Tribune libre

Un vacarme religieux : les réactions au discours d’Emmanuel Macron devant les évêques (Ilse Ermen)

par Ilse Ermen. 12 juin 2018

Le discours du président de la République a suscité beaucoup de réactions intempestueuses. Pourtant, il ne fut ni lu ni compris par la majorité des critiques, ce qu’il partage avec la fameuse tribune soussignée par Catherine Deneuve et 99 autres personnalité féminines [1]. Il s’agit, de mon avis, d’une guerre picrocholine : ce discours, lu attentivement, ne mérite nullement le tollé qu’il a provoqué [2].

Athée et laïque que je suis, avocate du diable normalement, je voudrais pour une fois me faire l’avocate de dieu, ou, dans ce cas, de Jupiter.

A tous ceux qui discutent religion, je recommande vivement à relire Un silence religieux de Jean Birnbaum, essai traitant du malaise religieux de la gauche avec la religion en général et l’aveuglement face à l’islam en particulier [3]. Birnbaum met en avant que la gauche aurait trop souvent considéré la religion comme une espèce de verrue qui se dessècherait avec le temps, une maladie enfantine qui disparaîtrait avec l’âge adulte. La gauche aurait entièrement sous-estimé l’impact de la religion, la force évidente ou sous-jacente de celle-ci. Erreur fatale qu’ont payé cher les communistes iraniens et algériens.

Qu’est-ce donc la religion, en bref ?

Dawkins y voit un avantage évolutionnaire – présupposer une téléologie aux événements et à l’environnement peut avoir des avantages stratégiques.

Un autre chercheur anglo-saxon, Jonathan Haidt, souligne que ce n’est pas seulement cela : la religion serait en effet un avantage évolutionnaire, mais, avant tout, le moyen de faire coopérer des groupes qui n’ont pas de liens de parenté au delà des relations tribales, en leur fournissant un élément, une identité collective, une communion ("The righteous mind").

Et enfin, la "communion" était bien une raison mise en avant par des amis que j’ai interviewés sur leur adhésion au christianisme, tous des personnes modernes, intelligentes et laïques, et presque sans exception hommes homosexuels et mères célibataires.

A propos de la "communion", Birnbaum cite Régis Debray : "Pour devenir frères, il faut être frères "en", écrit Régis Debray, qui a insisté sur la dimension essentiellement communautaire de toute religion, allant jusqu’à proposer de remplacer ce mot par "communion" au sens d’une expérience à la fois viscéralement ressentie et intensément partagée" (p.27).

L’identité, la communion et, last but not least, le grand récit.

Pour éviter toute erreur : aucun des auteurs cités – ni l’auteure du présent commentaire – n’adhère à un groupe religieux. Il s’agit de scruter et analyser l’essence de la religion, le fait religieux de façon scientifique. Aucun chercheur sérieux dans le domaine des sciences naturelles ne se permettrait d’éliminer un fait important, ce qu’on se permet volontiers en philosophie, sociologie, science politique et bien sûr et avant tout, dans la presse.

En ce lieu, je voudrais appliquer les hypothèse de Birnbaum au discours décrié d’Emmanuel Macron devant les évêques, en m’étayant sur l’analyse de discours et la linguistique du texte.

Il s’agit dans le cas d’un discours politique proféré par un haut fonctionnaire d’état, le plus haut dans ce cas. Qu’est-ce qu’un discours politique et qu’est-ce un président ? Un président doit s’adresser à un maximum de groupes dans la société. En France, il y a un nombre inconnu de catholiques (pour les problèmes d’estimation : "Religion en France. ), supposons que 50 % environ sont adhérents à ou sympathisants de l’Eglise catholique, ce qui n’est pas rien, il y a un nombre important – 30 à 40 % – d’athées ou sans confession, puis des minorités musulmanes, protestantes, juives et autres.

Les évêques restent, hélas, les représentants des catholiques, même si nombre de croyants peuvent être en désaccord avec les directives et si la grande majorité n’est pas pratiquante. "Les catholiques" sont aussi peu un bloc monolithique que "Les musulmans", quoique les premiers soient nettement moins conservateurs en moyenne que les derniers [4]

On peut observer que le christianisme est redevenu pour certains un rempart identitaire contre l’islam. Vu que ce sujet chaud fut laissé en friche par les dirigeants et les médias européens, nombre de gens s’y réfugient faute d’alternative. Plus on leur dit "christianisme-mauvais" et "islam-tout bon", plus ils s’indignent, de bon droit, faut-il dire.

