Revue de presse

Rassemblement international d’athées et de libres-penseurs : "Ne parlez surtout pas d’« islamophobie » à ces ex-­muslims" (Charlie Hebdo, 24 août 22)

30 août 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Nous avons pu assister à l’un des plus grands rassemblements d’athées et de libres-penseurs du monde entier, Celebrating Dissent, organisé à Cologne par Maryam Namazie [1], cofondatrice du Council of Ex-Muslims of Britain, et par le Freethought Lebanon (dont beaucoup de membres résident en Allemagne). Un événement à la tonalité toute particulière, l’agression de Salman Rushdie étant dans toutes les têtes. Plus que jamais, ces athées ont voulu montrer qu’ils sont de plus en plus nombreux et déterminés à gagner la bataille contre l’obscurantisme. Étonnamment, "Charlie" était le seul journal français à couvrir cette manifestation. Reportage.

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Lire "Cologne : les mécréants célèbrent Salman Rushdie et préparent l’avenir".

« Machallah », lance malicieusement Sami Abdallah, le président de Freethought Lebanon (« libres-­penseurs du Liban »), en introduction de l’événement, sous les rires de l’assistance. Ça veut dire « Allah l’a voulu »  ; « c’est la volonté de Dieu ». Évidemment, devant une assemblée d’athées, dont beaucoup sont d’ex-musulmans, ça ne peut que faire rire. Ce Celebrating Dissent (« célébrer la dissidence ») s’est déroulé à Cologne, en Allemagne, après une première édition qui s’était tenue en 2019 à Amsterdam. La manifestation a rassemblé une cinquantaine d’athées et de libres-penseurs originaires de plus de 30 pays. C’est assez incroyable de rencontrer autant d’athées et de libres-penseurs au même endroit, chacun avec des histoires toutes plus bouleversantes les unes que les autres (lire nos portraits ici). Beaucoup risquent leur vie en raison de leur engagement, tout particulièrement les ex-musulmans : l’apostasie étant passible de la peine de mort dans 12 pays, et le blasphème puni également dans de nombreux endroits du monde. La plupart des ex-musulmans présents ont d’ailleurs le statut de réfugiés, car ils ont dû fuir leur pays d’origine. Ce rassemblement leur permet de se soutenir mutuellement et de faire entendre leur voix.

Forcément, l’attaque dont a été victime Salman Rushdie est sur toutes les lèvres. « Nous savons malheureusement qu’il n’est pas le premier et qu’il ne sera pas le dernier à être agressé », lance Maryam Namazie en introduction (lire notre interview ici). L’assemblée a adopté une résolution pour le soutenir : « Celebrating Dissent condamne la violente attaque dont Salman Rushdie a été victime et apporte un soutien sans faille au courageux écrivain. » Une résolution qui se félicite aussi de constater que, cette fois-ci, Rushdie est soutenu, « à l’inverse des habituelles calomnies que l’on entend à l’encontre des libres-penseurs quand ils sont visés par les islamistes ». Le soir, les participants se lancent dans une marche dans les rues de Cologne, en soutien à Rushdie, derrière la banderole du Council of Ex-Muslims of Britain (Conseil des ex-­musulmans de Grande-Bretagne) affichant « L’apostasie n’est pas un crime ». Autour d’un apéro, dans l’hôtel où résident tous ces athées, certains évoquent en rigolant – comme pour le mettre à distance – le risque d’attentat, pourtant bien réel. Lors de l’édition précédente, l’alarme d’incendie s’était déclenchée en pleine nuit, et certains, terrorisés, avaient cru à une attaque terroriste.

« Ça s’améliore un peu au Maroc  ? » tente-t-on auprès de Betty Lachgar, militante féministe et athée marocaine qui organise nombre d’actions sur le terrain. Betty nous rappelle la triste réalité : une femme vient d’être emprisonnée pour blasphème. Une des conférences concerne justement cette question du blasphème et celle de la liberté d’expression. Les deux sont-ils toujours liés  ? « Toute critique de la religion est la plupart du temps perçue comme un blasphème », explique Susanna McIntyre, ex-catholique américaine. La ­cinéaste et militante tunisienne Nadia El Fani [2] prend la parole : « Je rappelle que le blasphème concerne uniquement les gens qui croient en une religion. Si je ne crois pas, je ne suis pas concernée par le blasphème. » Et de rappeler au passage qu’une loi sur le blasphème existe toujours en Allemagne.

