(G. Chevrier, marianne.net , 30 sept. 24). Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, coordinateur de « Laïcité, émancipation et travail social » (L’Harmattan, 2017), membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République 1er octobre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Salariées voilées : "La neutralité est un des enjeux les plus fondamentaux du travail social"".
"[...] Derrière ces réactions, n’y a-t-il pas un énorme malentendu sur le sens même du travail social ?
Le secteur associatif, très important dans le champ social et médico-social, bien que régi par le droit privé (Code du travail), peut se voir appliquer des dispositions juridiques imposant la neutralité, notamment religieuse, des personnels. Si une association assure « une mission de service public déléguée par l’État », tel que mentionné dans le Règlement intérieur de l’association, il est juste de dire à la suite que cela « impose d’assurer l’obligation de neutralité du personnel » et que « les missions s’exercent dans le respect du principe de laïcité ».
Tout port de signes religieux pendant le temps de travail est ainsi interdit. Ce qui a été renforcé par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 dite contre le séparatisme. La présidente de l’AARS, Valérie Jurin, explique ne faire qu’appliquer la loi en s’appuyant sur des directives récentes du Comité interministériel sur la laïcité. L’association vient de recevoir le soutien du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, sur X : « Il n’est pas acceptable que des personnes cherchent à s’extraire des règles communes en matière de laïcité. Je soutiens cette association, opérateur de l’État, qui ne fait qu’appliquer la loi. »
Mieux, ce principe de neutralité a été introduit dans le privé, par deux décisions rendues par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en date du 14 mars 2017, confirmées par la Cour de cassation. Il s’applique aux relations avec la clientèle (les usagers dans le social), si les manifestations ostensibles des convictions peuvent s’opposer au bon fonctionnement de l’entreprise (ou de l’établissement). Ce n’est pas une discrimination directe si elle concerne toutes les formes de convictions « politique, philosophique ou religieuse ».
44 % des établissements de ce secteur ont introduit des dispositions sur la neutralité dans le règlement intérieur applicable au personnel (plus de 50 % pour ceux de plus de 200 places…), selon un rapport officiel de 2016. Cette neutralité est déjà la règle dans la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile.
Une autre dimension est souvent oubliée, voire parfois ostracisée, au nom du respect des différences : la protection de l’usager vis-à-vis d’influences contraires à ses droits par des intervenants sociaux. Une loi de 2002, énonce les droits des usagers dans ce type d’établissement, dont, celui d’une « prise en charge […] respectant un consentement éclairé ». Qui dit « consentement éclairé » engage l’adhésion de l’usager, son libre arbitre, sa liberté de pensée et donc de conscience (laïcité). Une liberté fondamentale attachée aux droits de la personne, qui ne reste donc pas à la porte de ces établissements.
Qu’il le veuille ou non, le travailleur social, par l’affichage ostensible de ses convictions, en raison de l’ascendant comme guidant qu’il a sur l’usager, parfois fragile, peut influer sur l’autonomie de ses choix. Sans parler encore de travailleurs sociaux de même conviction, qui peuvent constituer un groupe de pression par leurs manifestations. On voit combien cette posture de neutralité, de réserve, qui conditionne l’impartialité de l’action, s’invite dans le champ de l’éthique du travail social.
Le port par un professionnel d’un t-shirt « Je suis athée », d’une « grande croix » ou d’un qamis, posera inévitablement un problème. Il en va du sens et de la finalité du travail social, qui vise à l’intégration de la personne accompagnée, définie comme « usager-citoyen », dans le respect de son autonomie. C’est d’autant plus important que cette association accueille de nombreux usagers étrangers.
Une question très peu abordée dans les formations, par crainte de l’accusation de discrimination. Elle engage pourtant la responsabilité de ce type d’établissement, relativement aux missions confiées, s’inscrivant dans des politiques sociales de l’État, d’intérêt général, de cohésion sociale. C’est un enjeu de la solidarité avec tous autour des principes républicains. C’est cela qui doit être porté au-dessus des différences convictionnelles des travailleurs sociaux et non faire de ces différences un obstacle à la finalité du travail social.
Cette démarche de l’établissement s’inscrit donc parfaitement dans les buts humanistes de celui-ci, contrairement à certaines affirmations. C’est même pour le travail social un des enjeux les plus fondamentaux et actuels pour notre société. Une Charte nationale qui clarifie les choses sur le sujet dans ces établissements, sur cette base, devrait être mise en chantier, dont l’État pourrait prendre l’initiative. Ce qui lèverait bien des incompréhensions et des confusions, pour aider à repenser sur ce plan le rôle si capital des acteurs sociaux."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Travailleurs sociaux dans Travail, la rubrique Voile & vêtements,
dans les Initiatives proches Vigilance travail social, dans les Liens Vigilance travail social (note de la rédaction CLR).
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