Remise des Prix le 26 octobre 2015

Prix de la Laïcité 2015. Discours de Patrick Kessel

Président du Comité Laïcité République 28 octobre 2015

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Madame la Maire de Paris,
Mesdames, Messieurs, les anciens ministres, les parlementaires, les élus, préfets, recteurs, ambassadeurs, présidents et représentants d’associations amies, militants, citoyennes et citoyens, chers amis,

Mes premiers mots s’adressent à vous, Anne Hidalgo, maire de Paris, pour vous remercier d’accueillir une nouvelle fois la cérémonie de remise des Prix de la Laïcité, organisée par le Comité Laïcité République.
Nous nous connaissons depuis longtemps. Je sais vos convictions personnelles, fortes, en faveur de la liberté de conscience, de l’égalité des droits, de la laïcité. Nous y sommes très sensibles.

Pour cette dixième édition, en nous recevant à nouveau dans ce haut lieu chargé d’Histoire - puisque, comme vous l’avez rappelé, c’est ici que fut fondée la Seconde République -, vous avez voulu donner à cette manifestation une dimension toute particulière. C’est une réussite, puisque plus de 800 personnes se sont inscrites pour partager avec nous ce moment. Désormais, le Prix de la Laïcité, grâce à vous tous, constitue un rendez-vous annuel, quasi-institutionnel. Je vous en remercie.

Je salue également Bruno Julliard, adjoint à la mairie de Paris, chargé notamment de la culture, Patrick Klugman, adjoint aux relations internationales et à la francophonie, et tous les élus ici présents.

En votre nom à tous, je souhaite saluer tout particulièrement, et avec une vive et sincère émotion, les parents de toutes les victimes des attentats barbares de janvier dernier. Nous les avons tous invités. Ils sont nombreux parmi nous. Certains ont souhaité conserver l’anonymat. Je ne citerai donc que les parents de Charb, Charb le directeur de Charlie Hebdo, l’inlassable défenseur de la laïcité, Charb notre ami, qui présida le jury du Prix de la Laïcité en 2012. Charb à qui, par les voix de Gérard Biard, directeur de Charlie et Marika Bret, DRH, nous rendrons un hommage particulier dans quelques instants.

C’est avec le souci de poursuivre le combat de toute l’équipe de Charlie, largement représentée ici ce jour, que nous avons, cette année, demandé à Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie, de présider le jury. Qu’elle en soit remerciée.

L’an dernier, nous avions mis en garde contre la montée des communautarismes qui fragilisent la paix civile et contribuent, en retour, à l’inquiétante montée de l’extrême droite. Nous dénoncions ceux qui essaient d’importer en France la guerre du Proche-Orient, la banalisation de l’antisémitisme et du racisme sous toutes ses formes.

Les attentats barbares de janvier ont montré que nous avions tort d’avoir raison trop tôt. Des policiers ont été tués parce qu’ils défendaient nos libertés. Des citoyens juifs ont été assassinés en tant que juifs. Des collaborateurs de Charlie ont été massacrés. Non parce qu’ils étaient journalistes, mais parce qu’avec leurs petits crayons et leurs feutres impertinents ils étaient en première ligne dans le combat pour la liberté de conscience et pour la laïcité.

Le sursaut spontané du peuple fut immense, digne, émouvant. L’Histoire retiendra aussi ce moment exceptionnel, les députés debout dans l’hémicycle, entamant à l’unisson la Marseillaise, pour la première fois depuis la fin de la Première guerre mondiale. Chacun sentait que c’est la République et ses principes qui avaient été touchés au coeur.

Et puis, au fil des jours, la confusion s’est installée. On a vu fleurir les discours compassionnels et culpabilisateurs. “Ils l’avaient un peu cherché”, sussurait-on ici et là. Une version nouvelle de l’arroseur-arrosé s’installait. Les victimes devenaient les coupables !

En quelques jours, la fracture culturelle se révélait dans sa profondeur.

Alors qu’il aurait fallu dénoncer l’islamo-fascisme, qui instrumentalise l’islam et prend les musulmans en otage, quand il ne les massacre pas, on a vu surgir ce concept sournois d’"islamophobie” qui vise à condamner comme raciste toute critique de l’islamisme radical.

En réalité, nous savons tous qu’il n’y a pas plus de race islamique qu’il n’y a de race chrétienne !

Sous ce concept trompeur, si peu voltairien, fut lancée une véritable offensive communautariste contre la laïcité.
Voilà qu’on la qualifiait de "colonialiste, “stigmatisante”, “réactionnaire”, voire de “raciste” ! Grave manipulation sémantique, alors que la République laïque n’a pas de race, pas de couleur, pas de religion, pas de sexe. Elle est fraternelle, de toutes les couleurs, universaliste.

