Revue de presse

"Quelle laïcité pour l’Europe ?" (lemondedesreligions.fr , 15 av. 14)

Colloque organisé par le Centre d’étude du fait religieux contemporain (Céfrelco), les 1er-2 av. 14. 20 avril 2014

"La France n’est pas le seul État laïque en Europe. Les modèles allemand, turc et belge ont des approches différentes. En Amérique du Nord, le débat est ouvert au Québec avec le projet de la Charte de la laïcité. Depuis juin 2013, l’Union européenne discute de ces différents modèles et teste leur possible convergence. Une forme de laïcité européenne est potentiellement en construction.

Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, rappelle qu’« il y a des laïcités. Celle qui prône la séparation stricte ou celle qui recherche la coopération des Églises et de l’État comme en Allemagne ». Les modèles turc et belge ont eux aussi des approches différentes. En Amérique du Nord, le débat est ouvert au Québec avec le projet de la Charte de la laïcité.

Depuis juin 2013, l’Union européenne discute de ces différents modèles et teste leur possible convergence. Une forme de laïcité européenne est potentiellement en construction.

« La France, la Turquie et le Québec sont les pôles actuels de débats sur la laïcité. Mes collègues anglo-saxons s’étonnent de la récurrence de nos discussions passionnées sur le sujet », s’amuse Ali Kazancigil, politologue et journaliste spécialiste de la Turquie.

En Turquie, « une religion officieuse dans un État laïque »

Avant même la chute du Califat en 1924, la Turquie devient une République inspirée du modèle français. Entre 1928 et 1937, l’islam, expulsé complètement de l’espace public, n’est plus religion d’État. La laïcité est inscrite dans la Constitution. « Si l’islam n’est plus la religion officielle, le culte sunnite hanafite reste contrôlé par les autorités politiques et demeure une religion officieuse de l’État laïque », nuance Ali Kazancigil. « Les prêches du vendredi sont rédigés à Ankara par les services rattachés au premier ministre », annonce-t-il en guise d’illustration. Si l’État est présent dans le culte même, il y a donc absence d’égalité de traitement des religions.

Dès les années 50, il y eut un retour du religieux dans l’espace politique et la laïcité de contrôle s’est assouplie. « Sous l’influence américaine qui voyait dans l’islam un rempart au communisme », les cours de religion à l’école publique, alors optionnels, sont rendus obligatoires dans les années 80. « Ce ne sont pas des cours de culture et d’histoire religieuse, ce qui serait normal car c’est l’un des pans de notre patrimoine. Il s’agit d’un vrai catéchisme hanafite », observe le politologue. « Ce phénomène ne débute donc pas avec l’AKP », rappelle-t-il.

Le retour de la religion dans l’espace public a eu des conséquences pour les femmes. On observe de plus en plus de femmes voilées et elles peuvent accéder à la fonction publique. Certaines siègent à l’Assemblée.

Des associations féministes turques mettent en garde contre cet assouplissement de la laïcité. La République ne doit pas les exclure, car il y aurait une double peine. « L’émancipation passe par le travail et les femmes s’émanciperont elles-mêmes. Ce n’est pas parce qu’il y a une loi que cela va changer les choses. De plus, beaucoup de femmes adhèrent à cette vision du religieux », rapporte Ali Kazancigil. « Il y aura un jour en Turquie, selon l’expression du philosophe et historien Marcel Gauchet, une sortie de la religion proche du modèle américain ».

Un régime « hybride » en Belgique

En 1831, pionnière sur le continent européen, la Belgique innove en séparant État et Église. Mais il ne s’agit pas d’une laïcité à la française, et le système repose sur deux piliers.

Les traitements et pensions des ministres du culte sont à la charge de l’État. Cela concerne les cultes catholique, protestant, anglican, orthodoxe, juif et musulman. « Le courant humaniste appelé laïcité organisée est aussi reconnu de la même façon », précise Jean-Philippe Schreiber, historien professeur à l’université libre de Bruxelles et fondateur de l’Observatoire des religions et de la laïcité. Mais ce modèle est compensé par « la place prépondérante de l’école confessionnelle, considérée comme un service public fonctionnel ».

