Tribune libre

"Révolte du bikini" en Algérie : le glas a sonné pour les islamistes (K. Slougui)

par Khaled Slougui, consultant formateur, président de l’association Turquoise Freedom. 15 août 2017

Les islamistes ont toujours eu recours au mensonge le plus éhonté pour pervertir le mode d’expression de la religion en Algérie, mais aussi dans d’autres pays du Maghreb ; ils ont plaqué des pratiques venues surtout des pays du Golfe, d’Arabie et d’Egypte, sur une société qui était plus arrimée à la Méditerranée et ses cultures, et qui a vécu et vit toujours cela comme une greffe forcée. Malgré une tendance affirmée au conformisme religieux mais qui néanmoins n’exprime aucune prédisposition effective à son ancrage.

Or, voilà que la greffe n’a pas pris dans le temps. La jeune Sara et les femmes qui partagent son combat expriment par le port du bikini une revanche justifiée, un juste retour des choses, la volonté d’être libres, et, sans nul doute, dans l’intimité de leurs consciences, le sain, le légitime désir de retrouver l’islam de leurs parents qui était d’une attachante simplicité, et en tout cas très éloigné du cirque et du cinéma actuels.

Situation propice à la négation, si ce n’est le dévoiement de l’islam comme culture et civilisation au profit d’une hystérisation du culte dans une communauté de conditionnement qui, selon Mohamed Talbi [1] « peut donc avoir une dimension totalitaire. Elle est alors quelque chose d’horrible parce qu’elle tue la personnalité et la pensée ».

L’islam, heureusement, n’épuise pas notre identité : elle est plus riche, plus ouverte, et surtout multiple, eu égard à notre histoire millénaire ; la réduire à l’arabité et l’islam, c’est la caricaturer et l’estropier. Un des meilleurs fils de l’Algérie, un certain Kateb Yacine (l’auteur de Nedjma) s’affirmait comme « amazigh » qui signifie homme libre ; il a aussi émis le vœu final d’être enterré sans les prières. Voilà une facette d’avant-garde de l’identité algérienne. Les ténébreux avaient alors crié au scandale.

Ces femmes ne veulent ni plus ni moins que rétablir le passé dans ses droits naturels en réhabilitant un statut de la femme, malmené, outragé, sorti d’une saine tradition séculaire, et en contradiction flagrante avec une histoire non mutilée et en tout état de cause bien comprise.

Et que l’on ne nous reprenne pas l’antienne galvaudée jusqu’à l’overdose : « c’est l’islam qui le veut » !

Dans la société que j’ai connue et dont je garde une nostalgie jamais surmontée (c’est un dur métier que l’exil, titre Nazim Hikmet), même si le mien est volontaire, la foi se suffisait à elle-même, elle n’avait pas besoin de tant d’exhibitionnisme et de « m’as-tu vu ? », elle se vivait, elle ne se clamait pas. Une foi détendue, décontractée, éclairée…

« Malheur à ceux qui prient avec ostentation » (107 ; 4,6) dit le coran ; en lisant l’évangile selon Mathieu -6-, j’ai découvert qu’il ne disait pas autre chose. Laissons donc la religion à sa place, l’espace privé, elle y trouverait accomplissement et quiétude. Son rôle n’est pas de « régenter l’espace public, ce serait une violence intolérable » tranche Régis Debray [2].

Avec raison, il a déjà été dit que les islamistes assignaient de nouvelles fonctions à l’islam areligieuses, voire antispirituelles, un bel exemple est fourni par la police des mœurs qui n’est prévue nulle part par l’islam. Il serait infondé de juger la force des islamistes au recours à des méthodes d’un temps révolu. « C’est assurément un certain islam qui agonise ; toutes ces violences sont les soubresauts de la bête qui se meurt. Je ne sais combien de temps va durer cette illusion du retour à l’âge de Médine, à la cité parfaite… », nous avertissait Abdelmalek Sayad [3].

Les psychanalystes verraient dans l’agitation furieuse des islamistes, un phénomène de compensation d’une déficience de la foi par un surinvestissement dans l’exhibition et « un furieux désir de sacrifice, dont nous parle Fethi Benslama [4] en l’inscrivant dans un concept neuf, celui du surmusulman.

En Algérie, le bikini était l’habit de plage normal pour les femmes qui allaient se baigner, depuis l’indépendance (1962) et jusqu’à la période de grave contamination de mon cher pays par le cancer islamiste, c’est-à-dire le début des années 1980. Pour autant, il n’y a jamais eu d’agression de femmes sur les plages, ni ailleurs. Le vivre ensemble était largement préservé.

Cette notion de contamination m’a été inspirée par une étude magistrale de Mostefa Lacheraf [5] sur l’intégrisme algérien, sous le titre on ne peut plus évocateur : un pays malade de sa religion. Cette maladie de la religion remet en cause tous les attributs dont certains orientalistes, politologues et autres nouveaux spécialistes de l’islam affublent les islamistes : démocrates, révolutionnaires, modernistes, combattants pour la justice…etc.

En vérité, il s’agit d’un islam fantasmé autant par les non musulmans que les musulmans eux-mêmes. Chercher à arrêter le cours de l’histoire et son évolution ; en rester à l’expérience vécue en Arabie du VIIe siècle est évidemment une tentative vouée à l’échec.

Voilà la réalité de mon pays ; autant dire que c’était l’époque où le maléfique fichu n’existait pas ; j’en parle ici comme construction idéologique ayant abusé de la foi de nos jeunes femmes qui ne sont pas (c’est l’un des sens de la révolte du bikini) à l’abri de s’en émanciper.

