Revue de presse

Référendum d’avril 69 : "Le dernier combat du général de Gaulle" (G. Konopnicki, Marianne, 19 av. 19)

29 avril 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Après avoir affronté la plus grande crise sociale et politique de la Ve République, de Gaulle entend réformer la France par la régionalisation et la participation. Alors qu’il dispose d’une écrasante majorité à l’Assemblée, il soumet son projet au peuple, par un référendum. Le non l’emporte, et le général de Gaulle renonce aussitôt à sa fonction.

Au soir du 30 juin 1968, le général de Gaulle a gagné la bataille engagée au début du mois mai, lors des émeutes estudiantines du Quartier latin. Il a affronté la plus grande grève de l’histoire et il a craint, pendant quelques heures, de voir la France basculer dans le chaos. Mais le président de la République ne se fait guère d’illusions. Il sait ce que le triomphe électoral de ce 30 juin doit aux frayeurs des bourgeois, petits et grands. Alain Peyrefitte, qui avait subi le premier choc, en tant que ministre de l’Education nationale, peut bien s’écrier : « Si nous ne faisons pas de bêtises, nous sommes au pouvoir pour trente ans. » Le parti gaulliste, l’UDR, obtient en effet 293 députés, une majorité absolue, en comptant les républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing et des divers droite, la majorité compte 367 députés.

La gauche, de nouveau divisée, tombe à 92 sièges, les centristes de Jean Lecanuet ne sont que 27. Tout autre que le général de Gaulle se bornerait à gouverner sans accroc puisqu’il dispose d’une majorité, jusqu’au terme de son septennat, prévu pour décembre 1972. Mais celui qui disait, dix ans plus tôt, qu’il n’allait pas, à son âge, « commencer une carrière de dictateur » , n’entend pas, à 78 ans, se muer en conservateur immobile. Moins encore se distancier du pouvoir. Le 10 juillet 1968, il remplace le Premier ministre Georges Pompidou par Maurice Couve de Murville. Un fidèle absolu, en dépit d’un ralliement tardif à la France libre, à Alger en 1943. Ministre des Affaires étrangères, il avait géré le domaine réservé du président de la République, accompagnant toutes ses audaces, à commencer par les multiples défis au grand allié américain. Contrairement à Georges Pompidou, qui n’est plus que « le député du Cantal », Couve de Murville ne brigue pas la succession du Général, il le sert. Son gouvernement comporte des ministres réformateurs, dont Edgar Faure, qui s’attelle aussitôt à la réforme de l’Education nationale.

Les alliés giscardiens sont relégués aux tâches de maintien de l’ordre, assurées d’une main de fer par Raymond Marcellin. Le gouvernement applique à la lettre les principes énoncés par de Gaulle au plus fort de l’orage de Mai : « La réforme, oui, la chienlit, non. » Et le maître mot de la réforme est « participation ». Car, si les grévistes de Mai ont obtenu de substantielles augmentations de salaire et des avancées sociales, de Gaulle s’inquiète de la persistance du « malaise moral » qui a provoqué la révolte. Il veut s’attaquer aux causes du mal, en associant les Français à toutes les décisions qui les concernent, dans l’administration locale, l’enseignement et la vie économique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette perspective, qui déplaît souverainement au patronat et à la droite, ne suscite guère l’enthousiasme dans les rangs de l’UDR. Le député du Cantal ne fait pas mystère de ses réticences.

La fronde contre la participation s’exprime ouvertement, à partir du 8 octobre 1968, quand Edgar Faure présente à l’Assemblée nationale la loi-cadre de l’Education nationale. Alain Peyrefitte s’inquiète de cette « brèche dans l’autorité de l’Etat ». Les grognards du gaullisme, comme André Fanton et Alexandre Sanguinetti, voient dans l’instauration de la participation étudiante une prime aux émeutiers de Mai. Fort étrangement, le projet suscite plus de réticences chez les gaullistes que dans l’opposition. Le centriste Jacques Duhamel lui apporte le soutien sans réserve de son groupe. La FGDS, qui rassemble les radicaux, les socialistes et les conventionnels de François Mitterrand, ne s’y oppose pas. Mieux encore : le communiste Roland Leroy commence son intervention par une critique attendue de « l’université de classe », pour mieux soutenir « les aspects positifs de la réforme ». Or, Roland Leroy n’est pas seulement député de la Seine-Maritime, il est secrétaire du comité central du PCF, et c’est bien la première fois qu’un dirigeant communiste de ce niveau parle, devant l’Assemblée nationale, d’aspects positifs de la politique intérieure du gouvernement.

