"La laïcité : un rempart pour l’égalité Femme-Homme"

P. Kessel : La situation des femmes, baromètre de l’état de la démocratie (Colloque du CLR Pays-de-la-Loire, 4 oct. 16)

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 23 octobre 2016

La laïcité est de retour. On devrait s’en féliciter. Mais elle a retrouvé sa place dans le débat politique au prix d’une confusion telle qu’on peut craindre pour la paix sociale comme pour les principes qui fondent la République.

Du côté de l’ultra-gauche, la laïcité se trouve ainsi accusée d’être « colonialiste », « raciste », « islamophobe » dès lors qu’elle postule que la République garantit les mêmes droits et exige les mêmes devoirs de tous les citoyens, quelles que soient leurs appartenances religieuses ou philosophiques. La confusion est telle qu’un grand quotidien national a publié récemment une tribune d’un sociologue intitulée « Le fondamentalisme laïque menace la France » [1] ! Quelques mois après les massacres de la barbarie à Charlie Hebdo, à l’hyper-casher, au Bataclan, à Nice, le 14 juillet, voilà une bien terrible nouvelle version de l’arroseur-arrosé ! Alors qu’il s’agit de faire en sorte que l’islam, comme les autres religions, puisse être pratiqué dans le respect des lois de la République.

Du côté de l’extrême-droite, on a assisté à un véritable hold-up sur la laïcité [2]. L’histoire témoigne que ce mouvement politique a toujours défendu une identité française bien peu laïque, blanche, catholique, apostolique et romaine. Il s’agit de stigmatiser les musulmans, d’instrumentaliser les peurs pour récupérer l’électorat populaire. Et d’exercer une pression idéologique sur les partis conservateurs.

Entre les deux extrêmes, des intellectuels ont voulu affubler la laïcité de qualificatifs qui ne visaient qu’à la vider de sa substance. Ainsi fut-elle invitée à devenir « moderne », « nouvelle », « ouverte » et, plus récemment, « inclusive », « apaisée » voire même, « concordataire ». Un superbe oxymore papiste ! Perdre le sens des mots, c’est perdre sa capacité à penser librement. Et sans pensée libre, la démocratie cède aux dictats de l’opinion. Nous y sommes. Le libéralisme se substitue à la liberté, l’équité à l’égalité, la charité à la solidarité, la différence à la singularité, le communautarisme à l’universalisme. Au prétexte d’habiller la laïcité de modernité, nos prétendus réformateurs renoncent à son contenu.

La confusion intellectuelle a gagné le monde politique et la laïcité divise désormais la Gauche et la Droite. Alors que la laïcité doit s’appliquer à tous, la mise en scène des faux-débats conduit à opposer ceux qui voudraient interdire le voile sans toucher à la croix, à ceux qui s’en prennent à la croix mais ne veulent surtout pas toucher au voile, selon l’expression de Caroline Fourest ! Une partie de la droite file le train à l’extrême-droite dans la stigmatisation des musulmans. Une partie de la gauche dérive d’accommodements dits « raisonnables » en renoncements coupables. A l’approche de l’élection présidentielle, le clientélisme électoral prend trop souvent le pas sur l’analyse sereine. C’est oublier que la Laïcité est fille des Lumières, d’une éthique fondée sur quatre grands principes : l’émancipation des êtres humains et des savoirs, la liberté de conscience, l’égalité des droits -en premier lieu entre hommes et femmes-, l’universalisme. Ces principes ont pris corps avec la Révolution française. Ils ont pris forme juridique dans la loi de 1905 de séparation des églises et de l’Etat. Ils sont inscrits dans le préambule de la Constitution qui stipule que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Ils ne sont pas négociables.

La laïcité n’est pas tombée du ciel un beau jour. Elle est le fruit d’un long processus d’évolutions, d’engagements et de combats qui ont nécessité courage et détermination. Elle ne fut pas l’aimable synthèse d’un dialogue courtois avec l’Eglise mais le compromis d’un dialogue complexe entre républicains. Une telle audace serait-elle impossible aujourd’hui pour préserver la laïcité des provocations communautaristes, islamistes en premier lieu ?

L’école a constitué l’espace de fixation des débats car elle est le lieu « sacré » de la République, là où, selon Condorcet, on instruit les enfants, non à devenir des blancs, des noirs, des jaunes, des rouges ou des verts, des chrétiens, juifs, musulmans, agnostiques ou athées, des électeurs de droite, du centre ou de gauche mais des citoyens libres et responsables, capables de penser par eux-mêmes. C’est pourquoi à l’école, on ne confond pas penser et croire qui sont de deux natures différentes. Apprendre à penser, c’est oser la raison, le doute, la critique, « saper aude », selon la formule de Kant. Mais de loi Debré en loi Carle, quel bond en arrière depuis 1945 ! En 2004 le rapport Obin, réalisé par des inspecteurs de l’Education Nationale, témoignait pour la première fois de la profondeur du mal, de la montée en puissance des communautarismes mettant à mal le principe d’Instruction [3]. Il fut enterré. Il y a désormais urgence à réinstituer l’école de la République.

