Revue de presse

"Moralisme et délation : des traditions si françaises" (J.-Y. Camus, Charlie Hebdo, 29 juil. 20)

1er août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Pour Jean-Yves Camus, la « cancel culture » est aussi et avant tout l’œuvre de l’extrême-droite. Ces pratiques de délation sont apparues d’ailleurs bien avant les réseaux sociaux. A chaque fois, c’est la justice qui est bafouée.

Un hashtag fait le buzz sur Twitter : #OnVeutLesNoms. Lancé par la droite identitaire, il a pour objectif de pousser les médias, la police et la justice à rendre publics les patronymes des auteurs d’actes de délinquance ou de crimes, afin que les Français finissent par associer spontanément l’insécurité à l’origine extra-européenne des suspects, donc à l’immigration. Cette proposition est un des aspects du « name and shame » (« nommer et couvrir de honte ») qui se répand partout, dans une société qui devient, comme aux États-Unis, insupportablement moralisante et dans laquelle chaque citoyen se prend pour un petit shérif autorisé à jeter en pâture à l’opinion publique le nom de tout suspect d’un acte juridiquement ou moralement répréhensible. Sans se soucier des conséquences : on foule aux pieds la présomption d’innocence, on risque de détruire des vies, de pousser au suicide, y compris par des allégations qui se révèlent fausses au terme de l’enquête.

Ce goût du tribunal du peuple et du pilori est aussi un vieux travers français, répandu sous l’Ancien Régime sous la forme de libelles imprimés destinés à détruire des réputations, plus tragiquement encore utilisé sous la Terreur, qui vit rouler des têtes sur la seule foi de la rumeur et sous le coup de l’envie ou de la vengeance. Cette folie revient en force. Pour preuve, la diffusion de la photo et du nom d’un homme présenté à tort comme le meurtrier du chauffeur d’autobus de Bayonne, photo provenant d’un fichier policier. Le 19 juillet, alors que les journalistes attendent la sortie de garde à vue de l’homme alors suspecté d’avoir mis le feu à la cathédrale de Nantes, les caméras se tournent vers un type qui passe, l’entourent pour l’interviewer, avant de s’aviser qu’ils se sont trompés d’individu. Le suspect est rwandais. Le malheureux vers qui tout le monde s’est tourné est noir : cela a suffi à le désigner comme lié à l’affaire. Sa bobine reste gravée sur des vidéos qui tournent.

Si nous voulons éviter d’en arriver à un tribunal populaire d’exception autoproclamé et permanent, il faut donc rappeler ce principe : la mise en examen ne signifie absolument pas une reconnaissance de culpabilité. Celle-ci ne peut être prononcée que par le verdict d’un tribunal. Avant l’audience, contentons-nous des initiales des mis en cause. Quand la justice a été rendue « au nom du peuple français » tout entier, alors seulement vient le moment de tout dire : le nom, les faits et les causes.

Mais il n’y a pas que les identitaires qui jouent les boute­feux. Il y a aussi les justiciers autoproclamés de la gauche morale, persuadés que les riches et les puissants jouissent d’une forme d’impunité, puisque la hiérarchie policière et les magistrats participeraient d’un complot de la bourgeoisie (nécessairement patriarcale, corrompue, de mauvaises mœurs et se serrant les coudes) pour étouffer ses turpitudes. Ils exigent justice immédiate, à coups de pancartes brandies, de glapissements indignés. Parfois, ça marche. Un pseudo-­progressisme qui sent la sacristie, le péché originel et la contrition permanente après confession est en marche. Il faut dire vite qu’il nous dégoûte."

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