La loi Edgar Faure adoptée, le président de la République charge Jean-Marcel Jeanneney, ministre d’Etat, de préparer un projet d’envergure. Cet agrégé d’économie, qui a grandi sous les ors de la République, ne craint pas de proposer une réforme radicale. Tête pensante de la politique économique gaulliste, fondée sur l’initiative de l’Etat, Jean-Marcel Jeanneney a été le promoteur de la politique d’aide aux pays en voie de développement. C’est aussi lui qui a obtenu, en décembre 1967, le soutien du gouvernement au projet de loi Neuwirth légalisant la contraception. Mais, en novembre 1968, tandis que Jeanneney informe régulièrement le président de la République de l’avancée de son projet, qui doit être annoncé lors des vœux du 31 décembre, la France se trouve prise dans une tempête monétaire. Jeanneney suspend son travail et bataille pour éviter une forte dévaluation du franc qui réduirait singulièrement l’augmentation du pouvoir d’achat acquise en mai 1968. Des mesures d’encadrement du crédit, de hausse des taux d’intérêt et de contrôle des changes permettent de stabiliser la monnaie, dans un contexte de croissance exceptionnelle.

Le 31 décembre 1968, en présentant ses vœux aux Français, de Gaulle peut se prévaloir d’une victoire sur le Fonds monétaire. Il revient sur les événements de mai-juin, ironise sur ce désordre qui se prétend révolution. Mais il fait une proposition proprement révolutionnaire, rien de moins que « la réforme de la condition des hommes » ! Le président annonce bien un bouleversement : « A ce mal du siècle, qui est le malaise des âmes, nous pouvons remédier, en assurant la participation de tous. » L’annonce d’un projet grandiose pour l’année 1969 provoque des frayeurs chez ceux que 1968 avait tant secoués ! A droite et au sein même de l’UDR, on murmure que le vieux déraille, et l’on songe qu’il est temps d’assurer la succession. Le député du Cantal sort de sa réserve. En voyage à Rome, en janvier 1969, Georges Pompidou dégaine le poignard de Brutus et affiche sa vocation à devenir un jour ou l’autre président de la République.

Le Général s’attaque au Sénat

A ceux qui désormais le poussent ouvertement vers la retraite, Charles de Gaulle répond par un discours prononcé à Quimper le 2 février 1969. Qui donc veut moderniser la France, adapter ses institutions, qui a entendu le message de Mai 68, celui de la jeunesse et celui des oubliés de la croissance ? De Gaulle n’a pas choisi la Bretagne par hasard. Il n’a pas oublié ces marins de l’île de Sein gagnant l’Angleterre pour répondre à son appel du 18 juin 1940, ni les combattants volontaires du Morbihan qui chassèrent l’occupant en 1944. En lecteur de Chateaubriand, il rappelle l’apport de la Bretagne à la nation française, mais surprend son auditoire, en prononçant en breton les vers d’un poète qui n’est autre que son grand-oncle.

De Gaulle comprend la révolte de cette région enclavée, qui réclame à la fois plus d’autonomie et plus de liens avec le reste du pays. La ville de Quimper est alors reliée à Rennes et à Paris par un train à l’allure de tortillard et par une route à deux voies, cahoteuse et dangereuse. De Gaulle s’engage à entreprendre sans délai des travaux de modernisation. Et il annonce une réforme, fondée sur la régionalisation et la participation, réforme sur laquelle le peuple français sera appelé à se prononcer au printemps par voie de référendum. Il s’agit bien de transformer les institutions, de confier la gestion des régions à des conseils élus et de transformer le Sénat, qui comportera pour moitié une représentation des territoires, élue par les grands électeurs, et pour l’autre moitié les représentants de l’économie, du travail et de la culture.

