Revue de presse

Ph. Lançon : "Livres échoués" (Charlie Hebdo, 10 août 22)

16 août 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

JPEG - 77 ko

Lire "Livres échoués".

"Les livres qu’on trouve dans une maison louée m’attirent, quelle que soit leur valeur. Ils permettent d’imaginer (en se trompant) les propriétaires, les locataires successifs, tous ceux qui ont déposé ça sur les étagères et l’ont laissé, généralement sans revenir. Ils me rappellent la solitude peuplée de l’adolescence, quand, dans les étés interminables, sans écrans et sans « activités », je lisais en toute ignorance et curiosité ce qui me tombait sous la main.

Je fais ici l’inventaire partiel des livres trouvés dans une maison où j’ai brièvement atterri. Je cite le début de la première page, le titre, l’auteur. L’ordre d’entrée en scène n’est dû qu’au hasard. Je ne mentionne ni les éditeurs ni les dates de publication : ces détails sont sans importance, dans une maison de vacances. Que la lecture dure une demi-page ou un texte entier, ce qui compte, c’est la rencontre et la cohabitation.

« Les femmes d’aujourd’hui sont en train de détrôner le mythe de la féminité  ; elles commencent à affirmer concrètement leur indépendance  ; mais ce n’est pas sans peine qu’elles réussissent à vivre intégralement leur condition d’être humain » (Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, tome II, le tome I est absent).

« Quel genre d’enfance avez-vous eu  ? – Le genre bizarre. – Bizarre  ? Pourquoi  ? – Ce n’est pas facile à expliquer. Et puis je ne suis pas sûre d’en avoir envie. L’enfance, cela vous remonte si vite à la gorge… Il faut la garder pour soi. Comme les larmes » (Françoise Giroud, Si je mens…).

« Le personnage central de cette première partie est une Allemande de quarante-huit ans. Elle mesure 1,71 m et pèse (en négligé) 68,800 kilos, donc, à 300 ou 400 grammes près, le poids idéal correspondant » (Heinrich Böll, Portrait de groupe avec dame).

« On s’est regardés méchamment. Lui parce qu’il devait penser que tout était de ma faute et moi parce que ce n’était pas une raison pour me regarder comme ça » (Anna Gavalda, Des vies en mieux).

« Octobre 1869. Un drochki suit lentement une rue du Marché-au-Foin, à Saint-Pétersbourg. Devant un grand immeuble, le cocher arrête son cheval. Son passager examine le bâtiment d’un air sceptique. Êtes-vous sûr que c’est là  ? demande-t-il » (J. M. Coetzee, Le Maître de Pétersbourg).

« Ce n’est pas au poids de ses milliards qu’il faut peser cet homme contradictoire, ce Crésus spéculateur, navré que nos valeurs ne se mesurent plus qu’à l’étalon de l’argent » (George Soros, Le Défi de l’argent).

« Cette fois, César partit vers l’est » (Colleen McCullough, La Colère de Spartacus).

Paragraphe de détente.

Je reprends, traduisant cette fois le début du livre ouvert, car, comme d’autres dans cette bibliothèque, il est en anglais (il y en a aussi en russe, en chinois, en espagnol, ce qui semble indiquer le passage soit de locataires étrangers, soit de locataires français polyglottes, ou du moins étudiant ces langues) : « En novembre 1957, à 83 ans, William Somerset Maugham envoie à ses amis cette note : « S’il vous plaît, ne me croyez pas désagréable, mais je déteste que mes lettres soient publiées. J’ai donc expressément demandé à mes exécuteurs testamentaires d’en empêcher la publication, et j’ai supplié toute personne en possédant de les détruire »  » (Ted Morgan, Somerset Maugham).

« Blonde, ravissante, fort jeune mais divorcée, Sylviane est seule. Sans homme. Ses yeux bleus aux épais cils sont emplis de larmes » (Madeleine Chapsal, La Femme en moi).

« On avait gagné. Enfin, on le croyait. Le M.L.F et toutes les vieilles lunes du féminisme : enterrées, comme la hache de guerre des sexes » (Michèle Fitoussi, Le Ras-le-bol des super women).

« Un grattement timide à la porte : le bruit d’un objet posé sur le plancher  ; une voix furtive : « Il est 5 heures et demie  ! Le premier coup de la messe vient de sonner… »  » (Georges Simenon, L’Affaire Saint-Fiacre).

« Nous sommes en l’an 2453. La colonisation des planètes lointaines par les Terriens a commencé en 2070 avec la première expédition sur Tropos, située à seulement 6,8 années-lumière de la Terre » (Steve Jackson et Ian Livingstone, La Planète rebelle).

« Il existe un bon moyen de savoir si une fille est une princesse : il n’y a qu’à mesurer ses pieds » (Agnès Desarthe, Tout ce qu’on ne dit pas).

Je ne cite pas les débuts du Mystère Frontenac, de Mauriac, et d’Au bonheur des dames, de Zola, deux romans qui ont enchanté ma jeunesse."



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales