Prix de la Laïcité 2007 : intervention de Philippe Foussier

président du Comité Laicité République 31 janvier 2007

Intervention de Philippe Foussier, président du Comité Laicité République,
à l’occasion de la remise des Prix 2007 de la laïcité
le 26 janvier 2007 – Hôtel de ville de Paris

Citoyennes, citoyens, chers amis,

Je tiens à remercier la mairie de Paris qui nous accueille aujourd’hui comme elle l’avait fait il y a deux ans pour la remise du Prix de la laïcité du Comité Laicité République. Pour ceux qui ne nous connaissent pas encore, ou peu, le CLR a été créé dans la foulée de l’appel lancé par Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Catherine Kintzler et quelques autres lors de la première affaire de voile islamique à Creil, en 1989. On trouvait parmi ses fondateurs Claude Nicolet, Henri Caillavet, Maurice Agulhon, Jean-Claude Pecker, Jean-Pierre Changeux, Albert Memmi, Fanny Cottençon, Patrick Kessel… Pour nous, la laïcité est la clef de voûte de l’édifice républicain et elle constitue le fondement essentiel à l’harmonie sociale ; elle s’adresse à tous les hommes et à toutes les femmes, quelle que soit leur origine. Si elle respecte la foi et les croyances des individus, elle récuse en revanche le cléricalisme, qui est la volonté pour les clergés ou pour les croyants d’imposer leurs dogmes et leurs préceptes dans la sphère publique.

Nous voici donc à nouveau réunis pour remettre les Prix national et international de la laïcité aux lauréats, que je salue et félicite Nasser Khader, député danois qui s’est illustré dans le combat laïque dans son pays, et le café La Mer à boire, dont les responsables ont rencontré des difficultés pour avoir organisé une exposition de caricatures intitulée " Ni Dieu ni Dieu " dans le quartier parisien de Belleville. Les deux lauréats symbolisent bien l’actualité et la pertinence du combat laïque, en particulier pour la liberté d’expression, qui doit permettre à chacun de pouvoir critiquer, débattre et même, puisqu’il s’agit ici de cela, de rire d’une religion. Le délit de blasphème ne doit plus avoir droit de cité, en France, en Europe comme ailleurs. Le combat des Lumières entrepris il y a plus de deux siècles ne peut pas être balayé, parce qu’il nous renverrait immanquablement vers un passé d’obscurantisme, de restriction de la liberté de penser, de soumission aux dogmes, de contestation du primat de la raison. Plus que la laïcité, c’est notre liberté de conscience, à tous, qui est ici en jeu. On doit pouvoir critiquer les religions, toutes, sans être menacé de mort comme Taslima Nasreen, Salman Rushdie, Ayan Hirsi Ali ou Robert Redeker, sans y payer le prix de sa vie comme Theo Van Gogh. Après le Jyllands Posten au Danemark, Charlie Hebdo a eu le courage de publier des caricatures qui avaient la particularité de déplaire à certains. Notre soutien à leur combat est total, clair, sans ambiguïté. Je vous encourage d’ailleurs à aller soutenir Charlie Hebdo et ses collaborateurs lors du procès qui leur est intenté devant la justice les 7 et 8 février. Je félicite aussi le Jury du Prix 2007, réuni sous la présidence de notre ami Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient, et qui comprenait Christian Bataille, député du Nord, Caroline Fourest, Fiammetta Venner, journalistes, essayistes, responsables de Prochoix, Eric Ferrand, adjoint au maire de Paris, Jean-Claude Pecker, de l’Institut, et Alain Seksig, président de l’association Elele.

Nous allons évoquer la dimension de la laïcité hors de nos frontières en portant notre attention au nord de l’Europe avec Nasser Khader ; nous la porterons aussi vers le sud, grâce à José Munoz, professeur à l’université de Barcelone, qui va évoquer avec nous les difficultés que rencontre le gouvernement espagnol face au clergé catholique dans la mise en œuvre d’un certain nombre de réformes. Comme quoi la laïcité n‘est pas un concept franco-français qui n’aurait aucune portée ni signification en dehors de nos frontières, ainsi que la décrivent ses détracteurs. Nous allons aussi parler des sectes avec Catherine Picard, ancienne députée de l’Eure, engagée dans un dur combat pour contenir la pression des mouvements sectaires dans notre société. Elle nous éclairera sur la grande ambiguïté de quelques uns de nos responsables publics sur cette question des sectes. Et avant la remise des Prix de la laïcité, nous aurons l’occasion d’échanger avec des collégiens d’une commune proche de Paris, le Kremlin Bicêtre, qui auront effectué un Parcours laïque dans la capitale et qui nous diront ce que représente pour eux la laïcité. Nous pensons en effet que les principes de laïcité doivent éclairer les futurs citoyens : Eric Ferrand, adjoint au maire de Paris en charge des affaires scolaires, nous décrira l’importance du rôle des institutions républicaines dans la formation du citoyen de demain.

Mais nous aurons aussi l’occasion j’en suis sûr d’évoquer avec Christian Bataille, avec Caroline Fourest, avec Mohamed Sifaoui, que je remercie de leur présence parmi nous, l’actualité de la laïcité à travers d’autres exemples. Je remercie aussi Marc Riglet-Chevanche d’animer nos débats.

J’évoque rapidement quelques uns des thèmes qui nous tiennent à cœur, au Comité Laicité République.

