Revue de presse

Attentats de janvier 2015 : les services de renseignement ont-t-il négligé Coulibaly et les Kouachi ? (la-croix.com , 26 sept. 20)

26 septembre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Récit « Chaque attentat est ressenti comme un échec pour nous tous », a expliqué, vendredi 25 septembre, un responsable de la DGSI, devant la cour d’assises spéciale de Paris. Parfois ému, ce policier a défendu l’action de son service, critiquée par certains pour n’avoir pas décelé la dangerosité des terroristes de janvier 2015.

Par Pierre Bienvault

C’est un moment étonnant. D’un seul coup, la voix de l’homme en train de parler se fissure sous l’effet de l’émotion. C’est loin d’être la première fois depuis le début du procès des attentats de janvier 2015. Mais aujourd’hui, la personne, qui s’adresse à la cour d’assises spéciale de Paris, n’est ni un survivant de Charlie Hebdo ou de l’Hyper Cacher, ni un proche de victime.

Cette voix soudainement tremblante est celle d’un responsable de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Un enquêteur chevronné, et visiblement touché par les multiples critiques sur les services de renseignement après ces attentats.

« Les hommes et les femmes qui travaillent dans ce service le font par conviction. Ils ne sont pas entrés là parce qu’ils ont vu de la lumière. Chaque attentat est ressenti comme un échec pour nous tous », explique ce policier en avouant avoir un « énorme regret » quant au suivi des frères Kouachi. « Nous n’avons détecté chez eux aucune volonté de passer à l’acte », ajoute celui qui a été durant sept ans chef de la division judiciaire en charge du terrorisme islamique au sein de la DGSI.

Ce vendredi 25 septembre, l’ambiance est très particulière dans le prétoire. D’abord parce que le témoin du jour s’exprime en visioconférence, de manière anonyme, entièrement caché derrière une sorte de grand voile blanc qui occupe tout l’écran. Mais surtout parce qu’en fin de matinée, via les téléphones portables, se répand très vite la nouvelle de l’attaque à l’arme blanche dans la rue parisienne abritant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Une information forcément bouleversante puisque c’est ici, dans cette salle, voici deux semaines, qu’a été longuement racontée cette journée du 7 janvier 2015 au cours de laquelle, dans cette même rue, Chérif et Saïd Kouachi ont assassiné onze personnes.

Mais à l’audience, le président Jorna ne fait aucune allusion à cette nouvelle attaque. Le sujet du jour, ce sont les éventuels « ratés » de la DGSI dans le suivi des trois terroristes de 2015 avant les attentats. Pour certains, la plus grosse faute du renseignement est de n’avoir, à aucun moment, surveillé Amedy Coulibaly.

Au départ, celui-ci était un délinquant condamné à six reprises pour vol aggravé ou trafic de stupéfiants entre 2001 et 2007. Puis en 2013, il a été condamné à cinq ans de prison pour un projet d’évasion de l’artificier des attentats de 1995 à Paris. « Là, notre service s’est mis en relation avec l’administration pénitentiaire pour savoir comment il évoluait en détention. Quand il est sorti, nous n’avions pas d’élément particulier qui aurait pu nous amener à focaliser notre attention sur lui », indique le policier. Durant sa détention puis une fois sorti, Amedy Coulibaly a pourtant côtoyé Djamel Beghal, une figure historique du djihad afghan. « Certes, on savait qu’il avait certaines accointances avec lui », admet le fonctionnaire en ajoutant que le futur assaillant de l’Hyper Cacher était alors connu juste comme « un petit délinquant ».

Le cas des frères Kouachi est différent puisque l’un comme l’autre ont longtemps été dans le collimateur de la DGSI. En mars 2008, Chérif Kouachi a été condamné à trois ans de prison, dont 18 mois avec sursis, pour avoir fait partie de la filière « des Buttes-Chaumont » qui, dans le nord de Paris, visait à envoyer des djihadistes en Irak. À l’été 2011, il s’est aussi rendu au sultanat d’Oman, porte d’entrée pour le Yémen, où il a pu suivre un entraînement militaire terroriste. Fin 2011, les deux frères ont été fichés « S » et ont commencé à faire l’objet d’une surveillance physique et téléphonique. Entre 2012 et 2014, l’un comme l’autre ont été écoutés à intervalles réguliers. Mais en juin 2014, six mois avant Charlie, la DGSI a cessé ses écoutes sur Chérif Kouachi.

Selon le policier, la surveillance a été stoppée car « rien n’émergeait » à leur sujet. « Rien qui pouvait faire penser à un passage à l’acte », ajoute-il, en précisant que les deux frères semblaient « vivre en vase clos » sans voir de personnes pouvant éveiller les soupçons. Le cadre de la DGSI est alors interrogé sur la « taqiya », terme désignant les stratégies de dissimulation souvent utilisées par les terroristes. « Cela consiste à se fondre dans le paysage pour donner le change. Un des premiers à l’avoir utilisée est Mohammed Merah [1] qui sortait en boîte de nuit et buvait de l’alcool », explique le fonctionnaire en ajoutant qu’il peut être alors très difficile d’évaluer la menace. « C’est compliqué car on ne sait pas ce qui se passe dans la tête des gens. »

Le cadre de la DGSI explique surtout que les moyens de surveillance ne sont pas « infinis » et qu’il faut « en permanence faire un tri » entre les menaces et les personnes à surveiller. « Les moyens qu’on ne met pas sur les uns, on les met sur d’autres », indique le policier en rappelant que son service a permis l’arrestation, en septembre 2014, d’individus lourdement armés sur le point de commettre un attentat à Meyzieu, près de Lyon. Quatre mois après, les frères Kouachi, sortis des radars, passeront eux à l’acte. Une blessure encore vive, visiblement, pour ce policier. « Aujourd’hui encore, il y a beaucoup de zones d’ombre sur la manière dont les frères Kouachi se sont organisés », dit l’homme derrière l’épais brouillard blanc."

Lire "Procès des attentats de janvier 2015 : « L’énorme regret » d’un chef du renseignement".

[1Qui a assassiné sept personnes dont trois enfants à Toulouse et Montauban en 2012.


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Procès des attentats de janvier 2015 dans Attentats de janvier 2015 (Paris) (note du CLR).


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