« L’après-janvier » (14 mars 15)

Pascal-Eric Lalmy (PRG) : "Le multiculturalisme comme projet politique débouche sur un apartheid social" (Colloque du CLR, 14 mars 15)

Pascal-Eric Lalmy, Secrétaire national du PRG à la laïcité. 16 mars 2015

Mesdames, Messieurs,

Monsieur le député, Monsieur le Ministre,

Cher Patrick Kessel,

Tout d’abord permettez-moi de vous remercier de l’invitation que vous m’avez faites de venir conclure vos travaux.

L’intitulé de votre colloque nous invitait à travailler sur trois points essentiels, en premier lieu « l’après-janvier », en second lieu la « République » et enfin la « laïcité », la question fondamentale étant de trouver ce qui lie les trois termes de l’équation. Je crois que nous pouvons simplement convoquer le triptyque républicain de liberté, d’égalité et de fraternité qui nous rassemble depuis plus de deux cent ans pour donner du sens et ouvrir des perspectives à l’issu de vos travaux.

S’interroger sur l’après-janvier c’est évidemment parler de la liberté, car c’est bien ce principe fondamental qui a été attaqué en premier lieu en janvier dernier. D’ailleurs le soir même du 7 janvier dans son allocution télévisée à propos de l’attaque contre Charlie Hebdo le chef de l’Etat déclarait : « Ces hommes, cette femme, sont morts pour l’idée qu’ils se faisaient de la France, c’est-à-dire la liberté. ».

S’interroger sur la République c’est ensuite soulever la question de l’égalité. Le projet républicain trouve ses racines dans les idéaux d’égalité de la Révolution française, rappelons-nous ici que Gracchus Babeuf voulait déjà, dans les années 1790 passer de l’égalité « proclamée » à l’égalité dans les faits, c’est le monumental Gambetta qui affirme un siècle plus tard : « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire. », et le 10 décembre dernier le Premier ministre rappelait encore que « l’égalité reste le combat de ce gouvernement ». Or pour nous, républicain, l’égalité ce n’est ni la tolérance – vous savez tous ce qu’en disait Clemenceau – ni la « coexistence » qui résonne comme une vieille séquelle de la guerre froide, mais bien de ne connaître et reconnaître que la communauté des citoyens qui forment la Nation au sens de Renan.

Ensuite, la laïcité est le pilier sur lequel repose l’idée de fraternité qui n’est pas étrangère, bien évidemment, à notre conception de la Nation. Car comme le disait déjà au IIe siècle avant Jésus-Christ, le poète latin d’origine berbère, Terence, « Homo sum ; humani nihil a me alienum puto » « Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. », l’ambition universaliste et fraternelle de la République s’incarne dans ce principe de laïcité qui doit aujourd’hui éclairer notre devise républicaine de « Liberté, Egalité, Fraternité ».

Alors, après janvier, la laïcité nous impose de lutter pour défendre les libertés individuelles et collectives face aux surenchères sécuritaires. La laïcité est aussi un rempart qui doit protéger nos institutions et nos libertés face aux nouvelles revendications religieuses qui se multiplient en ce début de XXIe siècle et fragmentent nos sociétés.

La laïcité doit permettre l’émancipation des individus, la construction de citoyens libres de décider de leur destin collectif ! Soyons clairs, nous ne pouvons pas accepter de renoncer à notre intelligence et à notre démocratie pour complaire à celles et ceux qui ont fait le choix de croire aveuglément. La liberté de croire s’arrête, comme toutes les libertés, là où commence celle des autres. Le sacré ne peut interdire l’exercice de la Raison.

Islamophobie, christianophobie, etc. tous ces termes, au demeurant bien peu élégants, ne sont forgés que pour nous interdire de critiquer les croyances, les superstitions, et autres tyrannies que certaines communautés religieuses veulent imposer à leurs membres et à la société tout entière.

