Note de lecture

A. Barrau : Un état des lieux alarmant de la vie sur Terre (G. Durand)

par Gérard Durand. 22 juin 2020

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Aurélien Barrau, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Michel Lafon, 2018, rééd. 2020, 143 p., 8 e.

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Aurélien Barrau est astrophysicien, mais pas seulement, il est aussi philosophe. Son doctorat en astrophysique obtenu à l’université de Grenoble en 1996 ayant été complété par un second doctorat en philosophie délivré par la Sorbonne en 2016, tous deux avec les félicitations du jury. Ses travaux conduits dans le cadre du CNRS portent sur des sujets tellement complexes que le profane peut avoir du mal à en comprendre la portée à la seule lecture des titres : astronomie gamma, rayonnement des trous noirs, antimatière ou matière noire. Les plus remarquables ayant porté sur la possibilité d’observer des phénomènes ayant eu lieu avant le Big Bang.

Auteur de nombreuses publications, il est depuis 2016 membre de rang A du comité national du CNRS, section physique théorique. Mais il se passionne également pour les problèmes de l’écologie politique, dont il parle avec passion. Son livre Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité a été publié en 2018, il faisait suite à un texte collectif publié dans le journal Le Monde après la démission de Nicola Hulot, signé par 200 personnalités à l’initiative de l’actrice Juliette Binoche. La réédition augmentée, faisant l’objet de cette note, est parue en 2020.

Un texte introductif précise clairement la démarche : « Je suis astrophysicien et pas écologue. Ce livre n’a donc pas prétention à l’exhaustivité ou à la rigueur universitaire. C’est en tant qu’habitant de la terre et membre de la tribu des vivants que je tente ce cri d’alerte… » Et un peu plus loin : « Je ne sais pas s’il fallait écrire ce texte. Finalement il ne dit rien de très original. Il contribue même un peu à la pollution par son existence même. Mais, face à la fin du monde, ne rien faire me semblait pire encore »

Original, sans doute pas mais ce livre a le grand mérite de dresser un constat de la situation. La catastrophe climatique n’est plus à prévoir, elle est déjà en cours. La vie se meurt et la tendance actuelle de ce phénomène, déjà étonnamment rapide, est à l’accélération. En 40 ans, plus de 400 millions d’oiseaux européens ont disparu, 3 milliards aux Etats Unis, pour ne citer que ces deux zones géographiques. Depuis 1990, 80 % des insectes volants ont été supprimés. Les populations s’effondrent, depuis 1970 le nombre de vertébrés s’est réduit de 60 %. Les populations humaines auraient tort de s’en réjouir car de graves périls les menacent. Aujourd’hui 17 pays sont en situation de stress hydrique extrême et 27 autres, dont certains en Europe, en situation de stresse hydrique élevé, 25 % de la population mondiale pourrait bientôt manquer d’eau. Les plantes disparaissent 350 fois plus vite que la norme historique. Les océans sont vidés de leurs poissons par la pêche intensive et, chez les poissons d’eau douce 88 % des grandes espèces n’ont pas survécu à la prolifération des barrages.

Nous savons que le réchauffement climatique s’accélère. Des études récentes montrent qu’il pourrait atteindre + 7° à la fin du siècle. Elles s’appuient sur les évènements récents. La sécheresse qui s’est produite au Sahel est sans équivalent depuis 1600 ans. La part de la population soumise à des canicules mortelles s’élèverait alors à 74 %. Et, tout le confirme, la température a dépassé les 51° à l’ombre en Algérie au cours de l’été 2018, Le minimum nocturne à Oman n’est pas descendu au-dessous de 42° pendant la même période. A de telles températures sur une période de quelques mois le corps humain ne fonctionne plus. L’ONU estime que, si nous ne changeons pas radicalement de cap d’ici deux ans nous devrons faire face a une menace existentielle que plus rien ne pourra arrêter.

Il faut à l’auteur, qui se présente pourtant comme un pessimisme raisonné, plus de soixante pages pour une description plus complète de l’avenir que se préparent les hommes. Il passe ensuite, non à ce que l’on peut appeler des solutions, mais a des règles élémentaires pour la transformation qu’il convient de mener à très court terme. Elles sont claires mais il est hélas peu probable qu’il soit possible de les mettre en œuvre en l’état actuel du monde, car il est bien évident qu’un seul Etat ne peut à lui seul résoudre ou même ralentir l’ampleur de la catastrophe annoncée. Toutes les grandes civilisations qui se sont effondrées étaient prévenues de leur effondrement mais n’ont pas su prendre les mesures qui les auraient préservées. Il n’est pas certain que nous y parviendront car les enjeux économiques sont immenses. Prenons par exemple les grandes compagnies pétrolières, une grande partie de leurs avoir s se présente sous forme de pétrole non encore extrait. Qu’on leur interdise de l’extraire et elles sont aussitôt en faillite. Elles vont donc lutter de toutes leurs forces pour empêcher qu’une loi soit votée en ce sens.

Le problème des migrations se pose de façon tout aussi dramatique. Pendant la guerre de Syrie, l’Europe s’est révélée incapable de s’entendre sur l’accueil de quelques millions de réfugiés. Comment pourrait elle faire face aux centaines de millions chassés par la destruction de leurs lieux de vie. Des mesures existent et en premier lieu vient le regard que nous portons sur les choses. Si conduire une grosse voiture très voyante et très grosse consommatrice de carburant fossile est considéré comme un signe de prestige, le transformer en attitude ringarde sera plus efficace que n’importe quelle interdiction. Changer de regard, nous pouvons le faire, ne plus considérer l’homme comme le maître de la nature aussi, mais il faudra lutter de façon ferme et constante, notamment contre les religions.

Un chapitre entier est consacré aux opposants, c’est-à-dire aux sceptiques et à ceux que le système actuel arrange. Notre auteur est surpris par leur violence et leurs méthodes. Ecologistes et lanceurs d’alerte sont vilipendés, accusés d’être assoiffés de pouvoir pour mettre en place un système totalitaire. Les accusations ad hominem fleurissent contre eux, notamment contre la toute jeune Greta Thunberg à qui on ne pardonne pas d’avoir réussi à entraîner derrière elle une partie de la jeunesse dans de nombreux pays. Barrau prend longuement sa défense tout simplement parce que ce qu’elle dit est vrai et que les attaques sur sa jeunesse, son physique etc… ne sont en fait qu’un moyen d’éviter les problèmes de fond que ses détracteurs ne veulent pas voir resurgir.

La force des climatosceptiques et leurs moyens d’influence sur les gouvernements rend les prises de positions favorables à la vie très peu probables. Il nous rappelle la phrase de ce président français : « L’écologie, ça commence à bien faire ». Le même se moquant de Greta Thunberg devant l’Assemblée générale d’un Medef hilare. L’auteur finit par se demander si la seule solution ne serait pas d’opter pour la désobéissance civile, indispensable quand les forces politiques perdent leurs valeurs de défense de leurs peuples et, par conséquent deviennent inutiles.

Aurélien Barrau n’est plus scientifique, mais plus que jamais philosophe quand il nous propose en conclusion de penser en 26 dimensions, de la politique à la démographique en passant par la médiatique et l’artistique. Rude travail en perspective mais belle bouffée d’oxygène.

Gérard Durand


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