La chasse à l’ "islamophobie" constituait le cheval de Troie de cette opération.
Il s’agissait ni plus ni moins que de paralyser la conscience laïque. D’empêcher de prendre la mesure des incidents intervenus dans des crèches, des écoles, des hôpitaux, des universités, des prisons, des entreprises, dans le sport. Ce fut le temps du déni des réalités, une certaine autocensure, la peur d’appeler les choses par leur nom, la censure de pièces de théâtre, d’expositions, de films, de publications, de caricatures, le politiquement correct, c’est-à-dire la résignation.
On a vu fleurir les oxymores : “’islamisme modéré”, “laïcards intégristes”, “féministes en burqa” !

Notre ami Charb avait pourtant consacré son dernier livre à combattre l’introduction de cette perverse invention. Le livre s’intitulait Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes.

Pourquoi les laïques contestent-ils ce communautarisme qui a l’air si sympathique lorsqu’il est présenté comme un folklorique catalogue de la diversité ?

Parce qu’en renvoyant les individus à leur communauté d’origine, le communautarisme s’attaque aux principes fondateurs de la citoyenneté républicaine : l’autonomie de l’individu, la liberté absolue de conscience, l’égalité des droits et des devoirs entre tous et d’abord - et cela de façon non négociable - entre hommes et femmes.

Parce que le communautarisme, en segmentant le peuple est un ferment de mort pour la nation, un "pistolet braqué au coeur de l’école”, selon l’expression de Jacques Julliard.

Enfin, parce que le communautarisme suscite en réaction la peur, la xénophobie. Parce qu’il nourrit en retour la montée du Front national.
Une extrême-droite décomplexée, qui, avec un incroyable culot, a opéré un véritable hold-up, un détournement de la laïcité. On a envie de crier : pas elle, dont l’histoire se confond avec la défense d’une identité française, blanche, catholique, apostolique et romaine ! Pas elle, qui ne vise qu’à stigmatiser les musulmans de France dont l’immense majorité ne souhaitent rien d’autre que de vivre en citoyens comme tous les autres.
Cette ascension de l’extrême droite s’explique en partie par la déchirure sociale. Elle ne s’y réduit pas mécaniquement. Elle a été rendue possible parce que depuis des années, trop de républicains des deux rives ont fait les yeux doux au communautarisme et louvoyé avec la laïcité. Parce qu’ils ont laissé s’installer la confusion dans les têtes et l’occultation des problèmes dans le discours politique. Voici dix ans déjà, le rapport Obin, révélant la communautarisation de l’école et la situation dans les “territoires perdus de la République”, nous exhortait à “faire preuve de lucidité et de courage”.

Un sursaut républicain s’impose. Il se fait attendre. Par confusion intellectuelle ? Par peur ? Par électoralisme à courte vue ?

Une partie de la droite semble tétanisée par le discours extrémiste et n’évoque la laïcité que pour surfer sur la peur de l’islam.

Une partie de la gauche semble engluée dans le déni et les atermoiements coupables. Avec toute la bonne conscience du monde, ils croient combattre le Front national. A leur corps défendant, ils en font le lit.

Charb nous avait prévenu en disant à cette tribune : “J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent”.

A quelques jours du 110e anniversaire de la loi de 1905, certains intellectuels, tel Alain Minc, en demandent la suspension alors qu’il conviendrait d’en finir avec ses contournements. Le temps n’est plus aux commémorations. Il convient de passer des paroles aux actes.

Des avancées importantes ont été réalisées sous cette mandature : le mariage pour tous, les lois bioéthiques, la charte de la laïcité à l’école. De nombreux chantiers sont en attente, parmi lesquels :

  • la refondation de l’école de la République, voire sa reinstitutionalisation, selon l’expression de notre ami Charles Coutel,
  • la neutralité dans les crèches, dans l’enseignement supérieur ou dans les entreprises,
  • l’abrogation du délit de blasphème et de l’enseignement religieux obligatoire, aujourd’hui, dans les établissements publics en terre concordataire, en attendant le retour au statut commun
  • le droit plein et entier à mourir dans la dignité.

Les temps qui viennent ont de quoi inquiéter et exigent une pensée claire et une volonté politique forte. Il est vital que les couleurs de cette France debout, laïque, fraternelle, universaliste, rassembleuse que nous aimons ; que cet esprit du 11 janvier, soient portés haut et fort à l’occasion des prochaines échéances électorales. Il en va de la République, il en va de la démocratie.

En 1937, Jean Zay, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts du Front populaire, dont les cendres viennent d’entrer cette année au Panthéon, appelait à faire appliquer et respecter nos principes républicains “avec une fermeté sans défaillance”. C’était en 1937 et nous savons ce qu’il advint. Ce message est aussi le nôtre, ici et maintenant. Urgemment !

Un mot encore pour remercier les personnels techniques de la Mairie de Paris, mes amis du Comité Laïcité République - et permettez-moi de citer notre secrétaire générale, Florence Sautereau - qui ont tous grandement contribué à la réalisation de cette manifestation.


Comité Laïcité République
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