Au lendemain du discours de Quimper, l’affolement gagne les rangs de la majorité. De Gaulle s’est adressé directement au peuple, avant même de soumettre le projet au gouvernement. Et il ose toucher au Sénat ! Seul Jean-Marcel Jeanneney pouvait l’aider à concevoir pareille audace. Le Sénat n’est pas, pour lui, un sanctuaire inviolable : son père, Jules Jeanneney, en était le président, en 1940, et à ce titre, il avait coprésidé, avec Edouard Herriot, la réunion du Parlement à Vichy, tout en refusant de prendre part au vote, pour ne pas cautionner le sabordage de la République. Le débat politique qui s’engage après le discours de Quimper se focalise sur la question du Sénat. Il se fait aussitôt un front des notables, qui rassemble les socialistes, les radicaux, les centristes et la droite libérale. De Gaulle ne cède pas, le gouvernement adopte le projet de loi le 2 avril et fixe la date du référendum au 27 avril.

Une menace pour les syndicats

Le cartel des non qui prend forme n’est pas au goût du Parti communiste. Ce conglomérat fleure bon la IVe République et il est, de surcroît, clairement atlantiste. Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF, dénonce aussitôt les tentations de troisième force et met en garde les socialistes contre le retour aux alliances à droite. L’organisation rapide du référendum oblige les communistes à se prononcer. De Gaulle, dès le début de la campagne, a fait savoir qu’il se retirera si le peuple le désavoue. Au comité central du PC, François Billoux, ancien ministre du gouvernement provisoire, prévient ses camarades. Pour avoir assisté au départ du Général en janvier 1946, il sait qu’il sera impossible de le retenir. Pourquoi ne pas adopter une position révolutionnaire, boycotter le référendum et laisser de Gaulle triompher de la droite atlantiste ? Les dirigeants de la CGT ne l’entendent pas ainsi. Georges Séguy ne peut accepter la délégation de la représentation des salariés au Sénat, il y voit, non sans raison, une menace pour l’autonomie des syndicats et pour le statut de centrale représentative que la CGT partage avec la CFDT et Force ouvrière. Au terme d’un débat où plusieurs dirigeants font remarquer que le Parti ne peut s’engager sur la voie du boycott électoral, qu’il a combattu avec virulence en juin 1968, le PCF appelle à voter non.

Dès lors, tout s’accélère. L’UDR est le seul parti qui appelle à voter oui au référendum, mais nul n’ignore que nombre de ses dirigeants songent déjà à la suite, incarnée par le député du Cantal. Pendant ce temps, les socialistes et les centristes préparent leur version de la relève, avec le président du Sénat, Alain Poher, à qui la Constitution confie l’intérim en cas de démission du président de la République. Les sondages accréditent bientôt cette hypothèse. De Gaulle réagit le 10 avril, dans un entretien télévisé avec Michel Droit : « Il est bien vrai que certains, oubliant déjà ce que fut l’éruption de mai-juin, trouvent qu’on peut en rester là sans remédier aux causes profondes du danger et que des mesures techniques de circonstance doivent suffirent à tout remettre en ordre. Je pense qu’ils ont tort. » Mais il est déjà trop tard. La tendance se confirme, jour après jour. A la veille du scrutin, le PCF réunit ses cadres les plus sûrs pour leur demander d’inverser un maximum de votes. L’opération tourne court : pour la base, le vote non est la revanche de la défaite de juin 1968.

Le 27 avril, le non l’emporte à plus de 52 %. Le général de Gaulle, qui comme à son habitude suit les résultats depuis Colombey-les-Deux-Eglises, dicte vers minuit un bref communiqué, annonçant qu’il met fin à ses fonctions. La décision prend effet dès le lendemain matin. De Gaulle ne revient pas à l’Elysée, laissant à son cabinet le soin de transmettre, sans cérémonie, les pouvoirs à Alain Poher. Pour l’histoire, André Malraux donnera toute sa grandeur à ce départ, dans Les chênes qu’on abat…"

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