Revue de presse

"Derrière l’humanitaire, la part d’ombre de BarakaCity qui inquiète les autorités" (leparisien.fr , 27 oct. 20)

28 octobre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’ONG musulmane située à Evry-Courcouronnes (Essonne) est menacée de dissolution. Pourquoi ? Enquête sur ses réseaux et l’idéologie promue par son sulfureux président, Idriss Sihamedi.

Par Bartolomé Simon et Nicolas Goinard

BarakaCity ne sera peut-être bientôt plus. Cette ONG humanitaire musulmane, créée en 2008 et dont les locaux se trouvent à Evry-Courcouronnes (Essonne), est menacée de dissolution. Pourtant, aux yeux des autorités, ses activités caritatives sont moins dans le viseur que la personnalité et l’idéologie controversée de son président, Idriss Sihamedi.

Pour justifier sa dissolution, le ministère de l’Intérieur évoque des « messages publiés en ligne depuis les comptes de l’association ou (ceux de son président) » qui « provoquent de très nombreux commentaires hostiles à l’Occident, à la laïcité, aux francs-maçons ou encore aux musulmans qui ne partagent pas la conception de l’islam promue par l’association ».

40 000 abonnés sur Twitter et 48 000 sur Facebook

Une conception de l’islam rarement évoquée, en façade, par BarakaCity, mais très prégnante dans le discours de son président. Influent et prolixe sur les réseaux sociaux, il compte à lui seul près de 40 000 abonnés sur Twitter et 48 000 sur Facebook. Ses récentes attaques contre l’ex-journaliste de « « Charlie Hebdo », Zineb El Rhazoui, et la chroniqueuse de RMC Zohra Bitan lui ont fait gagner près de 10 000 abonnés. L’association, elle, en compte plus de 700 000 sur Facebook. Soit plus que l’ONG Médecins sans frontières (591 000) et quasiment l’équivalent de Greenpeace France (800 000).

Retombé dans l’anonymat sur un plan médiatique depuis mars 2019, et le classement sans suite de l’enquête pour « financement du terrorisme » et « association de malfaiteurs terroriste » visant son association, Idriss Sihamedi se fait de plus en plus virulent depuis la rentrée 2020. Au même moment, le gouvernement annonçait son projet de loi sur le séparatisme, et le procès des attentats de 2015 occupait l’actualité.

Dans une publication Facebook datée du 3 septembre, Idriss Sihamedi rappelle, selon lui, que « PERSONNE ne peut offenser notre prophète. Qu’Allah maudisse Charlie et enflamme leurs tombes à la chaleur du soleil ». Une semaine plus tôt, le 27 août, il écrit sur Twitter que « mourir martyr est la plus belle chose dans la vie d’un croyant […] C’est ce qui nous diffère d’eux. Aimer la mort comme ils aiment la vie. » C’est ce que Mohamed Merah, le tueur au scooter à Toulouse avait dit aux policiers du Raid : « Moi la mort, je l’aime comme vous aimez la vie ».

Malgré ses prises de paroles polémiques, Idriss Sihamedi peut compter sur de nombreux relais religieux et politiques, notamment à gauche. En témoignent les signataires d’une pétition de soutien en sa faveur suite aux perquisitions chez Barakacity : Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, Taha Bouhafs, journaliste et militant indigéniste ou encore le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), menacé lui aussi de dissolution par le gouvernement.

Des joueurs de foot pro comme soutiens

On trouve également des footballeurs professionnels comme Mehdi Tahrat (ancien joueur de Ligue 1) Alayxis Romao (actuel joueur de l’En Avant Guingamp, en Ligue 2) ou encore Jacques Faty, ou Fatih. Originaire d’Epinay-sous-Sénart (Essonne), ce converti a joué à l’Olympique de Marseille et vit désormais en Turquie, où il vient d’obtenir la nationalité locale. Il multiplie d’ailleurs les soutiens envers le président turc Erdogan sur ses réseaux sociaux. « Il est bon, il a fait du bon travail pour la Turquie », militait-il sur le plateau de RMC en juin 2017.