Il suffit pour s’en convaincre de regarder comment certains courants religieux militants ont jeté dans la rue leurs troupeaux contre le mariage pour tous, comment ils entendent aujourd’hui nous interdire de choisir notre mort au motif que notre vie ne nous appartiendrait pas. Voyez aussi comment ils se mobilisent contre le droit des femmes, qu’il s’agisse du combat légitime du gouvernement pour l’égalité fille/garçon ou de l’exercice du droit à l’IVG !

Alors soyons clairs ! Nous ne pouvons pas tolérer que le parti socialiste encourage le communautarisme, le repli sur soi, et s’attaque au fondement de notre République, en affaiblissant un peu plus l’école publique au profit de l’école privée, quand il demande au gouvernement de multiplier les écoles privées confessionnelles. En réalité, il faudrait se mobiliser contre la loi Carle et contre la loi Debré, surtout au moment où les politiques d’économie doivent nous dicter de revenir sur les multiples faveurs que Sarkozy et sa clique ont concédé à l’enseignement privé et qui a remis en cause l’équilibre entre le public et le privé au profit du second.

Soyons clair, pour les Radicaux de gauche le slogan reste et restera « fonds publics à l’école publics et fonds privés à l’école privés » ! Quand les socialistes transigent avec cette question (on est toujours plus durs avec ses amis, vous le savez), on ne peut que se rappeler le mot de Clemenceau à leur propos qui parlait des « socialo-papalin » !

Au moment où le principe de laïcité est attaqué de toute part, de l’extrême droite à l’extrême gauche, au moment où notre bel idéal est dévoyé, déformé, instrumentalisé. Nous devons réaffirmer que c’est un principe simple inscrit dans la loi de 1905 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ».

Il en découle des choses qui devraient être évidentes, d’abord le gouvernement n’a pas à entretenir de réunions régulières avec les représentants qualifiés de l’Église catholique, comme en a décidé Lionel Jospin en 2002 quand il a installé l’Instance officielle de dialogue entre l’Etat et l’Eglise catholique, il n’a pas non plus vocation à organiser un islam de France, d’abord parce qu’il n’existe pas et ensuite car ce n’est pas au gouvernement de dire ce qu’est l’islam, les musulmans des sunnites aux chiites en passant par toutes les variantes ne le sachant pas eux-mêmes !

Il n’appartient pas non plus à l’école d’enseigner les croyances religieuses, mais l’école plutôt d’enseigner le fait social, culturel, spirituel, politique, économique que constituent les religions, et elle le fait déjà. D’ailleurs, contrairement à ce qui est souvent dit, la neutralité de l’école, comme l’a souhaité Ferdinand Buisson, est confessionnel bien plus que religieuse. La neutralité de l’école c’est « celle qui exclut de l’école toute polémique et toute propagande de confession à confession, d’Eglise à Eglise, de secte à secte » comme il le disait dans son dictionnaire.

Il n’appartient pas non plus à l’Etat de financer des lieux de culte, faut-il rappeler que la dîme a été abolie en 1789, et surtout que ce sont très certainement les athées, dont on ne parle jamais évidemment, qui sont majoritaires en France ! Au surplus, encore une fois en ces périodes de restrictions budgétaires nous avons sans doute mieux à faire pour répondre à la détresse sociale et à la misère et pour construire l’égalité que de promettre une vie meilleure dans l’au-delà et d’entretenir des clergés !

Je sais que le multiculturalisme continue à travailler la gauche, peut-être par remord postcolonial, pourtant la laïcité n’a pas à être « ouverte au respect du sacré ». Ce qui est sacré, ce sont les valeurs de la République.

Le multiculturalisme, comme projet politique, sous son apparence d’ouverture, est au contraire à l’origine d’assignations identitaires, culturelles, ethniques, religieuses, c’est un enfermement dans le communautarisme qui débouche sur un apartheid social, à l’opposé du projet républicain fraternel, universaliste et émancipateur.

