Note de lecture

N. Chomsky : Un réquisitoire implacable contre la politique des Etats-Unis (G. Durand)

par Gérard Durand. 24 octobre 2020

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Noam Chomsky, entretiens avec Emran Feroz, La Lutte ou la chute, Pourquoi il faut se révolter contre les maîtres de l’espèce humaine, éd. Lux, juin 2020, 12 e.

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On ne présente plus Noam Chomsky, ce professeur de linguistique au célèbre MIT (Massachusettts Institut of Technology) et à l’université d’Arizona nous fait parfois oublier sa propre discipline. Pourtant ses travaux sur la classification des grammaires et des langages formels et la formalisation mathématique du langage constituent les bases de la traduction automatique et jouent encore aujourd’hui un rôle de premier plan.

Chomsky fait partie de ces esprits universels comme on en trouvait à la Renaissance. C’est avant tout un esprit libre qui examine sans la moindre complaisance la politique impérialiste des Etats Unis, comme celle de l’Etat d’Israel auquel le rattachent ses origines juives. Il a dû pendant presque toute sa vie se heurter à de très fortes oppositions conservatrices le traitant d’antiaméricain ou de victime de la « haine de soi juive ». Bretteur confirmé il réussit dans la plupart des cas à désarçonner ses adversaires et démontant leurs arguments.

Ce petit livre de 120 pages est un dialogue avec le journaliste allemand Emran Feroz où Chomsky ne cesse de nous prévenir que l’humanité à atteint le stade le plus périlleux de son histoire. Les profondes inégalités, le changement climatique et le risque bien réel d’un conflit nucléaire, ont pour la première fois, fait apparaître la possibilité de la destruction complète qui ne pourra être évitée que par une coopération totale de tous les Etats. Mais la bêtise du capitalisme libéral et son obsession du profit à court terme ne va pas dans ce sens.

Aujourd’hui Chomsky vit à Tucson en Arizona, près de la frontière mexicaine, ville au peuplement très hétéroclite ou l’on peut vivre sans aucun problème en ne parlant que l’espagnol. C’est à partir de cette ville moyenne, dont l’université est loin de connaître l’opulence de celles de la côte Ouest, qu’il va poursuivre son combat. Quelques thèmes sont privilégiés dans ce livre.

Le premier va concerner l’économie américaine. Selon la plupart des experts, avant la Covid, elle est florissante. Mais si l’on entre dans le détail, il est clair que cette performance repose en large partie sur l’exploitation.
Exploitation des travailleurs américains d’abord. Si les chiffres officiels du chômage sont de l’ordre de 3 à 4%, ils sont dus à la multiplication des contrats précaires. Si on les prend en compte, le vrai chômage se situerait à 11%, soit une performance très médiocre. Mais cette sous-estimation est volontaire, la précarité savamment entretenue. Allan Greenspan, qui à longtemps dirigé la Banque fédérale, s’en félicitait, car la peur de la précarité empêche les salariés d’être trop revendicatifs. Ce n’est qu’après la crise de 2008 qu’il reconnaitra son erreur.
Exploitation des travailleurs étrangers ensuite, notamment par la mise en place de dictatures dans de nombreux pays, à seule fin d’éviter le surgissement de gouvernements progressistes.

Le second concerne la politique intérieure. Chomsky constate que la création des Etats-Unis a d’abord reposé sur le génocide des populations locales, avec des méthodes d’une très grand brutalité, qui se poursuivent aujourd’hui sous d’autres formes, notamment le racisme. Sait-on que jusqu’en 1960 un blanc ne pouvait pas épouser une personne n’ayant « qu’une seule goutte de sang étranger ». L’actualité nous rappelle chaque semaine à quel point le racisme reste présent dans beaucoup d’esprits. Pour Chomsky, le Parti républicain est l’organisation la plus dangereuse au monde, comme l’llustre son soutien inconditionnel à Trump. On se trompe souvent en parlant de Trump, notamment en le déclarant imprévisible. Si l’on prend en compte les intérêts de classe, il est tout au contraire très prévisible. Pendant qu’il s’agite sur le devant de la scène il a mis en place toute une administration qui n’a pour seul but que d’enrichir encore plus ceux qui le sont déjà.

La critique la plus virulente est celle de la politique étrangère des Etats Unis, à peu près constante depuis la Seconde guerre mondiale. Elle s’appuie d’abord sur une énorme force militaire dont le budget représente plus du tiers des dépenses mondiales d’armement et présente dans 70% des pays avec plus de 800 bases. Elle permet au gouvernement américain d’intervenir partout ou il le décide, même si cela se traduit par des massacres et notamment par la mise en place ou le soutien des régimes qui lui sont favorables, en fait les dictatures. A tel point qu’il n’hésite pas à déclarer que si un procès de Nurenberg se déroulait aujourd’hui tous les présidents américains depuis la fin de la Seconde guerre mondiale seraient pendus.

La critique est également féroce lorsqu’il s’agit d’Israël, qu’il classe dans la catégorie des Etats voyous. Ce qui lui a valu un refus de visa comme c’est aussi le cas dans d’autres pays comme le Pakistan. Cela ne l’empêchera pas de continuer à dénoncer les agissements pervers et de décrire une réalité que beaucoup ne veulent pas voir parce qu’elle est trop scandaleuse. A titre d’exemple celle de l’immigration qui refuse l’accueil de réfugiés fuyant la situation créée dans leur pays par les Etats-Unis.

Chomsky est intarissable sur le sujet et son discours est argumenté et convaincant, il aborde bien d’autre sujets, par exemple en expliquant son rapport avec la religion. Le lecteur découvre un texte passionnant à la lecture aisée et qu’il n’a pas envie d’interrompre. Si bien qu’à la fin il ne peut que se promettre de lire d’autres ouvrages du même cet auteur.

Très vivement conseillé.

Gérard Durand


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