Revue de presse

P. Kessel : "La République est laïque et sociale. Pas l’un sans l’autre !" (Marianne, 17 nov. 17)

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 19 novembre 2017

"Patrick Kessel regrette l’absence de débat clair pendant la campagne présidentielle de 2017 qui aurait pu lever la confusion dans les esprits. Un trouble qui appelle à redoubler de vigilance et à défendre fermement les principes fondamentaux de la République laïque.

Il y a un an [1], nous évoquions la déchirure sociale mais aussi culturelle du pays. Nous disions notre inquiétude face à la montée des revendications communautaristes qui menacent la paix civile. Nous appelions les forces républicaines des deux rives à retrouver le discours de la citoyenneté et de la laïcité. A lever la confusion qui s’est imposée dans les têtes et à rappeler que les principes fondateurs de la République - la liberté de conscience et l’égalité des droits et des devoirs entre tous, quels que soient l’origine, la couleur de la peau, le sexe, les appartenances religieuses et philosophiques - que ces principes ne se négocient pas.

Nous avions souhaité que les élections de 2017 soient l’occasion d’un ressourcement à ces principes. Le Comité Laïcité République, comme la plupart des associations laïques, a appelé à faire barrage à la candidate d’extrême droite qui, tout au long de son histoire, a défendu une identité française blanche, catholique, apostolique et romaine, bien peu laïque ! De cela, nous pouvons nous féliciter, même s’il convient de demeurer vigilant pour l’avenir.

Mais la laïcité a été peu évoquée, souvent instrumentalisée. Sur la rive droite, certaines voix se sont élevées pour stigmatiser l’ensemble des musulmans et capitaliser les voix de la peur. Les mêmes qui se posent en laïques avaient manifesté contre le mariage pour tous et plaident aujourd’hui en faveur des crèches dans les mairies ! Comme si la laïcité devait s’appliquer exclusivement à nos concitoyens musulmans ! Ceux-là n’ont pas tout à fait abandonné l’idée d’une France fille aînée de l’Eglise.

De la rive gauche, on espérait un sursaut républicain et laïque dans la filiation de Jaurès et de Clemenceau. Pour beaucoup, on eut la course au vote communautaire, les accommodements dits « raisonnables » et les renoncements coupables. On aurait aimé entendre de la bouche des candidats que la laïcité, la liberté de conscience et l’égalité entre tous les citoyens et d’abord entre hommes et femmes ne se négocieraient jamais.

On aurait aimé qu’un véritable débat mette en lumière le fait que le multiculturalisme ne conduit pas au métissage, ni même à la rencontre des cultures, mais à l’ethnicisation et à l’enfermement dans des ghettos. Que seul l’universalisme porté par la laïcité ouvre la voie à la fraternisation au-delà des origines et des appartenances diverses.

Au lieu de cela, des voix d’intellectuels, de sociologues, de journalistes et même plus récemment de quelques élus aux origines pourtant progressistes ont cultivé le déni des réalités, ont nié les problèmes posés par les revendications communautaristes dans des crèches, des IUT, des écoles, des hôpitaux, des prisons, dans des entreprises, des quartiers, ont détourné le combat antiraciste, ont falsifié le combat féministe, ont masqué la montée d’un nouvel antisémitisme porté par l’islamisme politique.

Ces voix ne nous feront pas croire que ces obscurantistes seraient les nouveaux damnés de la Terre, les héritiers d’un prolétariat perdu ! La question sociale ainsi caricaturée ne sert qu’à affaiblir la laïcité, à justifier des régressions de mœurs dont les femmes sont les premières victimes, à légitimer des alliances politiques contre nature avec des forces obscurantistes.

La République est laïque et sociale. Pas l’un sans l’autre !

Résultat, c’est la laïcité qui s’est trouvée accusée d’être « colonialiste », « raciste », « islamophobe » ! On a même pu lire que c’est le « fondamentalisme laïque » qui menacerait la France !

Cet aveuglement évoque celui de ces intellectuels qui, dans les années 30, de retour de Moscou, n’avaient rien vu de l’enfer stalinien ou, un peu plus tard, de retour de Berlin, n’avaient pas perçu la réalité du nazisme.

Les élections de 2017 n’ont pas permis de lever la confusion qui s’est installée dans les têtes. Le débat n’a pas eu lieu, mais il divise désormais profondément et la droite et la gauche, et même les associations laïques.

Les questions demeurent et il est toujours aussi faux de prétendre qu’il n’y a pas de problèmes de laïcité en France.

Le Collectif laïque national, qui regroupe plus de 30 associations laïques, publiera dans les prochains jours son rapport annuel qui en fait objectivement la démonstration.

Six mois après les élections, les perspectives se révèlent indécises et les déclarations soufflent alternativement le chaud et le froid.

Le chaud lorsque le ministre de l’Education nationale adresse des signaux qui vont dans le bon sens concernant l’école, car la priorité des priorités, c’est de reinstituer l’école de la République.

Le froid lorsque d’autres voix autorisées paraissent vouloir transformer la laïcité en un dialogue inter-religieux ; tant mieux s’il permet de rapprocher des communautés de croyants plutôt que de nourrir de nouvelles guerres de religion.

Mais cette démarche n’a rien à voir avec la laïcité ! En revanche, elle serait inquiétante si l’engagement de l’Etat devait servir de cheval de Troie à une sorte de concordat qui ne dirait pas son nom. Qui aboutirait à contourner la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et à replacer les religions dans le débat politique ! Car, s’il est légitime que les religions, comme les familles philosophiques, s’expriment dans les grands débats de société, c’est aux élus du peuple seuls à faire la loi.

A cet égard, la mise en place d’une instance interconfessionnelle, même « informelle », auprès du ministre de l’Intérieur, ne peut manquer de nous préoccuper. L’Etat doit demeurer extérieur aux considérations théologiques et les clergés extérieurs aux institutions de la République. Selon la formule de Victor Hugo, tout va mieux quand l’Etat est maître chez lui et l’Eglise, chez elle.

La laïcité sans qualificatif que nous défendons n’est pas qu’une loi. Elle est aussi une philosophie de l’émancipation, de la liberté de conscience et de l’égalité des droits.

Aussi pensons-nous que le président Macron pourrait rassembler une majorité de républicains des deux rives afin de faire reconnaître l’élargissement de la liberté de conscience à la fin de vie. C’est avec cette volonté de rassemblement que nous soutenons la proposition de loi du député Jean-Louis Touraine, que je salue. C’est ce qu’attendent plus de 80 % de nos concitoyens. C’est ce que le président Mitterrand avait fait pour l’abolition de la peine de mort et le président Giscard d’Estaing pour l’interruption volontaire de grossesse. Le dépassement des clivages traditionnels trouverait là une concrétisation heureuse.

La laïcité est le moyen de la paix sociale, du rassemblement de toutes les citoyennes, de tous les citoyens, quelles que soient leurs singularités. Elle est la voie de la fraternité citoyenne qui donne tout son sens à la République. Il faut la protéger, la promouvoir et nous sommes disposés à travailler avec tous ceux qui partagent cette volonté.

C’est pourquoi nous travaillons à ce qu’elle soit au cœur de la recomposition politique et d’un rassemblement autour d’un projet de République moderne, laïque et sociale.

Enfin, au moment où Charlie est à nouveau l’objet d’une salve de haines et de menaces, il est essentiel d’affirmer que « Nous sommes toujours Charlie ». C’est pourquoi, le 6 janvier prochain, le Comité Laïcité République, le Printemps républicain et la Licra, avec le soutien de Charlie, invitent à une journée de mobilisation intitulée : « Toujours Charlie ! : de la mémoire au combat ». Cette journée se tiendra aux Folies-Bergère."

Lire "La laïcité est le moyen de la paix sociale".



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