Revue de presse

"Pourquoi l’islam est malade" (M. Bezouh, lefigaro.fr/vox , 4 déc. 15)

Malik Bezouh, auteur de "France-islam : le choc des préjugés" (Plon). 6 décembre 2015

"« Celui qui change de religion, tuez-le ». Ce propos, marqué au coin de l’intransigeance religieuse, n’est pas une fatwa émise par le groupe Daech, par al-Qaïda ou par toute autre organisation islamiste radicale. Non. Elle est issue de la tradition prophétique, encore appelée Sunna, qui constitue la seconde source canonique de la théologie musulmane. La première étant le Coran. Cette obligation impérieuse de mettre à mort l’apostat est confirmée dans un autre texte tiré, une fois encore, de ladite Sunna et rapporté par Abdulah Ibn Masud, prestigieux compagnon du Prophète Mahomet : « Il n’est permis de tuer un musulman que dans l’un de ces trois cas : s’il a tué quelqu’un, s’il a commis l’adultère, s’il a apostasié sa religion »... Autre élément, mettant en exergue la rigueur de certaines jurisprudences musulmanes classiques, celui ayant trait au châtiment réservé à toute personne reconnue coupable d’actes homosexuels : la mort, obtenue en jetant le fils de Sodome démasqué du haut d’une montagne ou d’un bâtiment. C’est le traitement qu’applique, avec un zèle consommé, le groupe terroriste Daech...

De là à conclure que l’islam est intrinsèquement porteur d’une radicalité que les groupuscules djihadistes, défrayant la chronique, mettraient en pratique en exterminant tantôt les babyloniens dépravés d’Occident, tantôt les musulmans libéraux perçus comme des apostats, serait aller un peu vite en besogne. La réalité, un tantinet plus complexe, mérite d’être nuancée. Ne serait-ce que parce que l’on trouve dans d’autres traditions religieuses, des germes d’intolérance, c’est le cas de la Bible par exemple, et que, relativement à l’apostasie, la première des sources musulmanes, le Coran, développe un discours défendant explicitement le principe, cher aux réformistes et aux libéraux musulmans, celui de « pas de contrainte en religion ».
Alors quoi dire ? Quoi penser ? Y a-t-il ambivalence des sources de l’islam ? D’une certaine façon oui. En tout cas, cette ambivalence n’est plus de mise pour les homosexuels : le rejet, voire l’intolérance, émanant des principales écoles juridiques qui sont au cœur de la pensée sunnite contemporaine, semble être la norme. Sur cette question-là, l’Église catholique, de toute évidence, a progressé ; comme sur tant d’autres du reste. Ce n’est pas le cas de l’islam, il nous faut l’admettre.

Englué dans un conservatisme stérile depuis le XIIIe siècle, date marquant la victoire des muhaddithines sur les mutazilites, les premiers se référant à la Sunna pour définir le bien et le mal, les seconds à la raison, l’islam s’est comme desséché. Pire. Cet islam vermoulu, rigoriste, privé de sa dimension réformiste, appelée ijtihâd, amplifiera, au XXe siècle, le développement de l’intégrisme musulman en favorisant le juridisme, sorte d’inflation de normes sociales définissant le licite (halal) et l’illicite (haram), au détriment de la spiritualité. C’est un fait.
L’islam, déchiré entre une lecture réformiste et une lecture littéraliste, ne va pas bien et tente, cahin-caha, de frayer un chemin dans une modernité occidentale qu’il subit de plein fouet et qui l’effraie au plus haut point. Pour tenter d’endiguer le mal, les gardiens du temple de l’orthodoxie musulmane, assiégés par cette modernité, fille d’un Occident, jadis chrétien, hier colonisateur, aujourd’hui sécularisé, administrent, depuis la mort de cet autre grand courant réformiste du XIXe siècle, un remède à base de conservatisme qui ne fait qu’aggraver le mal. Et pour cause ! Celui-ci produit le salafisme, le wahhabisme, etc., mais aussi l’islamisme qui, une fois passé sous le rouleau compresseur du despotisme politique arabe, provoque l’apparition de métastases djihadistes…[...]

Aujourd’hui, nous autres Français de confession ou de culture musulmane, à l’instar de l’illustre Bossuet, devons être capables de poser un diagnostic sur cette maladie de l’islam : celle de sa difficulté à embrasser la modernité. La furie intégriste qui déchaîne les enfers en est d’ailleurs symptomatique. Cela implique que l’on cesse de s’abriter, à chaque fois que l’on nous interroge, derrière ce lieu commun consistant à dire, tel un leitmotiv, que l’islam est une religion de paix. Personne n’est dupe ! Tétanisés, ces Français musulmans, et Grand Dieu comme on les comprend, craignent, par-dessus-tout, de rajouter de l’eau au moulin des préjugés qui entourent ce culte de temps immémorial. Pourtant, ce travail de pédagogie nationale est indispensable. Nous contribuerons à dissiper les peurs qui s’alimentent des non-dits et, partant, gagnerons en crédibilité. Car oui, l’islam, déployé dans sa dimension spirituelle ou soufie, est, sans conteste, une religion de paix. Or, aujourd’hui, manipulé par les despotes arabes qui font gémir les populations sous le joug de la tyrannie, atrocement défiguré par l’islamisme, confisqué par les conservateurs religieux, intolérants au possible, l’islam, tel qu’il est perçu, fait peine à voir. Il nous appartient donc, citoyens musulmans de France, d’expliquer que l’islam, convalescent depuis le XIIIe siècle, est en train de basculer, malgré lui, dans une nouvelle ère, tout comme l’Ancien Régime de Bossuet jadis, celle d’une modernité exogène qu’il n’a pas créée mais qui lui est imposée de l’extérieur : l’Occident. Cela lui est d’autant plus pénible. D’où ces résistances spectaculaires. L’une d’elles, la pire, s’appelle le djihadisme…"

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