Contamination qui, il faut le rappeler a fait le lit d’une religiosité, fruste, tactique, forcément calculée et même de contrefaçon… Les islamistes ont toujours eu des liens très étroits avec toutes les contrefaçons (au sens le plus large du terme).

Un conformisme bête et méchant, désuet et anachronique, ceint d’une hypocrisie générale s’est imposé. Comme le disait avec une note d’humour une Iranienne que je recevais en formation : avant on priait à l’intérieur et on s’amusait dehors ; maintenant on prie dehors et on s’amuse à l’intérieur. Un peuple ne change pas par on ne sait quel miracle. Il n’y a que le vernis qui peut se ternir, voire disparaître.

Et mon intime conviction est que ce sort est irrémédiablement réservé à ce vernis islamiste (ne dure que le vrai, nous rappelle un proverbe algérien), laissant la place à la résurgence de valeurs en conformité avec notre passé et notre être historique.

Jusqu’à quand va-t-on se mentir ? Le problème c’est qu’il n’existe pas de vaccin ni contre le mensonge des islamistes, ni contre la crédulité de ceux qui les croient.

Pour ma part, comme j’ai préféré, à l’époque de la décennie noire, l’armée aux fascistes islamistes ; aujourd’hui, je préfère l’Occident « débridé et amoral », à en croire les obscurantistes, où les droits de l’Homme et l’état de droit ont un sens, aux sociétés musulmanes qui fonctionnent sur une grande hypocrisie. Tout se fait, tout se négocie, sans aucune limite, mais à l’abri des regards.

Avant l’islamisme, les choses étaient claires : il y avait ceux qui pratiquaient, chacun à sa façon puisqu’il n’y avait pas de modèle, ni de rituel collectif ; et les autres, dans leur diversité : pratiquants sélectifs, occasionnels, et d’autres cultes, mais aussi des agnostiques et des athées. Ces tendances ne sont pas marginales comme on le prétend souvent, elles existent comme dans toutes les sociétés, depuis que les religions sont apparues.

Ceux qui pêchaient, qui faisaient dans le haram « illicite » ne se mêlaient pas de religion, ils étaient pudiques à ce sujet, ils respectaient de fait une certaine réserve et assumaient leur choix comme le voulaient des traditions ancestrales, de bienséance, de civilité et de tolérance, de respect de soi, allais-je ajouter.

A contrario, aujourd’hui, on découvre Dieu en prison et l’on pratique prostitution et proxénétisme sous couvert de mariage « hallal » ; aussi, le vol devient un butin de guerre en référant de manière inopportune au temps du prophète, enfreignant ainsi toute éthique, toute morale.

Tout est faussé, les islamistes dictent le mode d’emploi de leur lecture des textes, la seule valable et qui prétend même à l’infaillibilité ; un mode d’emploi fondé sur la prééminence du paraître sur l’être, de la forme sur le fond, du culte sur la foi, de l’anti-culture sur la culture, de l’effet oratoire sur la recherche de sens, de la rudesse sur le raffinement, de l’aliénation sur l’authenticité, de l’archaïsme sur la modernité…

Le mouvement de ces femmes et d’autres révoltes encore étaient prévisibles ; cela se retrouve un peu partout, du Maroc à l’Egypte et à la Tunisie, l’islamisme a fait son temps, il est passé de mode ; ce n’est plus un outil efficace pour tous ceux qui l’instrumentalisent et ils sont légion.

Rappelons-nous que de grands changements ont eu pour origine de petits évènements, à l’image du jeune de Sidi Bouzid (Tunisie) qui s’est brûlé ; gageons même que les choses ne s’arrêteront pas là. A des problèmes concrets, le peuple algérien a besoin de réponses autres que l’eschatologie.

Les femmes en ont marre de la chape de plomb que les religieux font peser sur elles, et du cortège d’interdits débiles, à contre-temps de leur époque, et qui ne font pas partie de leur culture. Elles veulent étudier, travailler, renouer avec les réjouissances, être de leur temps et de sa morale ; elles ne veulent plus jouer de rôle imposé (y compris celles qui portent le voile).

Toute époque a, en effet sa morale, et notre époque a la sienne : remettre l’Homme à sa vraie place dans la société ; quant à Dieu, il n’a pas besoin de l’Homme. « Dieu est assez grand pour se défendre », nous rassure Georges Clemenceau.

Sara et ses camarades refusent l’abdication à un islam manipulé et qui continue à l’être à des fins qui n’ont rien à voir avec la religion, on l’a souvent dit ; leur combat sera couronné de succès, nul doute là-dessus, car elles sont dans le vrai, c’est à dire le sens de l’Histoire.

« Ne néglige pas ta part de vie dans ce monde », stipule le coran (28,77).

Elles ont retenu le sens de cette belle exhortation et n’ont plus envie de tourner le dos à la vie.

C’est pourquoi le glas a sonné pour les islamistes dont la contradiction majeure est bien d’envisager l’avenir à partir d’un passé mythifié.

Khaled Slougui

[1Mohamed Talbi, Plaidoyer pour un islam moderne 1998.

[2Régis Debray, Allons aux faits, 2016.

[3Abdelmalek Sayad, Histoie et recherche identitaire, 2002.

[4Fethi Benslama, Un furieux désir de sacrifice : le surmusulman, 2016.

[5Mostefa Lacheraf, Les ruptures et l’oubli, 1992.



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