Ne parlez surtout pas d’« islamophobie » à ces ex-­muslims. « C’est un mot qui est fait pour nous empêcher de critiquer ­l’islam, lance Halima Salat, originaire du Kenya. L’islam est une idéologie, et à ce titre, il doit toujours pouvoir être critiqué. » Sami Abdallah souligne la différence « entre critiquer les musulmans en tant que personnes et critiquer une idée ». Mais il n’hésite pas à aller encore plus loin : « « L’islamophobie », ça désigne la peur de l’islam, or, à titre personnel, je pense qu’effectivement il y a des choses qui font peur dans le Coran. » Quand les intervenants abordent la question des limites de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, à l’animatrice qui estime que Trump a été banni, à raison, de Twitter, Jimmy Bangash, ex-musulman et gay, originaire du Pakistan, rétorque : « Trump est banni, mais quid des mollahs iraniens, qui peuvent continuer à appeler à tuer des gays ou à tuer Salman Rushdie  ? Ils sont toujours présents sur le réseau social, eux. »

Durant ces deux jours, d’autres conférences étaient organisées : sur les difficultés qu’il y a parfois à être reconnu en tant que réfugié lorsque l’on est ex-musulman  ; sur la question du hijab et du corps des femmes (cela va sans dire, aucune des ex-musulmanes ne porte plus le voile). Lors d’une conférence sur les politiques identitaires, des ex-musulmans ont insisté sur la manière dont la gauche les abandonne parfois. Zara Kay, athée originaire de Tanzanie, réfugiée en Suède, dénonce : « La gauche nous a trahis. Elle se situe normalement du côté de l’émancipation, mais elle abandonne les femmes musulmanes dissidentes. En Suède, je suis considérée comme étant de droite, car je parle en tant qu’ex-musulmane. Ils ne comprennent pas que l’islamisme est d’extrême droite. » Applaudissements dans la salle. Halima Salat (voir son portrait ici), témoigne de son côté avoir été « désinvitée » d’une conférence de la Women’s march aux Pays-bas, car elle s’apprêtait à critiquer le port du Hijab.

Ce rassemblement se déroulait aussi alors que se poursuit la guerre en Ukraine. L’absence d’Inna Shevchenko, qui devait intervenir lors d’une des conférences, l’a tristement rappelé. Elle a fait lire un texte, expliquant sa « désillusion vis-à-vis du monde démocratique ». « Vous remarquerez que nombre de mes camarades libéraux, dont beaucoup de gauche, qui ont souvent hésité à condamner les actes de violence commis par les extrémistes religieux […] ont également hésité à condamner le régime criminel de Poutine et son attaque atroce contre le peuple ukrainien. »

Tout au long de ces deux jours, l’art a occupé une place importante, car c’est sur ce terrain-là, aussi, que se situe la contestation. Entre des conférences, on a pu voir un youtubeur chanter La musique est haram, un ancien pasteur évangélique devenu athée jouer du piano et chanter en boucle « Attention aux dogmes », ou ­encore l’artiste afghane Sara Nabil proposer une performance où elle se coupe les cheveux. En fin de journée, place à la guest star Richard Dawkins, scientifique et militant athée britannique. Il arrive sous une standing ovation (si l’on osait, on dirait que c’est le seul gourou qu’ils suivent, ici). Il loue les sciences pour leur indépendance vis-à-vis de toute culture : « Il n’y a pas de physique japonaise ou américaine, c’est juste de la physique. » Et prône la méthode scientifique : « La seule chose importante, ce sont les preuves. Ne croyez jamais à quelque chose s’il n’y a pas de preuves. Si on dit « ça m’a été révélé », ce n’est pas une raison pour le croire  ! »

Le Council of Ex-Muslims of Britain avait déjà lancé la Journée de l’apostasie le 22 août. Cette fois-ci, en conclusion de l’événement, ils ont appelé créer une Journée internationale de la laïcité (Secularism Day) le 10 ­décembre, pour promouvoir la laïcité dans le monde ­entier. On nous glisse que la prochaine édition de Celebrating Dissent pourrait se dérouler… en France. « On aimerait faire la prochaine édition à Paris, nous confirme Maryam Namazie. Pour cela, il faudrait que l’on obtienne le soutien d’associations et de groupes laïques français. J’espère que ce sera le cas. » On espère aussi, mais ce n’est pas gagné."

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