Revue de presse

Oliver Gallmeister : « Aujourd’hui, Roth ou Bukowski ne pourraient plus être publiés » (Le Figaro Magazine, 19 mai 23)

Oliver Gallmeister, éditeur français spécialisé dans la littérature américaine. 22 mai 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[...] La littérature, pour un éditeur, consiste à laisser les auteurs s’exprimer, c’est un domaine de liberté. Mais depuis quelques années, il y a une volonté manifeste aux États-Unis de publier des fictions identitaires. Il faut mettre en avant ce que les éditeurs appellent les « minorités visibles ». Comme à Hollywood, d’ailleurs.

Les Américains sont beaucoup plus sensibles que nous autres Français à la personnalité, à l’identité de l’auteur, qu’à son œuvre. Par exemple, j’ai reçu récemment une lettre d’information de Goodreads (qui appartient à Amazon). Dans ce cas précis, il s’agit d’une sélection de polars et de thrillers. On y trouve plusieurs catégories : les livres préférés des membres de Goodreads qui se comptent en millions et, entre autres, une sélection de parutions d’auteurs « de couleur ». Ce qui est incroyable pour un Français. C’est un peu comme si à « La Grande Librairie », on décidait de n’inviter que des écrivains noirs. En France, nous sommes dans un modèle universaliste, mais aux États-Unis, ce n’est pas le cas. Ils vont parler d’auteurs noirs, hispaniques ou d’origine asiatique, d’auteurs LGBTQ +, etc. Avant, c’était, en tout cas dans l’esprit d’un Français comme moi, une information annexe, c’est-à-dire un non-sujet. Aux États-Unis, c’est désormais devenu le premier critère de sélection pour présenter les livres aux potentiels acheteurs du monde entier. [...]

Un agent va me proposer un livre qui raconte l’histoire d’un cow-boy qui tombe amoureux d’un guerrier indien. Une case est cochée. On voit même des aberrations historiques : un soldat confédéré qui tombe amoureux d’un esclave. Peut-être le livre est-il de bonne facture, mais c’est peu probable. Ce qui est triste, c’est de voir des écrivains doués tomber dans le piège de la bien-pensance et vouloir commencer à cocher des cases identitaires. Pour moi, c’est au contraire extrêmement infamant pour les minorités concernées, quelles qu’elles soient. Définir un personnage par ses origines, sa couleur de peau ou ses orientations sexuelles, c’est absolument innommable. Je peine à trouver des livres écrits en toute liberté : bien entendu, je reçois toujours des manuscrits, mais peu me donnent envie de les lire car nous publions de la littérature et je ne donne pas dans le politiquement correct. Je n’ai pas besoin qu’un livre m’explique que la guerre, c’est mal, que le racisme, c’est mal, que l’homophobie, c’est mal et que le cancer, c’est triste : ça ne m’intéresse pas. Toute notion d’ambiguïté, de complexité, de nuance… tend à s’effacer au profit d’« idées » simplistes. Cela dessert la littérature et cela sert les extrémistes de tous bords.

En raison de cette cancel culture, un certain nombre d’auteurs américains que nous publions en France ne le sont plus aux États-Unis. [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier "Les nouveaux diktats culturels" (Le Figaro Magazine, 9 mai 23) dans Liberté d’expression : culture dans la rubrique Liberté d’expression (note du CLR).


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