Bref, 50 %, ce n’est pas rien ! Un président a le droit s’adresser à l’entente d’aviculture et de cuniculture ou aux éleveurs de cochon bretons, sauf que ceux-là ont un impact bien mineur sur la société que l’Eglise catholique de France, et dans ce cas-là, on entendrait pas de vacarme. Un futur pas à faire serait de s’adresser aux associations des non-croyants et non confessionnels.

Qu’est-ce on dit alors quand on s’adresse en tant que représentant politique à un groupe sociétal important, à un partenaire de dialogue ? Leur énumérer les crimes de l’Inquisition, dans le cas de l’Eglise ? Leur dire : "Messieurs, je vous emmerde ! ", pour commencer ? Dirait-on aux éleveurs de cochon breton qu’ils sont des salauds parce qu’ils tuent les pauvres bêtes ? Nenni ! Le reproche et l’insulte relèvent plutôt du domaine de la presse, surtout quand on a ni lu ni compris un discours ou quand on est parfaitement ignorant du sujet qu’on traite.

Au fil des siècles, la diplomatie a de plus en plus remplacé la guerre, même si la violence est loin d’avoir disparu (voir pour les statistiques et les raisons Steven Pinker La part d’ange en nous [5]). Le discours politique fait en l’occurrence partie de la diplomatie. Et je dirais qu’Emmanuel Macron est un grand maître du discours diplomatique.

Dire "Je vous écoute" et "Je vous respecte" ne veut point dire "Je suis à vos ordres", nullement !

Ne pas avoir écouté le malaise des populations face à l’islam, par exemple, a fait le succès des populistes de droite : puisque personne n’en parle, les gens se tournent vers les partis qui en font abus. Ecouter le malaise rend possible la discussion.

L’omertà renforce mythes et conspirationismes. Ne pas s’être préoccupé du phénomène islam comme sociétal, est un autre côté du problème ; avoir accepté l’islam chariatique et réactionnaire comme seul et vrai (surtout par une certaine gauche et ses médias) a en partie empêché la formation et la réussite d’un islam moderne. L’interdiction du religieux sous les régimes socialistes par un athéisme d’état a fait renaître les religions sous leurs aspects les plus réactionnaires (Pologne, Hongrie, Russie, Balkans). Ignorer le fait religieux chrétien peut avoir des effets néfastes à son tour.

Je répète : écouter quelqu’un ne signifie pas suivre ses recommandations, ne pas écouter signifie ignorer des courants et perdre le contrôle sur ceux-ci. Ce que dit clairement le président : "Mais cette voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive."

Notons que dans ce fameux discours il n’a pas été question d’abroger la Loi de 1905, ni de toucher au principe laïque, ni d’abolir l’interdiction de signes religieux, ni de toucher à l’IVG, ni au Mariage pour tous, etc. Nulle part Emmanuel Macron n’emploie des termes tels que "laïcité radicale" ou "laïcard" que certains ont bien voulu lui mettre dans la bouche. Au contraire, il est clair sur le concept de la laïcité : "Mon rôle est de m’assurer qu’il ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C’est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d’évoquer."
Je dirais que M. Macron a rarement été aussi clair au sujet de la laïcité que dans ce discours.

On pourrait à la limite lui reprocher d’être un peu trop enjôlant, même s’il s’agit dans ce texte d’une captatio benevolentiae prolongée entrelardées de rappels à l’ordre réitérés.

En fait, Emmanuel Macron renvoie l’Eglise à sa juste place, en répétant à plusieurs reprises, en ritournelle quasiment, parfois en termes bien édulcorés, quelles sont les tâches de l’église : l’assistance sociale et le spirituel, le domaine de l’au-delà, le dialogue interreligieux ainsi que le dialogue avec les philosophies non religieuses, le respect de la laïcité ainsi que du droit de ne pas croire.

C’est presque une conjuration : faites ce que vous savez faire, mais respectez les règles de la République qui, de son côté, souhaitera la bienvenue à tout engagement républicain.

[4El Karoui, L’islam, une religion de France, p.44-45. Un fait étonnant : les musulmans de France sont plus opposés à l’IVG que les catholiques – qui l’aurait dit ! D’autant plus que les écoles juridiques de l’islam n’interdisent pas tous l’avortement ; ils sont également plus homophobes que les catholiques PRATIQUANTS ; voir aussi les sondages de la fondation Jean Jaurès – une écrasante majorité des musulmans électeurs du PS condamne l’homosexualité ( https://jean-jaures.org/nos-productions/Des-musulmans-de-gauche ) ; puis les résultats de la "Six Countries Study" du WZB à Berlin : les musulmans en Europe sont nettement plus "xénophobes", c.v.d. ils ont plus de "out group hostility" que les chrétiens et les adhérents à d’autres philosophies ( ps ://www.wzb.eu/sites/default/files/u252/s21-25_koopmans.pdf ).


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