Un autre danger menace la pérennité de la laïcité : l’émergence des communautarismes. Il ne s’agit pas de contester la liberté de femmes et d’hommes à se retrouver par affinités électives, de langues, de cultures, de religions, de convictions philosophiques et de se rassembler en associations. En revanche, ce qui fragilise les principes inscrits dans la devise de la République, ce sont ces revendications communautaristes qui incluent de plus en plus des dérogations à la loi commune, des accommodements puis des droits différents. C’est un think thank de gauche, Terra Nova qui a ainsi proposé une « citoyenneté à géométrie variable » pour tenir compte des origines de chacun. C’est un retour à une société d’Ancien régime où les individus étaient déterminés par leurs origines. La prophétie de Régis Debray se réalise, le droit à la différence enfante du retour à la différence des droits. Qui plus est, ce prétendu droit à la différence enferme les individus dans leurs origines et empêche l’expression des singularités individuelles ! C’est un coup d’arrêt à l’évolution vers l’autonomie et l’émancipation des individus.

Les premières victimes en sont toujours les femmes qui doivent se soumettre à un statut d’infériorisation quand ce n’est pas l’esclavage. C’est pourquoi les femmes ont pris la succession des instituteurs dans le combat laïque. Elles sont les nouveaux « hussards noirs » de la laïcité [4]. Car c’est au péril de leur vie que sous certains régimes, elles se battent pour leur liberté, leur dignité, l’égalité des droits avec les hommes.

Ce n’est donc pas un hasard si le Comité Laïcité République a été fondé au moment de la première « affaire du voile » avec des personnalités comme Maurice Agulhon, Pierre Bergé, Elisabeth Badinter, Elisabeth de Fontenay, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Jean-Pierre Changeux, Claude Nicolet, Henri Caillavet, Albert Memmi, Jean-Claude Pecker, Yvette Roudy... Depuis, les revendications communautaristes ont franchi l’enceinte des crèches, des universités, des hôpitaux, des entreprises, des prisons... et gagné des quartiers de nos cités.

A ceux qui pratiquent le déni et affirment qu’il n’y a pas de problème de laïcité en France, un nouveau désaveu fulgurant vient d’être publié dans un rapport de l’Institut Montaigne. Celui-ci témoigne que si les deux tiers des citoyens de culture ou de religion musulmane se reconnaissent dans les lois de la République, près de la moitié des jeunes musulmans de 15 à 25 ans sont plus sensibles aux prescriptions religieuses qu’à la loi républicaine. C’est là un symptôme inquiétant qui devrait conduire à un ressourcement aux principes républicains, l’égalité et la laïcité en premier lieu.

A ceux qui réduisent la déchirure culturelle à sa seule dimension sociale, légitiment les revendications communautaristes les plus rétrogrades, détournent l’anti-racisme, pourfendent la laïcité comme une idéologie « bourgeoise » qui serait issue de « têtes islamophobes », entretiennent pour certains la confusion entre bourreaux et victimes des attentats barbares, nous disons que la cécité nourrit la montée infernale de l’extrême-droite. Ces nouveaux « idiots utiles » prétendent lutter contre elle ; à leur corps défendant, ils en font le lit ! Ils ne veulent pas voir que des pans entiers de l’électorat populaire, touché par la fracture sociale et culturelle, se détournent des partis républicains. Déjà dans le passé, certains proclamaient, « plutôt Hitler que Blum ! »

La place des femmes s’est installée au cœur de ce débat. La confusion est telle que, détournant le combat des féministes historiques, certaines militantes communautaristes revendiquent le droit à porter le voile partout quand des millions de femmes dans le monde risquent leur vie pour le droit à ne pas le porter !

Que quelques jeunes femmes mises en avant y voient l’expression d’une singularité choisie est vraisemblable. Mais cet arbrisseau cache la forêt d’un prosélytisme de grande envergure qui voudrait prendre en otage toutes les musulmanes et renégocier avec la République ses principes constitutionnels.

C’est un enjeu essentiel car la situation des femmes constitue partout un baromètre de l’état de la démocratie. Cela ne concerne pas que les liens entre islam et République. L’assaut mené en Pologne – et nous pourrions citer de nombreux autres pays – contre la contraception, l’IVG, le mariage pour tous, doit conduire tous les démocrates à la plus extrême vigilance.

Voilà pourquoi le jeune CLR de Nantes a décidé de consacrer sa première manifestation au thème des Femmes et de la laïcité.

Au terme de ce colloque et de ce débat particulièrement riche, il convient de rappeler que la laïcité n’est pas anti-religieuse, qu’elle garantit la liberté de pratiquer un culte, sous les seules limites du respect des lois de la République. Tel n’est pas le cas dans les sociétés où pouvoir politique et religieux se confondent. En revanche, elle s’oppose aux clergés qui prétendent organiser le retour du religieux en politique (en témoignent les récents propos du Pape François sur les manuels scolaires français), imposer une morale religieuse en lieu et place des principes universalistes issus des Lumières.

La laïcité, on le voit, constitue une clé essentielle pour une société de liberté, d’égalité et de fraternité. Un outil au service du réenchantement de la politique. A quelques coudées de l’élection présidentielle, elle mérite que les républicains se mobilisent. C’est à cette tâche que se consacre le Comité Laïcité République.

Tel est le sens de l’action du Comité Laïcité République.



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