La loi de 1905 et la Commission Machelon. Je pense que Christian Bataille nous en dira un mot tout à l’heure, lui qui soulignait à l’Assemblée nationale la semaine dernière combien le rapport de cette commission constitue une remise en question de la laïcité comme nous n’en avions pas connue depuis très longtemps. Et de ce point de vue, nous sommes inquiets de constater que, un an après la célébration du centenaire de cette loi républicaine essentielle, des voix se fassent entendre, du coté de la place Beauvau mais aussi à gauche pour réviser, en clair pour affaiblir, pour dénaturer, pour contester cette loi. Cela étant, nous aimerions aussi qu’elle soit davantage respectée par les responsables publics pour ne pas prêter le flanc aux attaques dont elle est l’objet. " La République ne salarie ni ne subventionne aucun culte ", nous dit l’article 2. Beaucoup de collectivités locales ne respectent pas cet article, et la ville de Paris n’est pas tout à fait exemplaire en la matière… Au total, chaque année, nous indiquait récemment un Livre noir des atteintes à la laïcité réalisé par la Libre Pensée, ce sont en France 10 milliards d’euros qui concourent au financement public des religions. La période des vœux n’est pas encore terminée, nous sommes encore en janvier. Alors, formulons un vœu pour 2007 : que la loi soit –mieux !- appliquée. Au chapitre des insatisfactions, nous devons à la vérité de dire que les laïques que nous sommes ont été choqués et attristés de voir la ville de Paris donner le nom d’une place à Jean-Paul II. Nous nous reconnaissons volontiers dans les prises de position exprimées par les élus PRG ou MRC sur cette question et nous avons été déçus de voir que la municipalité allait chercher son inspiration chez M. Goasguen, auteur du vœu en question, désireux d’honorer en Jean Paul II un croisé de l’anticommunisme.
Mais puisque nous en sommes à Paris, je voudrais saluer l’action que la municipalité mène en faveur des droits des femmes. Nous laïques, nous n’oublions pas que ce sont toujours les femmes qui sont les premières victimes de l’obscurantisme, du machisme, du patriarcat et l’action entreprise à Paris est exemplaire : pour informer les femmes que les mariages forcés ce n’est pas acceptable, que l’excision ce n’est pas acceptable, que la polygamie ce n’est pas acceptable, que la répudiation, le contrôle de la virginité, bref tout ce qui menace la liberté et l’intégrité des femmes au nom des traditions et des croyances, cela ne peux pas être toléré. Le combat mené depuis si longtemps par les femmes pour leur émancipation ne peut pas être balayé ainsi au nom du respect des différences tel qu’une certaine gauche la promeut encore, la même qui nous expliquait combien le voile islamique était une bonne chose pour les collégiennes musulmanes. Ce combat pour la laïcité, pour l’égalité, pour la liberté, vous le menez ici avec vigueur, avec conviction, avec les moyens qu’il mérite et Paris est de ce point de vue une municipalité exemplaire.

Je voudrais citer rapidement d’autres points sur lesquels la vigilance des laïques et des républicains doit être en éveil.

L’Europe. Nous n’oublions pas comment le Vatican s’est illustré pour mettre en exergue les racines chrétiennes de notre continent. Nous n’oublions pas non plus combien la rédaction du Traité constitutionnel européen, dans certains de ses articles, était inacceptable au regard des principes de laïcité et nous nous réjouissons du vote exprimé le 29 mai 2005. Nous sommes tous favorables à la construction européenne, mais pas à n’importe quel prix.

Le financement des écoles privées. En interprétant à sa manière l’article 89 de la loi du 13 août 2004, M. de Robien a fait un très beau cadeau à l’école privée –à 97% catholique- en prenant des dispositions pour qu’elles puisse être financée encore plus qu’elle ne l’est par l’argent public, en ponctionnant le budget des communes. Il s’inscrit ainsi dans la lignée des Debré, Guermeur, Marie, Barangé, Lang, etc. Et nous soutenons, comme le fait d’ailleurs l’Association des maires de France, les communes qui refusent d’être ainsi amputées dans leur budget au profit de l’enseignement confessionnel. Nous préférons en effet une école qui fabrique de petits citoyens plutôt que des petits catholiques, des petits juifs, des petits musulmans, bref, des représentants d’une communauté plutôt que des individus libres et égaux.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons été particulièrement sensible au constat établi par le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale, le rapport Obin, qui décrit avec une précision effrayante comment s’exerce la pression religieuse dans les établissements d’enseignement public. Il y a urgence à remettre notre école sur pieds, à en finir avec cette idéologie du droit à la différence qui fait que dans certaines écoles de la République, il y a des robinets séparés pour les élèves selon leur confession d’origine, il a des tables distinctes à la cantine. Cela n’est plus tolérable.

Plus généralement et pour conclure, la communautarisation de notre société nous inquiète. Elle passe par des discours que nous entendons de plus en plus fréquemment dans la bouche des responsables publics ; un discours qui renvoie aux origines, aux racines, à la tradition, au passé, dans ce qu’ils peuvent parfois avoir de plus sclérosant pour l’individu. Nous observons aussi que certains veulent mettre en place des statistiques ethniques, ce qui nous ramène fâcheusement au souvenir des années 40. On voit, dans la désignation des candidats aux élections de certains partis, l’Antillais se confronter au Maghrébin, le Noir au Blanc, etc. On peut bien sûr en rire. Cela nous parait grave. On voit aussi s’accumuler les lois mémorielles et il est de bon ton chaque année, désormais, d’adresser un message à telle ou telle communauté à coup de lois. Ce petit jeu est dangereux à terme.

Nous sommes laïques parce que nous pensons qu’il appartient à la République de fabriquer des citoyens dégagés de la gangue de leurs origines ethniques, religieuses, régionales, familiales, parce que nous croyons en la capacité de tout homme de toute femme à se projeter dans un autre destin que celui que déterminent ses origines, parce que nous croyons en la République universelle. Ce message, c’est celui de 1789, c’est celui de 1792, c’est celui qui proclame que " tous les hommes naissent libres et égaux en droit ".


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