Revue de presse

A. Finkielkraut : "Le rapport Bianco sur la laïcité" (L’esprit de l’escalier, RCJ, 30 juin 13, Causeur, juil.-août 13)

19 août 2013

"Elisabeth Lévy. Dans un entretien au Monde, le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, déclare que « les atteintes à la laïcité ont peut-être été surestimées ». Pourtant, la crèche Baby Loup risque de déménager et Malika Sorel, membre de la défunte « mission laïcité » du Haut Conseil à l’intégration, écrit dans ce numéro [1] que « la laïcité a été toutes ces dernières années la cible d’offensives répétées de moins en moins feutrées ». Qui faut-il croire ? Auriez-vous, aurions-nous exagéré les problèmes ?

Alain Finkielkraut. Après la décision de la Cour de cassation qui annulait le licenciement d’une employée voilée de la crèche Baby Loup, le Président de la République a chargé l’Observatoire de la laïcité, que préside Jean-Louis Bianco, de réfléchir à une extension de la loi prohibant les signes religieux ostentatoires.

Et voici qu’au moment de présenter son rapport d’étape, Jean-Louis Bianco déclare, tout content : « La France n’a pas de problème avec la laïcité. » Pas de problème dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les entreprises, pas de « territoires perdus de la République ». La France, en revanche, a un grave problème d’islamophobie : « Lorsque nous préconisons telle ou telle mesure, éventuellement telle ou telle loi, il faudra se demander si elle est stigmatisante pour certaines personnes, si elle contribue à apaiser ou à durcir les rapports entre les Français. Il faut redonner l’idée que la laïcité est un principe de liberté, la promouvoir et la rendre aimable. Sur ce sujet, le mot d’ordre du Président de la République est clairement l’apaisement. »

Cet apaisement ressemble furieusement à l’apeasement de sinistre mémoire. Sauf qu’il n’est pas encore commandé par la peur des plus forts, mais par le souci des humbles, par la compassion pour ceux qui apparaissent comme défavorisés ou, selon le grand mot du siècle, « stigmatisés ». On ne dira jamais assez le mal qu’une certaine idée de la bonté a fait et continue de faire à la vérité, au fameux « vivre-ensemble », et donc finalement au Bien.

Il est vrai que la prise en compte des atteintes à la laïcité, si nombreuses en réalité, obligerait Jean-Louis Bianco à réviser son système de pensée. Dans ce système, il n’y a pas de place pour quelque chose comme un « choc des civilisations ». Il y a des luttes bien sûr, mais jamais elles ne prennent leur source dans des questions d’appartenance, de culture ou de religion. C’est l’économie qui est déterminante en dernière instance. Tel est le credo, tel est le dogme commun à la gauche socialiste et à la droite libérale. Certes, la pensée de Jean-Louis Bianco a une dimension postcoloniale. Il intègre la composante culturelle de la réalité. Mais c’est pour dire que la reconnaissance mutuelle et égalitaire résoudra tous les problèmes de cohabitation.

Élisabeth Badinter qui est, rappelons-le, la marraine de Baby Loup, vient de perdre la partie. La gauche Bianco a vaincu la gauche Badinter. La gauche béate a terrassé la gauche inquiète et lucide. Ce qui permet à la droite de la droite de mener seule le combat pour la laïcité et de récolter les bénéfices électoraux de cet engagement."

Lire "Le rapport Bianco sur la laïcité".



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