Revue de presse

"Pierre-Edouard Stérin, le milliardaire qui veut racheter Editis et évangéliser la France" (L’Express, 2 mars 23)

6 mars 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le fondateur de Smartbox est favori avec ses associés pour la reprise du groupe d’édition. De Marion Maréchal aux Républicains, ce fervent catholique présente un profil très politique.

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Marion Maréchal est arrivée à l’heure. Dans la salle, la trentaine d’invités au cocktail ne manifeste aucune surprise, même si quelques entrepreneurs observent d’un œil curieux l’ancienne députée du Vaucluse. Non loin d’elle, Nadine Morano se fait servir une coupe de champagne. Depuis 2015, les deux femmes sont des habituées des rendez-vous aussi discrets que réguliers organisés par l’investisseur à succès Pierre-Edouard Stérin. Elles y retrouvent parfois le sénateur Stéphane Ravier, le député européen Nicolas Bay, le patron et fondateur du groupe immobilier de luxe Barnes, Thibault de Saint-Vincent, ou Guillaume de Villiers, fils aîné de Philippe…

Comme à chaque fois, la soirée commence par un discours de l’hôte. Cinq minutes, pas plus. Pierre-Edouard Stérin, 49 ans, silhouette élancée et fines lunettes rectangulaires, n’aime pas perdre son temps. L’entrepreneur organise ces agapes discrètes une fois par mois, intitulées "les apéros du bien commun". Les lieux changent souvent, mais il est presque toujours question de sièges d’entreprises dans le VIIIe arrondissement de Paris, non loin des Champs-Elysées. Des événements feutrés, aux invités triés sur le volet, pensés comme des speed datings entre investisseurs, acteurs du monde associatif catholique et responsables politiques de droite et d’extrême droite.

Rien ne prédestinait Pierre-Edouard Stérin à se muer en entremetteur politique. A la tête du fonds d’investissement Otium Capital depuis 2009, le serial investisseur est un amoureux des chiffres, habitué à sélectionner les projets en fonction de leur critère de "scalabilité" (sa capacité à multiplier son volume d’affaires) et du business plan présenté. Si le grand public ignore son nom, ses entreprises sont entrées dans les foyers des Français. Il doit sa fortune à Smartbox et ses populaires pochettes cadeau, ou encore à LaFourchette, le célèbre site de réservation en ligne de restaurants à prix bradés. A la manière d’un Xavier Niel, il investit ses millions dans une myriade d’entreprises et de start-up françaises, gère 1,2 milliard d’euros. Parmi ses participations, les sacs Polène, la chaîne de restauration La Pataterie, les salles de sport Dynamo, le cœur artificiel Carmat… Les magazines spécialisés le classent depuis cinq ans "premier business angel français". Comprendre, plus gros investisseur "providentiel" de l’Hexagone.

Mais Pierre-Edouard Stérin n’est pas seulement ce self-made-man forcément libéral, milliardaire au storytelling rodé, dont le succès relativement tardif a couronné plusieurs échecs entrepreneuriaux. L’homme cumule aussi les paradoxes. Qui est vraiment cet exilé fiscal, qui a pris la route de la Belgique en 2012 pour fuir la gauche et ses impôts, mais lègue toute sa fortune à un fonds de charité, en déshéritant au passage ses cinq enfants ? Un entrepreneur de génie, capable de faire de l’argent sans états d’âme, ou un catholique illuminé, obsédé par son projet, assumé, d’atteindre "la sainteté" ?

"Pierre-Edouard Stérin est un homme qui va jusqu’au bout de sa cohérence", se félicite souvent Vincent Bolloré au sujet du personnage, qu’il apprécie autant pour son sens des affaires que pour sa vision conservatrice du monde. Aujourd’hui, Stérin s’est positionné pour racheter Editis au milliardaire breton, le deuxième plus gros groupe français d’édition, qui comprend, entre autres maisons, Julliard, Plon, Perrin, Robert Laffont, Le Cherche Midi, 10/18, Bordas, Bouquins, Le Robert, Nathan, la Découverte… Son offre, proposée conjointement avec les deux milliardaires Stéphane Courbit et Daniel Kretinsky, est favorite pour l’emporter.

