Revue de presse

"Argenteuil : ce que pourrait cacher le voile de la conseillère municipale" (I. Kersimon, lepoint.fr , 2 mars 16)

2 mars 2016

" Et si la polémique autour de l’élue voilée n’était qu’un contre-feu pour faire oublier la politique communautariste de l’ancien maire ?

[...] Dernière polémique en date : le port du voile de Fatiha Bacha, conseillère appartenant à l’équipe municipale de Georges Mothron, ancien maire LR redevenu maire après la fin du mandat du socialiste Philippe Doucet (2008-2014), par ailleurs rapporteur spécial pour la laïcité à l’Assemblée nationale et député d’Argenteuil-Bezons.

Le torchon brûle depuis des années entre Mothron et Doucet, qui s’accusent mutuellement d’instrumentaliser les faits et de tordre les réalités. Il est vrai qu’à l’heure actuelle Philippe Doucet semble être en délicate posture. Déjà contraint en 2014 par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise – sur réclamation de l’Observatoire de la laïcité du Val-d’Oise (Olvo) – d’abroger sa délibération créant un « conseil des cultes », il est actuellement sous le coup d’une information judiciaire confiée au pôle financier du TGI de Paris. Georges Mothron a, en effet, déposé deux plaintes pour « favoritisme, complicité et recel, trafic d’influence, détournement de fonds publics et abus de confiance aggravé ».

« Des accusations très graves », commente Laurence Marchand-Taillade, présidente de l’Ovlo. Selon elle, Amine El Khatmi est dans cette polémique en « service commandé ». Objectif ? « Se venger sans doute, ou détourner l’attention des Argenteuillais sur les affaires gravissimes pour lesquelles la mairie actuelle s’est portée partie civile. » Elle rappelle que Philippe Doucet « tolérait tout lorsqu’il était aux affaires et organisait le communautarisme, tant à la mairie d’Argenteuil, où il a négocié des voix tout le long de son mandat avec les responsables religieux les plus radicalisés, qu’à la communauté d’agglomération, où il a mis à disposition, pour l’entretien des extérieurs des mosquées, des employés de l’hôtel d’agglomération ».

Les militants laïques locaux sont unanimes : oui, Philippe Doucet aurait bel et bien joué avec le feu du radicalisme islamiste. Ainsi, des documents révélés par Georges Mothron lors d’une enquête d’Envoyé spécial montrent qu’il a mis à la disposition de l’association gérant la mosquée Es Salam un bâtiment initialement prévu pour la Direction de l’éducation et de l’enfance et y a engagé 393 000 euros de travaux, notamment pour sa mise aux normes de sécurité, avant de signer un contrat de location de 60 000 euros annuel.

La mosquée en question recevait en février 2014 le prédicateur Hassan Iquioussen pour une conférence sur l’islam et la politique, un Frère musulman. L’Olvo avait alerté le préfet au nom de l’article 26 de la loi de 1905 stipulant qu’« il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte ». Interrogé par Séverine Lebrun, journaliste pour Envoyé spécial, l’imam bénéficiaire de cette largesse annonçait le plus tranquillement du monde qu’il ne payait pas : « Le loyer, c’est entre la mairie et nous. On avait un accord entre eux et nous : ils nous prêtent le local jusqu’à la construction de la mosquée, c’est tout. On a signé une convention, mais après j’ai dit : Non, je ne paye pas. Donc ils nous ont dit de rester là jusqu’à nouvel ordre. Monsieur Doucet, c’est un accord qu’on a fait entre lui et nous. Je ne peux pas vous dire plus que cela. »

Le maire actuel aurait donc hérité d’une dette locative de 82 000 euros. Quant à Abdelkader Achebouche, qui gère la mosquée Al Ihsan, il assume pleinement les tractations confessionnelles : avant chaque élection, assure-t-il, il négocie des travaux d’aménagement.

En outre, Philippe Doucet aurait fermé les yeux sur les pratiques de certains employés municipaux : prières dans les vestiaires (ce qui contraignait les autres employés à attendre avant de pouvoir revêtir leurs uniformes le matin) ; demandes d’aménagement horaires pour la prière du vendredi ; recrutement d’un agent jugé antirépublicain et dénoncé par la CGT (refus de serrer la main à sa supérieure hiérarchique pour des raisons confessionnelles, demande d’aménagements de temps de prière). Connu sous le sobriquet de « Mehdi l’aumônier », ce dernier a la réputation d’être un salafiste très actif. Officiellement engagé au sein du service cadre de vie, il n’y aurait jamais été vu par sa supérieure et n’aurait jamais été noté. Or un fonctionnaire doit être noté au moins une fois par an. Où était donc Mehdi ? À en croire son dossier et les paroles d’Argenteuillais qui le connaissent bien, il était officieusement l’interface entre Philippe Doucet et « la communauté musulmane d’Argenteuil », dont il était chargé d’« encourager » le vote.

Alors, l’affaire du voile d’Argenteuil, un simple écran de fumée ? Contactée par téléphone, la mairie d’Argenteuil s’est refusée à tout commentaire, nous renvoyant à son laconique communiqué de presse. Lequel se contente, comme diraient Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène (membres très controversés de l’Observatoire national de la laïcité), de « dire le droit ». De fait, au regard du droit, Mme Bacha n’est pas en délicatesse. Mais la question peut-elle se résumer à cela ?

« Amine (El Khatmi) a eu raison de dénoncer ce voile. Mais danser la carmagnole dès qu’un voile pointe le bout de son nez, ça ne mène pas très loin », commente Karim Bey, militant laïque et féministe. « Il y a beaucoup à faire. Par exemple, vérifier que les mariages pratiqués par les imams suivent bien une déclaration à l’état civil. On voit bien toutes les histoires de polygamie. Le voile est un combat féministe qu’il faut mener, mais la loi en l’état ne permet pas tout. »

Laurence Marchand-Taillade est tout aussi agacée : « La loi ne prévoit pas grand-chose sur la question. Autant la neutralité du fonctionnaire est une obligation, autant celle de l’élu, non. L’Assemblée nationale a d’ailleurs connu la soutane de Félix Kir jusqu’en 1967. Néanmoins, il paraît évident, lorsque l’on est élu, que l’on se doit d’être le représentant de tous les administrés de sa commune. En portant un signe distinctif, quel qu’il soit, on ne délivre plus ce message unitaire. À l’heure où l’on demande à tous les élus d’être irréprochables, peut-être que la question des signes religieux ostensibles dans le cadre des fonctions d’élus mériterait d’être remise au goût du jour. »

M’Barek Marir, militant laïque et ancien élu MoDem, va plus loin : « Concrètement, la loi de 1905 permet énormément de choses, mais interdit une gestion confessionnelle. Et celle-ci ne se déroule pas sous les lumières des médias, mais mano a mano, sous forme de pactes de non-agression ou de services mutuels. Personne ne voit rien à redire aux petites entorses et aux accommodements grâce aux enveloppes législatives, c’est la pratique habituelle. Les usages contraires à la loi sont une vraie tradition. Les entorses ne datent pas de l’implantation de l’UOIF. La seule alternative serait de tout geler, de prendre une année pour réfléchir et de rectifier peut-être la loi concernant le financement des candidats et le pouvoir des lobbies religieux. »"

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