Revue de presse

"Un carton sur le trottoir" (Riss, Charlie Hebdo, 13 avril 22)

Riss, directeur de la publication de "Charlie Hebdo". 13 avril 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Donc, ce sera Marine Le Pen ou Emmanuel Macron. Pour la troisième fois depuis la fin de la guerre, un parti d’extrême droite est présent au second tour d’une élection présidentielle. Plus de 23 % des Français seraient donc d’extrême droite  ? Mais savent-ils encore ce que signifie réellement cette doctrine politique  ? À force d’entendre depuis des années que l’extrême droite n’existait que dans l’imagination de ses adversaires, beaucoup de Français ont fini par se laisser convaincre que c’était vrai et que Marine Le Pen n’avait aucun lien avec une idéologie qui datait des années 1930. L’extrême droite n’a pas été au pouvoir depuis 1944, et on n’ose songer à ce qu’elle ferait aujourd’hui, en 2022, à la tête du pays. Un peu comme si on essayait d’imaginer de quelle manière gouverneraient de nos jours Charles X ou ­Clovis : un État moderne dirigé par un anachronisme. Pourtant, l’extrême droite n’a jamais quitté la scène politique. Si les Chemises noires n’ont pas défilé à Rome et les Croix-Fléchées ne sont pas descendues dans les rues de Budapest, c’est parce qu’en Italie ou en Hongrie l’extrême droite s’est adaptée à la modernité. Elle a su muer, échanger sa peau de serpent contre une nouvelle aux couleurs de son environnement afin de se fondre dans le décor.

Y aura-t-il une fois de plus un front républicain pour tordre le cou à cette menace reptilienne  ? De nouveau, un candidat, cette fois Emmanuel Macron, a misé sur cette stratégie pour assurer sa victoire : au second tour, les Français républicains et démocrates laisseront de côté leurs susceptibilités politiciennes et se rassembleront contre l’extrême droite. Pari aussi risqué à chaque élection présidentielle que le joueur qui croit que, parce que son numéro fétiche est sorti une fois à la roulette, il devrait sortir encore deux ou trois autres fois. La démocratie est devenue un jeu de hasard et elle joue de plus en plus avec le feu. Et cette fois, on se demande si elle ne va pas y laisser sa peau.

L’instrumentalisation de l’extrême droite à des fins politiciennes ne date pas d’hier, et on se rappelle que Mitterrand avait consenti à l’adoption de la proportionnelle aux élections législatives de 1986 pour mettre en avant le Front national et diviser la droite. Stratégie funeste dont on paye aujourd’hui le prix. Mais on peut aussi poser le problème autrement : si cette mise en avant du Front national n’avait pas été facilitée par le pouvoir de l’époque, est-ce que l’extrême droite n’aurait pas réussi quand même à entamer son ascension  ? En résumé : y avait-il en France, dès les années 1980, un terreau fertile pour l’émergence de cette lame de fond nationaliste et xénophobe qui semble avoir atteint dimanche dernier ses plus hauts sommets depuis quatre-vingts ans  ? Les politologues, spécialistes et socio­logues de tout poil ont cherché à découvrir l’explication de ce phénomène : chômage, précarité, immigration, déclassement, antieuropéanisme, etc. Chacun de nous a la sienne, plus ou moins convaincante, mais il en est une qui semble incontestable : la classe politique au pouvoir depuis quarante ans s’est peu à peu déconnectée d’une grande partie des citoyens, et ceux-ci se sont réfugiés là où ils pensaient être le mieux compris. Comme un SDF qui veut se protéger de la pluie et du froid en se glissant dans le premier carton qu’il trouve sur le trottoir. Si on met de côté les traditionnels extrémistes qui constituent le noyau dur de l’extrême droite, une bonne partie des Français qui ont voté Marine Le Pen ou Zemmour sont un peu les SDF de la vie politique depuis quarante ans, abandonnés et mal compris. Et le carton dans lequel ils se croient enfin pris en considération, c’est le Rassemblement national. La déliquescence des partis politiques traditionnels ne fait que renforcer cette impression cruelle de clochardisation de la vie politique française, et par là même de notre démocratie."

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