Revue de presse

"Pourquoi la crise du Burkini n’est pas une vaine polémique" (lefigaro.fr/vox , 19 août 16)

Christophe de Voogd, Docteur en Histoire, ancien élève de Normale Sup, enseignant à Sciences Po Paris. 20 août 2016

"[...] Si l’affaire fait si grand bruit, c’est qu’elle soulève des questions fondamentales : place de l’Islam dans la société, condition de la femme, laïcité, règles du vivre-ensemble, le tout dans le contexte très tendu du terrorisme islamiste. Bref tous les ingrédients de ce que le grand sociologue Marcel Mauss appelait un « fait social total » donnant à voir les valeurs et les règles fondamentales d’une société.

Mais il s’agit d’abord d’une question de logique. L’on reste pantois, dans un pays qui se prétend si cartésien, devant l’argumentation pro-burkini, et notamment devant le parallèle établi avec les maillots couvrant de la Belle Epoque. [...]

les baigneurs masculins de 1900 se couvraient également, ce qui n’est nullement le cas des compagnons torse-nu des femmes « burkinisées ». C’est donc bel et bien un enjeu d’égalité entre sexes qui est posé aujourd’hui, comme le disent justement des voix de gauche comme celle de Laurence Rossignol ; et comme l’oublient curieusement d’autres discours tenus aussi à gauche : ont-ils abandonné leur logiciel égalitaire ? Ensuite parce que la norme vestimentaire des baigneurs (hommes et femmes) a profondément évolué avec les canons de la pudeur. Se réclamer des années 1900 pour des « progressistes » affichés ne manque pas de sel : faudrait-il donc, au nom de la même analogie, accepter la peine de mort, le service militaire de 3 ans, l’interdiction du vote féminin, de la contraception, de l’avortement et de l’homosexualité ? Régressions qui, il est vrai, ne déplairaient pas à certains promoteurs du burkini… [...]

Celui-ci n’a rien à voir avec la tradition musulmane multiséculaire, qui prescrit au contraire le respect des coutumes du pays d’accueil, surtout hors du « territoire de l’Islam » (dar al-islam). Il faudrait enfin entendre les nombreuses voix musulmanes qui ne cessent de le rappeler. Etrange « tradition » vestimentaire d’ailleurs, qui n’a pas 20 ans d’âge et qui, comme la burqa, a fait soudain son apparition sous nos cieux longtemps après l’arrivée des populations d’origine maghrébine. [...]

La « République », version française de la démocratie libérale, est plus autoritaire et plus assimilatrice que le modèle anglo-saxon. D’où les incompréhensions réciproques. Notre tradition juridique met ainsi en avant avec rigueur, et parfois avec excès, l’impératif de « l’ordre public », notamment en matière d’expression religieuse (article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et loi de 1905). L’on sait que les arrêtés anti-burkinis se fondent sur cette notion. D’autre part, la République n’a jamais été synonyme de multiculturalisme. Son principe - qui constitue le sens profond de la laïcité à la française - a été édicté pour l’émancipation des Juifs par Clermont-Tonnerre dès 1790 : accorder tous les droits aux membres des minorités en tant qu’individus, leur refuser tout droit en tant que groupe. Nier cet héritage serait prendre 1968 pour 1880, et confondre Jules Ferry avec Daniel Cohn-Bendit. On peut le déplorer ; on peut souhaiter un autre modèle ; mais sans commettre de contre-sens sur l « esprit des lois ».

Le plus grave pourrait bien concerner l’Islam lui-même, pris en otage par la dérive sectaire du salafisme. Dire, comme certains médias, que le burkini a pour but de « permettre aux femmes musulmanes de se baigner », c’est tomber dans l’amalgame que l’on prétend dénoncer. En France, tant au regard de la tradition républicaine que des prescriptions islamiques, « les femmes musulmanes » ne sont pas assignées à une tenue vestimentaire obligatoire. Ni en ville, ni à la plage. Gare à la « burkinisation » insidieuse des esprits."

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