Revue de presse

"Coexister, une association dans le collimateur du gouvernement" (lepoint.fr , 25 nov. 20)

26 novembre 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Discours ambigus sur la laïcité, proximité avec les réseaux des Frères musulmans… L’association Coexister est pourtant devenue incontournable auprès des pouvoirs publics.

Par Olivier Pérou et Clément Pétreault

« Interdire le droit au blasphème », « les journalistes sont pro-israéliens », « interdire aux journalistes de parler de l’islam », « l’État est islamophobe »… Ce 22 octobre à Poitiers, la discussion entre Sarah El Haïry et une centaine de jeunes rassemblés depuis plusieurs jours sous l’égide de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) prend une tournure inattendue. Les propos tenus par certains participants choquent la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, si bien que les services de l’Éducation nationale diligentent une mission d’inspection générale pour mieux comprendre comment une « rencontre nationale autour de la question des religions dans la société » encadrée par des associations subventionnées peut déboucher sur ce genre de positions.

Dans la salle du lycée privé Isaac-de-l’Étoile, qui accueille l’événement, on relève la présence de Radia Bakkouch, présidente de Coexister, une association qui intervient régulièrement auprès des jeunes, notamment sur des questions de laïcité. Le lendemain, un article de La Vie, publié une semaine après les événements, torpille la ministre El Haïry. L’auteur ? Un certain Laurent Grzybowski, journaliste et auteur-compositeur de musique religieuse et profane, qui reproche à l’élue un ton professoral, « incantatoire », et une humeur « très énervée ». Laurent Grzybowski est aussi le père du fondateur de Coexister, Samuel Grzybowski. Dès lors, plusieurs questions taraudent l’exécutif : à quel titre Coexister a-t-il été invité à cet événement ? Partagent-ils ces propos ? Mais d’ailleurs, quelle vision de la laïcité défendent-ils ?

Contactée par Le Point, Radia Bekkouch se veut rassurante : « Nous n’étions pas partenaires de cette journée. Nous n’avons rien organisé, et si nous étions là, c’est pour écouter les jeunes et leurs propositions », explique-t-elle. « Cela fait douze ans que l’on existe et travaille sur les questions de laïcité. C’est aussi à ce titre que nous avons été conviés par la FCSF pour cette dernière journée, comme la secrétaire d’État. Les pouvoirs publics nous connaissent. Il y a encore quelques mois, on discutait régulièrement avec Gabriel Attal, le prédécesseur de Sarah El Haïry. »

Il n’empêche, au ministère de l’Intérieur , la présence de Coexister ce 22 octobre et son action en général en faveur de la laïcité interrogent. Chez Marlène Schiappa, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, on avance une hypothèse : « Il y a manifestement un malentendu sur le projet de Coexister qui semble en apparence bien sympathique, mais qui défend davantage les relations interconfessionnelles que la laïcité. » Le Point a voulu en savoir davantage sur cette association qui s’est très vite fait une place auprès des institutions républicaines. Trop vite ?

Accointances avec les Frères musulmans

La polémique de Poitiers aura fait ressurgir les relations troubles que Coexister entretient ou a entretenues avec de nombreuses associations qui opèrent dans le champ religieux. Notamment des associations comme les Étudiants musulmans de France (EMF) ou l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont l’affiliation politique avec les Frères musulmans est établie.

Coexister partage ainsi estrades et pétitions avec ces organisations, montent des opérations de solidarité, bref, militent pour une interprétation très multiculturaliste de la laïcité, une interprétation qui laisserait le champ libre à toutes les croyances, y compris les plus rigoristes.

Des accointances, pourtant richement documentées, que Samuel Grzybowski nie, et ce, en dépit de nombreuses prises de parole publiques explicites sur ces sujets : « Je condamne de toute ma force la pensée frériste. Je n’ai aucune amitié personnelle ou idéologique avec ceux que je considère être à l’extrême droite de l’Islam. » Ces événements conjoints avec des associations qui militent pour une vision identarisée de la religion étaient-ils des égarements ? « Je ne sais pas, car, moi, je m’interroge de savoir pourquoi ils arrivent à rassembler 120 000 musulmans. On fait quoi ? On les laisse dans leur coin macérer leurs vociférations contre la République ou on va à leur rencontre ? Je crois qu’il faut dialoguer. »

Coexister n’hésite pas à partager des causes en compagnie d’associations qui pratiquent un militantisme plus moderne, telles que Lallab, une association intersectionnelle provoile qui affirme « défendre les droits des femmes musulmanes qui sont au cœur d’oppressions sexistes, racistes et islamophobes ». Coexister décernera même le prix « Femme émergente » à la fondatrice de Lallab, Sarah Zouak, avec le concours de Jean-Louis Bianco , président de l’Observatoire de la laïcité.

Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) fait aussi partie des compagnons de route. Cette association fondée en 2003 fait partie de ces mouvements qui réclament la reconnaissance d’un délit d’islamophobie, dont la définition est sujette à de nombreuses controverses. Les militants du CCIF n’hésitent pas à écrire que « L’État français et ses institutions sont responsables de 70 % des actes islamophobes », comme elle l’a défendu dans un rapport publié à l’ONU.

« On a été un peu naïfs à un moment donné en engageant des dialogues partout sans choisir les interlocuteurs. Nous pensions que Coexister disposait d’une immunité comme la Croix-Rouge », justifie aujourd’hui Grzybowski. Notre seule collaboration avec le CCIF, ce fut la tribune “Nous sommes unis” [cosignée également avec le rappeur Medine, Jean-Louis Bianco et Jean-Paul Delevoye dans Libération, NDLR] et nous ne la renions pas. » Il y a pourtant eu d’autres collaborations, comme ce « dialogue citoyen autour de la laïcité » à Montpellier en janvier 2017 à l’initiative du CCIF et auquel des membres de Coexister ont été associés. « Pour le reste, poursuit Grzybowski, j’ai trois désaccords fondamentaux avec le CCIF : je suis pour la loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école, pour la loi de 2010 sur la dissimulation du visage dans l’espace public, et je suis contre l’idée selon laquelle le gouvernement criminalise la religion musulmane. » Et de compléter : « S’il y a des éléments juridiques pour le dissoudre, je ne m’y opposerai pas. »

« L’islamisme est un mouvement très marginal »

Pour l’essayiste Fiammetta Venner, Coexister est « le principal partenaire de la dérive [de l’Observatoire de la laïcité], prudemment œcuménique et faussement naïve, en même temps que l’un des bras armés des campagnes visant les laïques vigilants envers l’intégrisme”, écrivait-elle dans un article intitulé « Coexister ou l’ambition laïcité zéro » paru dans la revue Prochoix de février 2016. Quatre ans et demi plus tard, les faits l’ont confortée dans son analyse de la situation : l’association a démontré qu’elle préférait largement la compagnie des activistes islamistes à celle des laïques athées.

Fidèles à un réflexe très ancré dans une partie de la gauche au lendemain de chaque attentat, les membres de Coexister s’inquiètent davantage de la montée de l’intolérance contre l’islam (qui ne serait que le résultat d’une laïcité mal interprétée) que des atteintes permanentes et démultipliées à la laïcité et dont Samuel Grzybowski minore l’existence : « L’islamisme en tant que mouvement politique n’est pas significatif. C’est un mouvement très marginal de la société française, mais qui a une capacité de nuisance et d’action considérable. Mon inquiétude, c’est que le gouvernement surestime le poids de l’islamisme politique, et c’est aussi ça qui fait sa force. »

Discours confus

L’association Coexister intervient régulièrement auprès de jeunes publics, parfois pour y « défendre » la laïcité, une défense qui consiste essentiellement à cantonner la laïcité à une interprétation limitative, astreignant l’État à une forme de pudique neutralité au nom d’un relativisme culturel non assumé. L’association, qui utilise la laïcité comme paravent d’une pratique religieuse interconfessionnelle et active, tient des discours emplis de convictions, mais parfois confus : « On n’est pas vraiment certains qu’ils comprennent eux-mêmes ce qu’ils font », explique Fiammetta Venner au Point, soulignant que les incohérences structurelles du discours de Coexister avec les valeurs laïques auraient dû alerter les pouvoirs publics, « notamment sur l’universalité des droits ».

En effet, le 13 juin 2020, Samuel Grzybowski publiait sur Twitter un long texte expliquant « pourquoi il faut tuer l’universalisme (enfin) et rétablir toutes les formes d’universalités ». Dans cette diatribe violente, il qualifie l’universalisme d’« idéologie » et de « système de pensée totalisant et dogmatique » cherchant à « imposer un modèle unique, devenant de facto une menace pour les pluralismes (religieux, démocratique, culturel) ».