La laïcité nous impose d’agir pour l’égalité comme un principe de justice qui renforce la cohésion sociale en donnant à chacun la récompense de son mérite et l’assurance de la solidarité nationale quel que soit son sexe, son âge ou son origine en combattant toutes les inégalités et en refusant toutes les discriminations.

La laïcité nous impose de conforter notre idéal de fraternité face à la tentation du repli sur soi et du refus de l’autre en stigmatisant les immigrés ou certaines religions au nom de leur prétendue plus ou moins grande compatibilité avec le projet républicain.

Nous avons accordé historiquement une valeur de rassemblement aux valeurs et aux principes de la République, les soldats de l’An II, les poilus, les résistants se sont sacrifiés en leur nom. Nous nous battons, aujourd’hui, contre le terrorisme et la barbarie parce que nous croyons encore à la force de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la laïcité, de la solidarité. Ces mots résument à eux seuls l’Universalisme républicain qui fait le génie français depuis plus de deux siècles et qui plonge ses racines dans la philosophie des Lumières. Ces repères font la singularité du peuple français dans le monde. Nous devons aussi nous rappeler que nous sommes un peuple !

Cela nous impose de redonner sens au collectif et à la Nation en revivifiant les grands rituels républicains. En ce sens l’entrée au Panthéon de Geneviève Anthonioz-De Gaulle, de Germaine Tillion, de Pierre Brossolette et de Jean Zay est la plus formidable des réponses que la République pouvait apporter aux événements de janvier dernier ! Ces quatre résistants incarnent les valeurs de la République, l’engagement pour ces valeurs, le combat pour ces valeurs, il nous appartient aujourd’hui de reprendre le flambeau et de porter haut l’exigence républicaine face à ceux qui ont renoncé à l’intelligence, à la raison et à la discussion pour s’enfermer dans une vision dogmatique, totalitaire et absurde de la religion qui est destructrice de toute spiritualité. L’enseignement de la morale laïque à partir de la rentrée prochaine, dans nos écoles, doit être l’un des vecteurs de la reconquête républicaine des territoires perdus de la République et de l’émancipation d’une jeunesse qui a trop souvent le sentiment que ces valeurs sont des promesses sans lendemain.

Je crois pour conclure qu’il faut en premier lieu souligner que c’est cette grande et belle idée de Fraternité qui doit être revivifiée si nous voulons revivifier notre République laïque et répondre au défi de l’après-janvier. En effet, ne nous y trompons pas, ce n’est pas la France Black-Blanc-Beur qui est descendue dans la rue le 11 janvier. La France a oublié une partie de ses enfants, et le Premier ministre a eu raison d’employer le mot d’apartheid. Il y a urgence à retisser le lien social en redonnant aux associations d’éducation populaire les moyens de retourner dans les quartiers et en menant des politiques urbaines intégratrices.

En second lieu, nous devons réenchanter la promesse républicaine, dans nos sociétés pluriculturelles car nos valeurs républicaines sont mises au défi de difficultés nouvelles dans un contexte de civilisation nouveau créé par la mondialisation. C’est la capacité de valeurs républicaines à continuer à être des principes de rassemblement qui est testée. Aujourd’hui on se tourne vers la laïcité car elle peut créer de la réconciliation dans la société et faire vivre l’idée de fraternité.

Nous devons donc être capables de transmettre dans le corps social que la République a une vertu de rassemblement. Cette mission, je pense que ce sont celles et ceux qui ont forgé la République qui doivent s’en emparer, c’est-à-dire les radicaux, les libres penseurs, les francs-maçons, et aussi ces deux vieilles dames que sont la Ligue de l’enseignement et la Ligue des droits de l’homme. Rappelons-nous que c’est la conjonction de ces forces politiques, philosophiques et associatives qui ont construit la République à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et que le projet républicain n’est jamais achevé.
Le temps de la mobilisation générale est venu. Vive la République !



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