Revue de presse

"Retour aux temps anciens de la charité publique" (Laurent Mauduit, mediapart.fr , Marianne, 22 déc. 12)

24 décembre 2012

"C’est une menace très grave qui pèse sur le Smic. Non pas seulement parce que le gouvernement a décidé de le majorer le moins possible et de jouer la carte de l’austérité salariale, mais pour une raison plus profonde, que la presse n’a pas relevée : parce que l’Elysée rêve de pouvoir un jour le contourner au profit du revenu de solidarité active (RSA). Et cette montée en puissance programmée du RSA au détriment du Smic est un projet qui modifie radicalement la philosophie de la politique sociale française. [...]

De longue date, François Hollande a des préventions contre le Smic. En quelque sorte, il a lui aussi été contaminé par la célèbre thèse (pour le moins discutable) de la « préférence française pour le chômage » – défendue en d’autres temps par Denis Olivennes et Alain Minc – selon laquelle des salaires trop élevés feraient le lit du chômage. [...]

Le gouvernement semble désireux, maintenant, de modifier les règles du jeu. Un groupe d’experts a en effet été chargé voilà quelques mois de tracer des pistes de réformes possibles. Et il vient de faire connaître le fruit de ses réflexions. Pour le court terme, les « têtes d’œuf » ont recommandé d’exclure tout « coup de pouce » et de réviser les modalités d’indexation – deux recommandations aussitôt appliquées par Matignon. Mais, pour le plus long terme, les propositions de réformes sont encore plus explosives. Entre autres idées, ces experts suggèrent d’avancer à terme vers des Smic selon l’âge des bénéficiaires – ce qui reviendrait à créer un Smic jeune, de sinistre mémoire –, ou alors des Smic différents selon les régions – ce que le patronat réclame depuis des lustres –, ou enfin de remettre carrément en question « le principe même d’une revalorisation automatique ».

En bref, ces experts proposent de casser le Smic en mille morceaux. Ce que le ministre du Travail, Michel Sapin, a aussitôt exclu : « Il y a un Smic et un seul ; il y aura demain un Smic et un seul. »

Mais, dans le lot de leurs propositions, il y en a une autre qui fait dresser encore plus l’oreille, car c’est sans doute celle qui révèle le mieux l’inspiration de la politique économique du gouvernement. Estimant – mais en se gardant bien d’en apporter la preuve – que « le Smic n’est pas un instrument efficace de lutte contre la pauvreté et les bas revenus », ces experts défendent l’idée que le gouvernement serait bien avisé de ne plus se servir du salaire minimum à cette fin, mais seulement du RSA.

Traduction : cessons de majorer le Smic, qui pèse sur les entreprises, ne majorons plus que le RSA, qui est à la charge de l’Etat ! Cessons de légiférer en matière de travail et laissons l’Etat apporter des aides aux plus pauvres ! Brûlons même le code du travail et contentons-nous de prévoir un système d’aide pour les plus déshérités ! Voilà en résumé le nec plus ultra du libéralisme revisité par le socialisme version Hollande : un marché du travail bien déréglementé mais des bonnes œuvres bien organisées.

Pour l’heure, le gouvernement n’a donc mis en œuvre qu’une partie des recommandations de ces experts. Mais la philosophie de l’action publique est au moins clairement affichée. Une philosophie rétrograde : c’est le retour aux temps anciens de la charité publique."

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