Ce modèle à deux piliers donne lieu à des interprétations divergentes. « Le débat sur la laïcité glisse de plus en plus vers le thème de l’école ». Si les enseignements privé et public sont tous les deux financés par l’État, certains voudraient favoriser l’enseignement public.

« La volonté de changer le système est mitigée », selon Jean-Philippe Schreiber. Une évolution freinée par trois entraves : « le poids du pilier catholique, la déconfessionnalisation du champ politique et la stratégie du mouvement laïque à partir des années 60. Celui-ci distingue la laïcité politique de la laïcité philosophique ».

Si différentes propositions de loi ont été déposées au fil des années, la seule solution envisagée est « un partage plus transparent et équitable de l’assiette du financement public des cultes ».

Les différents partis politiques ont des avis divergents sur la laïcité. Mais aucun ne souhaite une transformation radicale. « Le parti libéral est le plus en pointe sur la question. Mais il ne remet en cause ni le principe du financement des cultes ni l’école privée. De son côté, le parti socialiste se base davantage sur la défense des acquis éthiques. Enfin, le parti démocrate-chrétien est un défenseur ardent de l’école libre confessionnelle. »

Le véritable débat porte actuellement sur l’évolution des cours de religion et de morale non-confessionnelle à l’école publique.

La charte de la laïcité au Québec : un débat nouveau en Amérique

« Nous sommes les seuls au Canada à avoir ouvert le débat sur la laïcité », affirme Christian Rioux, correspondant du journal québecois Le Devoir. En proposant la Charte de la laïcité, le Parti québecois a suscité de vives polémiques. Mais la défaite du parti lors des élections du 7 avril fait passer le projet à la trappe. En disant non à un possible référendum sur l’indépendance, les électeurs ont aussi dit non à la Charte de la laïcité.

En quoi consistait cette Charte ? Elle proposait la neutralité religieuse de l’Etat, l’interdiction du port de signes religieux par les fonctionnaires et l’établissement de règle strictes pour un accommodement raisonnable.

Si 60 % de la population québecoise soutenait cette initiative, elle n’est pas très populaire chez les élites. « Selon le point de vue canadien classique sur les libertés de l’homme, on ne peut pas contraindre un fonctionnaire de cette manière », révèle le journaliste.

Un débat fulgurant qui n’a rien d’historique. « Pendant des siècles, la laïcité a été un repoussoir ». En 1759, lorsque les Canadiens français deviennent sujets de la couronne britannique, la seule structure qui leur reste propre est l’Église catholique. « Nous avons à la fois été soumis à l’Église et sauvés par elle », soutient le journaliste.

Autre élément à prendre en compte : le Canada est le seul pays à avoir inscrit le multiculturalisme dans sa constitution. « C’est presque devenu une religion profane », remarque Christian Rioux. La négociation permanente est devenue la règle dans les cinq provinces du Canada. « Les Québecois sont aussi les seuls à employer le terme "laïcité". Les Anglo-saxons utilisent plutôt le terme "secularism". Mais ces deux termes n’ont pas le même sens. »

Pourquoi le débat est-il ressorti maintenant ? Les premiers foisonnements ont lieu dans les années 1950, avec « l’établissement d’une espèce de Concordat (accord entre le pape et un État souverain) jusque dans les années 2000 ». L’État reprend la main sur les hôpitaux et le social mais l’éducation religieuse est maintenue.

Une série d’incidents mineurs entraîne la création d’une commission sur la question. Pendant deux ans, des gens ont pris la parole dans tout le Québec. Ils ont pavé la voie à cette Charte de la laïcité.

Si le Parti québecois l’avait emporté, la Charte aurait été la première de ce type en Amérique du Nord. « Aux États-Unis, la religion redevient intouchable. Il suffit d’écouter les discours d’Obama pour s’en rendre compte. Mais au Québec, après avoir été très catholiques, on ne ressent pas de retour du religieux. Faut-il suivre le modèle de laïcité à l’américaine basé sur la liberté religieuse, le modèle français ou faire un mélange ? »

La Charte s’inspirait de valeurs européennes. Ce que ses opposants n’ont cessé de dénoncer, en rappelant que « l’Europe est ailleurs »."

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