« Ce type de personnalité avec du pognon, c’est exactement la cible de BarakaCity, commente un connaisseur de la mouvance islamiste. Des personnes converties à l’islam avec sincérité, mais qui se font avoir. » Contacté, Jacques Faty n’a pas répondu à nos sollicitations.

Ces généreux donateurs de l’ONG - elle est financée à 100% par les dons - remplissent les caisses de BarakaCity. Selon son fondateur, elle a ainsi levé près de 16 millions d’euros en quatre ans d’activité.

Communication efficace et « agressions islamophobes »

Si l’ONG parvient autant à fédérer, c’est qu’elle est passée maître dans l’art de la communication. Sur son site, on peut visionner des vidéos soignées, qui mêlent discours d’Emmanuel Macron, scènes de guerre et incitations à la mobilisation. En 2016, la popularité de BarakaCity explose lorsque Moussa Ibn Yacoub, un membre de l’association, est emprisonné 70 jours au Bangladesh puis libéré à la suite d’une mobilisation.

Son succès permet à Sihamedi de toucher les musulmans français, notamment dans les quartiers. Sur ses réseaux sociaux, il affine son discours politique et fait de « l’islamophobie » son cheval de bataille. Selon lui, les musulmans sont victimes de l’Etat français anti-islam. Pour accréditer sa thèse, l’activiste les incite à filmer et diffuser toute perquisition ou interpellation qui les viserait. Il n’hésite pas non plus à relayer à foison le moindre incident à l’encontre des musulmans dans le pays.

Quitte à se fourvoyer, comme ce 15 mars 2019, lorsque le compte officiel de BarakaCity signale en urgence une « agression islamophobe » à la mosquée de Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne). « Des fidèles ont été frappés par deux individus au moins, de la bière a été déversée dans la mosquée même », écrit l’association. Problème : comme « Le Parisien » l’indiquait le jour-même, ces faits n’ont jamais existé, puisqu’il s’agissait en réalité d’une femme (hospitalisée en psychiatrie après son interpellation) qui a insulté les fidèles et leur a jeté une canette de soda avant de remonter dans sa voiture.

« On parle de BarakaCity, des projets, mais sa vraie façade, c’est l’islam »

De quoi interroger sur le but réel de BarakaCity, qui reste sobre sur son aspect religieux. « Notre objectif est d’aider les nécessiteux partout dans le monde » se présente l’association sur son site. En 2013, dans une interview donnée au Salon du Bourget, Idriss Sihamedi se faisait plus clair : « On parle de BarakaCity, le projet L’eau c’est la vie, etc. mais derrière, sa vraie façade, inch’allah, c’est l’islam. »

L’homme qui l’interviewe n’est autre que Mehdi Kabir, ancien imam salafiste de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) au passé trouble. Cet imam avait notamment créé la polémique en déclarant en avril 2013 « qu’Allah transformera certains êtres humains en singes et en porcs » - avant de « regretter » ses propos.

L’idéologie d’Idriss Sihamedi, elle, apparaît au grand jour en 2016. Invité par Canal+ à l’émission du « Supplément », le présentateur lui demande s’il « condamne » l’Etat islamique. Sihamedi louvoie, estime que la question le « gêne » parce qu’elle lui est posée en tant que musulman.

Avant d’entrer sur le plateau, il avait également refusé de serrer la main de la ministre de l’Education de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem, parce que c’est une femme. Pendant le confinement, Idriss Sihamedi s’était d’ailleurs réjoui de pouvoir dire « non » à une femme qui veut lui serrer la main. « Ça fait bizarre de voir que des choses halal deviennent normales », avait-il ajouté.

Ce comportement fait-il de lui un salafiste ? Lui rejette l’étiquette. « Salafiste, takfiste, quiétiste, piétiste, islamiste, fondamentaliste, rigoriste, polémiste ! Ce sont tous les termes utilisés par des médias et journaux pour dire que je suis un musulman qui n’a pas les mêmes idées que Chalghoumi (NDLR : un imam représentant d’un islam modéré) », tweetait-il en septembre 2018.

