islam retrouve le débat et la discussion, qu’il redécouvre la pluralité des opinions, qu’il aménage une place au désaccord et à la différence. "

Outre Abdelwahab Meddeb, il faut citer, si l’on s’en tient aux livres écrits en français, le nom de Mohammed Arkoun, lui aussi disparu (Humanisme et Islam, Vrin, 2005), et encore ceux de penseurs bien vivants, eux, comme Rachid Benzine, donc, Hichem Djaït (La Crise de la culture islamique, Fayard, 2003), Malek Chebel (Manifeste pour un islam des Lumières, Hachette littérature, 2004), Abdennour Bidar (L’Islam sans soumission, Albin Michel, 2012) ou Fethi Benslama. [...]

Ces jours-ci, bien au-delà de la France, des intellectuels musulmans ont lancé des appels à la réforme, à la fondation d’un islam qui renouerait avec la tradition critique et le travail philologique pour se relancer autrement [...].

La meilleure façon de lutter contre l’islamisme, c’est d’admettre que l’islam est en guerre avec lui-même. Qu’il se trouve déchiré, depuis des siècles maintenant, entre crispation dogmatique et vocation spirituelle, entre carcan politique et quête de sagesse. Ainsi, pour les réformateurs, l’urgence n’est pas de nier l’influence de l’islamisme sur une large partie du monde musulman, mais plutôt de prêter main-forte à toutes les voix discordantes, souvent isolées, voire menacées, qui luttent pour redonner sa chance à l’islam spirituel. [...]

Prévenir les amalgames, c’est une nécessité. Eviter les raccourcis haineux, dynamiter les préjugés, c’est une urgence absolue. Mais pour atteindre cet objectif, plutôt que de marteler l’idée selon laquelle l’islam n’a " rien à voir " avec ses avatars monstrueux, comme le font les plus hautes autorités de l’Etat, mieux vaut aider et conforter tous les musulmans qui luttent au jour le jour pour se réapproprier leur religion, et libérer enfin l’islam de ses chaînes islamistes."

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