Verbatim

Sarkozy au dîner du Crif (13 fév. 08) : “morale laïque” et “morale religieuse” sont “complémentaires”

18 février 2008

Discours de M. le Président de la République lors du dîner annuel du CRIF. Pavillon d’Armenonville – Mercredi 13 février 2008.

« [M. le Président,] Vous avez dit ne pas croire que les religions puissent être la seule parade contre le mal, et vous avez bien raison. Vous me permettrez d’ajouter, car je connais moi aussi l’histoire des juifs d’Europe, que si les religions sont en effet impuissantes à préserver les hommes de la haine et de la barbarie, le monde sans Dieu, que le nazisme et le communisme ont cherché à bâtir, ne s’est pas révélé tellement préférable.

Le drame du XXème siècle, de ces millions d’êtres projetés dans la guerre, la famine, la séparation, la déportation et la mort, n’est pas né d’un excès de l’idée de Dieu, mais de sa redoutable absence. Le communisme voyait la religion comme un instrument de domination d’une classe sur une autre, et l’on sait les malheurs auxquels cette théorie a conduit. Le nazisme croyait dans la hiérarchie des races, une proposition radicalement incompatible avec le monothéisme judéo-chrétien.

Alors il est vrai que parmi les résistants, parmi les patriotes, parmi les Justes, il y en avait autant qui croyaient au ciel, et autant qui n’y croyaient pas. Et il est tout aussi vrai que, parmi ceux qui trahirent les juifs et contribuèrent, de près ou de loin, à la mise en oeuvre de la solution finale, il y en avait beaucoup qui se disaient chrétiens. Mais il n’y a pas une ligne de la Torah, de l’Evangile ou du Coran, restituée dans son contexte et dans la plénitude de sa signification, qui puisse s’accommoder des massacres commis en Europe au cours du XXème siècle au nom du totalitarisme et d’un monde sans Dieu.

[…] Jamais je n’ai dit que la morale laïque était inférieure à la morale religieuse. Ma conviction est qu’elles sont complémentaires et que, quand il est difficile de discerner le bien du mal, ce qui somme toute n’est pas si fréquent, il est bon de s’inspirer de l’une comme de l’autre. La première préserve des certitudes toutes faites et apporte sa rationalité. La seconde oblige chaque société, chaque époque, à ne pas se penser uniquement comme sa propre fin.

Et jamais je n’ai dit que l’instituteur était inférieur au curé [1], au rabbin ou à l’imam pour transmettre des valeurs. Mais ce dont ils témoignent n’est tout simplement pas la même chose. Le premier témoigne d’une morale laïque, faite d’honnêteté, de tolérance, de respect. Que ne dirait-on pas d’ailleurs si l’instituteur s’autorisait à témoigner d’une morale religieuse ? Le second témoigne d’une transcendance dont la crédibilité est d’autant plus forte qu’elle se décline dans une certaine radicalité de vie.

Je souhaite que tous nos enfants reçoivent à l’école l’enseignement d’une morale laïque. Je note à cet égard, qu’après avoir, pour les raisons que l’on sait, abandonné l’enseignement public de la morale religieuse, on a abandonné également celui de la morale laïque.

Mais je maintiens, parce que je le crois profondément, que nos enfants ont aussi le droit de rencontrer, à un moment de leur formation intellectuelle et humaine, des religieux engagés qui les ouvrent à la question spirituelle et à la dimension de Dieu.

Dieu, c’est une idée suffisamment intéressante pour avoir inspirer la vie de millions d’hommes et marquer d’immenses civilisations. Quelle est l’origine de la vie, quel est le sens de l’existence, y a-t-il quelque chose après la mort, d’où vient le mal ? Ce sont des interrogations essentielles. Je ne connais pas un seul homme, pas une seule femme, croyant ou incroyant, qui ne se les pose pas. C’est pourquoi je pense que si nos jeunes peuvent à un moment de leur vie être initiés à ces questions, c’est mieux que s’ils ne le peuvent pas. Ils en feront ce qu’ils en voudront, mais nul n’est en droit de le présumer à leur place.

Personne ne veut remettre en cause la laïcité. Personne ne veut abîmer ce trésor trop précieux qu’est la neutralité de l’Etat, le respect de toutes les croyances, comme celui de la noncroyance, la liberté de pratiquer comme celle d’être athée. Personne ne veut abandonner le mérite, le talent, l’amour de la patrie, comme les seules vertus que la République reconnaît et récompense. Et moi, puisque c’est moi qui suis en cause, moins encore qu’un autre.

Est-ce que cela doit nous interdire pour autant de parler de la religion ? Est-ce que cela doit nous aveugler au point d’ignorer qu’il existe à l’évidence, après la fin des idéologies totalitaires et les désillusions de la société de consommation, une immense demande de spiritualité ? Est-ce que cela doit nous empêcher de regarder lucidement la situation de l’islam de France ? Ne voit-on pas qu’en refusant d’examiner les conséquences pratiques de la présence musulmane en France, on a laissé se développer les attitudes les plus contraires à la laïcité, comme les pratiques vestimentaires ostentatoires et les revendications identitaires ?

Le principe de laïcité doit-il nous détourner du rôle que nous pouvons jouer, par exemple à Ryad, en faveur du dialogue entre les civilisations, alors que ce dialogue est un enjeu majeur du XXIème siècle ? Doit-il me priver du droit de rencontrer des prêtres, des pasteurs, des rabbins, des religieux, pour leur dire que ce qu’ils font au bénéfice des plus pauvres, pour le réconfort des malades, pour l’éducation des jeunes, pour la réinsertion des prisonniers, est tout simplement utile et bien ? Sont-ils des citoyens de seconde zone ? Le principe de laïcité oblige-t’il le Président de la République à ne parler que de la sécurité routière, des déficits publics, de la politique spatiale, sans jamais parler des choses essentielles, comme la vie, la civilisation, l’amour, l’espérance ?

[…] C’est d’abord à la mémoire et à la transmission de la Shoah vers les jeunes générations que la France doit consacrer toute son attention et toute son énergie. […] C’est pourquoi j’ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah.

Les enfants de cet âge sont souvent plus graves que leurs aînés. Ils sont attentifs aux êtres, à l’intimité des noms et des prénoms, à l’importance de leur environnement le plus quotidien. Comment seraient-ils alors insensibles à l’histoire de ces enfants, qui avaient les mêmes jeux, les mêmes joies, et les mêmes peines qu’eux, et qui, progressivement, ont été exclus de leur école, séparés de leur famille, chargés dans des trains pour un voyage sans retour ? Le succès mondial du Journal d’Anne-Frank montre la puissance d’évocation et d’illustration que comporte pour un enfant le récit d’une histoire qui aurait pu être la sienne. »


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