Des chants de l’Etat islamique sur son ordinateur

En 2017, lors d’une perquisition, les policiers découvrent dans son ordinateur cinq anasheed (chants religieux) de l’Etat islamique ainsi qu’un exemplaire de « Dar Al Islam », revue officielle produite par l’organisation terroriste.

Ses avocats répondent que ces chants se trouvaient « parmi les milliers de fichiers audio, allant du rock, musique classique aux bruitages hollywoodien. En tant qu’organisation, l’association explique le fait de détenir parfois des fichiers pour disséquer les contenus, c’est ainsi valable pour le magazine de l’EI qui a été téléchargé pour justement prendre compte de la menace de mort publiée à l’endroit de monsieur Rachid el Jay (l’imam de Brest) et de démontrer que les musulmans sont les premières cibles de ces groupes. Elle n’en partage cependant pas le fond. »

« Même s’il le nie, Sihamedi a tout du salafiste : il ne serre pas la main aux femmes, a une obsession pour les juifs, ne porte pas de moustache mais une barbe fournie, porte des pantalons retroussés aux chevilles… » analyse un ancien membre des services de renseignements. « Il a aussi le qamis (vêtement long) et le kufi (chapeau blanc) », appuie un autre observateur de la mouvance islamiste.

« C’est un salafiste revendiqué dans le look, le comportement avec les femmes, et en creux, dans le discours, abonde un connaisseur des réseaux islamistes. Et en même temps, comme d’autres de ses pairs salafistes, il développe depuis quelque temps un discours « frériste » (NDLR : qui se rapporte au mouvement des Frères musulmans) en abordant des sujets de société. Il s’immisce dans le débat public, cela fait de lui un profil hybride. »

Pour un autre connaisseur de l’islamosphère, Sihamedi est un « salafiste sur le plan religieux, et un Frère musulman sur le plan politique ». « Les salafistes sont généralement en faveur du pouvoir en place et ne se mêlent pas de politique, ajoute-t-il. Lui, si. C’est un frériste conservateur, de droite. »

« Il est dangereux, réagit Thibault de Montbrial, avocat de Zineb El Rhazoui. C’est quelqu’un qui maîtrise le vocabulaire et le droit et ce qu’il fait a une double logique. Le harcèlement et la désignation. C’est comme ce qu’on appelle en langage militaire une illumination laser pour bombarder. Les bombes ce sont tous les tweets qui arrivent ensuite. Puis il y a dans les personnes qui le suivent, une partie résiduelle à la frontière de la violence qui risque de passer à l’acte. » L’avocat a sollicité Twitter pour que le réseau social intervienne. Mais rien n’y a fait.

Du prosélytisme religieux à la politique

Pour les observateurs, le fait qu’Idriss Sihamedi prenne part au débat public en impliquant BarakaCity n’est pas anodin. « En ce moment, il abandonne le religieux pour faire de la politique, estime l’un d’eux. Attention, il ne croit pas qu’il prendra le pouvoir par les urnes, en revanche, il entend imposer sa norme religieuse aux musulmans français. Avec BarakaCity, ce prosélytisme passe par du caritatif. »

Une activité caritative qui touche et rassemble les foules. « Il ne se prononce ni salafiste ni Frère musulman, parce qu’il veut ratisser large, explique un ancien des RG. Se placer dans un camp, c’est diviser. Or, il vit de dons ! » Ses attaques ciblées envers Zineb El Rhazoui ne seraient pas non plus dues au hasard. « Il s’attire grâce à ça la sympathie des « fréristes », salafistes ou plus largement de la communauté musulmane, pour qui Zineb est une traîtresse, poursuit un spécialiste de l’islamisme en France. C’est l’ennemie idéale. »"

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Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique BarakaCity dans Islamisme (note du CLR).


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