Aujourd’hui, il se dédit de cette saillie contre l’universalisme, au risque de verser dans une définition pour le moins contradictoire : « Je ne pense pas qu’il faut tuer l’universalisme, mais je dénonce un universalisme ethnocentré. Je préfère un “universalisme intersectionnel”, comme défini par Osez le féminisme : “Aucun relativisme culturel ne saurait remettre en cause les droits fondamentaux”. » Pour Fiammetta Venner, les membres de Coexister « se perçoivent comme positifs et aimeraient que l’on soit tous davantage religieux, que leur point de vue soit discuté comme point de vue rationnel et, surtout, que l’on n’offusque personne ». Jean-Pierre Sakoun, le président du Comité Laïcité République, estime, lui, que « la ligne de Coexister est celle du confusionnisme total. Leur seul objectif consiste à rendre la laïcité incompréhensible pour mieux la liquider. »

Subventions

Discours ambigus, proximité plus ou moins assumée avec les réseaux des Frères musulmans, alignement sur le discours victimaire d’organisations communautaires, promotion du hidjab… En dépit de prises de position dont le caractère laïque et républicain interroge, Coexister a su se faire une place auprès des acteurs publics, notamment lorsqu’il s’agissait de « défendre » la laïcité. C’est à la suite de l’initiative « La France s’engage » lancée en 2014 par François Hollande que Coexister décroche – après un vote en ligne – une subvention de 150 000 euros par an pendant trois ans. Cette subvention permettra à l’association de se développer et de porter son œcuménisme prosélyte auprès d’audiences toujours plus larges.

Revendiquant la formation de plus de 25 000 jeunes chaque année, Coexister n’aurait pu prospérer et occuper une telle place dans le champ de la laïcité sans la bienveillance des pouvoirs publics et de certains de ses représentants, notamment celle de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, qui a remis à l’association Coexister le « prix laïcité » en novembre 2016, quelques mois seulement après avoir cosigné avec Samuel Grzybowski un ouvrage intitulé L’Après-Charlie aux éditions de l’Atelier.

Depuis cette période, l’association a changé d’échelle et fortement développé son activité de formation auprès d’acteurs publics comme privés. Rien d’étonnant donc à ce que des membres de l’association aient été invités partout, jusqu’au conseil national de la Caisse nationale d’allocations familiales lors de la présentation du document « Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements d’accueil du jeune enfant ». On relève aussi une subvention de 15 000 euros délivrée en 2018 par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). « Ce serait aujourd’hui difficilement envisageable », remarque-t-on du côté du CIPDR, qui passe actuellement en revue toutes les associations opérant sur ces sujets.

Agrément de l’Éducation nationale

Faisant preuve d’une connaissance fine des mécanismes de financement par fonds publics et privés, les fondateurs de l’association habilitée à recevoir des dons déductibles des impôts disposent aussi d’un certain sens des affaires. Samuel Grzybowski a fondé il y a quatre ans, avec Victor Grezes, le cabinet Convivencia Conseil, qui se réclame des valeurs de l’économie sociale et solidaire (EES), mais qui refuse de publier ses comptes. Une discrétion légale mais peu conforme aux usages de l’ESS. « Sur les conseils de notre expert-comptable et de notre conseil stratégique, nous avons décidé depuis 2016 de ne pas rendre nos comptes disponibles en libre accès sur Internet, tel que cela est permis par le droit, et notamment dans le cadre de notre stratégie de positionnement vis-à-vis de la concurrence », fait savoir Victor Grezes. Le cabinet, dont l’activité consiste à accompagner des entreprises dans la gestion du fait religieux de la laïcité, déclarait en 2016 un chiffre d’affaires de 60 000 euros. En quatre ans, Convivencia Conseil a plus que quadruplé son chiffre d’affaires, selon les éléments fournis au Point par les intéressés. La structure revendique la formation de 220 000 collaborateurs auprès de clients privés ou publics, comme Total, Orange, Michelin ou le ministère de la Justice. Le ministère de l’Intérieur affirme ne plus assurer aujourd’hui de financement central à Convivencia Conseil.

L’association Coexister, reconnue d’intérêt général, ne ménage pas non plus ses efforts administratifs pour pouvoir opérer auprès d’un public toujours plus important, accumulant labels et agréments administratifs. Elle a obtenu, par exemple, l’agrément « Jeunesse et éducation populaire », qui lui offre la possibilité de participer à des activités périscolaires. Initialement délivré par le ministère chargé de la Jeunesse, l’agrément a été confirmé en août 2020 dans une liste publiée par ce ministère, c’est-à-dire le ministère de l’Éducation nationale, au grand étonnement des membres du Conseil des sages de la laïcité, qui ont pourtant demandé à être systématiquement consultés avant la délivrance de tels agréments. Une nouvelle demande d’agrément, déposée cette fois directement auprès du ministère de l’Éducation nationale, a reçu la semaine dernière un avis défavorable."

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