Que vient faire cet investisseur dans le marché concurrentiel et peu lucratif de l’édition ? "Le marché est en pleine explosion. On pense qu’il y a une opportunité business, une belle opération à faire", assure Pierre-Edouard Stérin à L’Express, en invoquant la numérisation à venir du secteur. Ses proches évoquent une volonté d’élargir son influence. Avant Editis, Stérin s’est intéressé à la vente d’Europe 1. Preuve qu’il s’apprête à changer de dimension, l’homme d’affaires est sur le point de signer un contrat avec Image 7, l’entreprise de communication d’Anne Méaux, pour gérer son image personnelle et celle de son fonds. Cette dernière ne manquera pas de travail : il s’agira en premier lieu de convaincre que ce proche de la Manif pour tous, dont les cinq enfants ont suivi l’école à la maison, ne cherchera pas à imposer sa vision conservatrice dans les manuels scolaires, principale manne financière d’Editis.

"Ce sont les enseignants qui achètent les livres, et ils sont majoritairement de gauche. Ce serait un suicide commercial que d’intervenir dans le contenu éducatif", jure l’intéressé. "Peut-il être pire que Vincent Bolloré ?", s’interroge l’une des directrices de maison du groupe, en souffrance depuis que Vivendi détient Editis. Pour l’heure, aucun éditeur ne connaît les détails de l’offre de rachat, ni le poids respectif de Courbit, Kretinsky et Stérin à l’intérieur.

Seule certitude, chez Pierre-Edouard Stérin, la politique n’est jamais loin. Depuis 2015, celui qui se définit comme libéral et conservateur s’est même donné une mission : trouver une femme ou un homme providentiel pour la France. En homme d’affaires averti, il décide de faire le "tour du marché politique", selon ses mots, afin de décider sur quel cheval investir une partie de sa fortune. A sa demande, des rencontres sont organisées avec ceux dont il perçoit le potentiel : Marion Maréchal, François-Xavier Bellamy, Bruno Retailleau, Virginie Calmels, David Lisnard, Eric Zemmour… Face à lui, plusieurs d’entre eux ont le désagréable sentiment de passer un entretien d’embauche. [...]

La philanthropie de Pierre-Edouard Stérin aurait-elle un parfum de préférence nationale ? L’homme assume une vision "patriotique" de la charité, et ne soutient aucune initiative progressiste, qu’il s’agisse de l’intégration des étrangers, de soutien à l’égalité femmes-hommes ou aux minorités sexuelles. Pierre-Edouard Stérin préfère rappeler qu’il est l’un des rares entrepreneurs à pouvoir se vanter d’avoir placé toute sa fortune sur un fonds de charité, au détriment de ses propres enfants. 800 millions d’euros, ce n’est pas rien, même si Stérin a gardé 10 millions d’euros pour son confort personnel. Le reste, tout le reste, doit être investi à travers son "Fonds du bien commun". Mais de quel "bien commun" parle-t-on ? "Nos quatre piliers sont l’éducation, la souveraineté, la solidarité et l’évangélisation", répond celui qui, chaque année, trouve refuge à l’abbaye de Maylis, dans les Landes de Gascogne, pour une retraite religieuse.

Parmi les bénéficiaires de sa structure, on trouve donc, notamment, Méditatio, une application de méditation chrétienne, l’association Familiya, orientée "vers la prévention des ruptures conjugales et familiales, l’Alliance Siméon, pour le déploiement "d’animateurs spirituels dans les Ehpad", le prix Sésame, axé sur la sauvegarde du patrimoine religieux… Récemment, le Fonds pour le bien commun a aussi investi, avec Vincent Bolloré, dans le film à la gloire de la contre-révolution Vaincre ou Mourir, produit par le Puy du Fou de Nicolas de Villiers sur les guerres de Vendée. A titre privé, Pierre-Edouard Stérin a financé le projet avorté de Monasphère, ces lotissements à destination des familles chrétiennes autour des abbayes, critiqués pour leur aspect communautariste. "Pourquoi les cathos n’auraient-ils pas le droit de vivre dans des environnements qui leur ressemblent ?", se défend l’investisseur. [...]"



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