Revue de presse

Macron, "universaliste à Paris, multiculturaliste à Bruxelles" (G. Chevrier, atlantico.fr , 21 oct. 22)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant, vice-président du Comité Laïcité République. 25 octobre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Laïcité : le trouble double jeu mené par Renaissance et Emmanuel Macron

Des eurodéputés Renew, comme Stéphane Séjourné (Secrétaire général de Renaissance), ont voté contre la proposition du PPE portée par François-Xavier Bellamy de ne pas financer de campagne susceptible de promouvoir le port du voile. Emmanuel Macron et sa majorité sont-ils plus multiculturalistes qu’ils ne le laissent entendre ?

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Atlantico : Au Parlement européen, la proposition du PPE portée par François Xavier Bellamy de ne pas financer de campagne susceptible de promouvoir ou de banaliser le voile obligatoire (hijab) a été adoptée. Néanmoins, un certain nombre de députés Renew ont voté contre cette proposition, comme Stéphane Séjourné tête de file de Renaissance. Le lendemain, il s’est félicité que « son amendement contre le financement des associations islamistes par la Commission a été adopté au Parlement européen comme celui de François Xavier Bellamy ». Comment expliquer cette ambivalence ?

Guylain Chevrier : Il faut peut-être la chercher, précisément, dans la volonté du gouvernement actuel de ne pas appuyer sur le voile comme signe religieux. Il est pourtant sans ambiguïté le symbole par excellence de la pénétration du communautarisme dans notre société. Dire combattre l’islamisme passe mieux, même si ce que met en avant ce dernier pour promouvoir le « séparatisme » est justement le voile. C’est d’ailleurs bien cela qui est venu mettre en cause le financement des associations en question, contre quoi les députés Renew ont opposé leur amendement qui a été adopté. Si c’est bien l’utilisation que font les islamistes du voile qui est en cause, qu’est-ce que celui-ci peut avoir de si important pour constituer leur porte-drapeau ? Bien sûr, on pourra dire qu’il y a bien des raisons différentes et personnelles de porter le voile, mais on ne saurait nier qu’il est toujours l’instrument principal d’affrontement autour du respect des principes communs.

On le voit très bien d’ailleurs, chez les élèves qui entendent imposer le port d’abayas dans l’école qui sont les mêmes qui se révoltent contre l’interdiction qui y est faite au voile. Le refus de la loi commune au nom de sa religion, qui n’est ni plus ni moins ainsi qu’une revendication politique, si ce n’est de l’islamisme, c’est à tout le moins de l’intégrisme qui peut y conduire.

Le gouvernement d’ailleurs on l’a souligné, parle de traiter le problème des abayas au cas par cas dans les établissements scolaires, alors qu’il n’y a rien de mystérieux quant à savoir s’il s’agit ou pas d’un accoutrement religieux. Des tenus vendus sur internet comme « islamiques » et portées par les mêmes qui enlèvent leur voile à l’entrée de l’école. Dès qu’il est question de signes religieux, on sent de la fébrilité du côté de la majorité. On veut bien lutter contre l’islamisme, mais on écarte les signes religieux de l’enjeu, comme s’il n’y avait aucun rapport, ou que l’on voulait à tout prix éviter de les mettre en rapport.

Dans quelle mesure la majorité et Emmanuel Macron cultivent-ils une ambiguïté sur le sujet de la laïcité ? Quels exemples avons-nous de ce trouble jeu ?

On se rappelle qu’en février dernier, a été adoptée la loi visant à « Démocratiser le sport en France », qui a vu le rejet d’un amendement du Sénat qui prévoyait la neutralité religieuse sur les terrains de sport. On s’est auto-félicité de la parité imposée par cette loi au sein des fédérations, allant dit-on « dans le sens de l’histoire ». Le respect de l’égalité des sexes dans les instances du sport, et le sexisme qui colle au voile sur les terrains. Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté, affirmait pourtant que « le gouvernement ne soutient pas le mouvement des hijabeuses ».

Ce sont bien elles qui ont gagné en attendant, alors que leur collectif créé sous la forme d’un « syndicat de footballeuses musulmanes », est hébergé par l’association Alliance Citoyenne qui a fait parler d’elle pour ses initiatives en faveur du port du burkini dans les piscines. D’un côté on se rappelle que le gouvernement s’est opposé à ce dernier, pointé comme un symbole du séparatisme, mais pas question concernant le voile dans les stades.

Un signe terrible envoyé à deux ans des Jeux Olympiques de Paris, alors que la règle 50. 2 de la charte olympique, qui n’autorise « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale dans un lieu, site ou autre emplacement olympique », déjà assouplie, n’a jamais été autant attaquée. Elle est critiquée au nom du droit de dénoncer le racisme, par exemple en mettant genoux à terre dans le prolongement du mouvement Black Lives Matter, pour autoriser ainsi tous les débordements, dont les démonstrations religieuses. La sanctuarisation du sport à un sacré plomb dans l’aile.

La Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dite contre le « séparatisme », nous en offre aussi un exemple, au chapitre du contrôle des associations cultuelles et des lieux de culte. Pour inciter les mosquées qui sont gérées à plus de 90% par une association de loi 1901 à se soumettre au régime des associations cultuelles découlant de la loi de séparation de 1905, on crée la possibilité « pour plus d’autonomie financière », que ces associations puissent « détenir et exploiter des immeubles de rapport acquis par legs ou don. ». Autrement dit, la possibilité leur est donnée de faire fructifier des biens immobiliers pour leur activité. On se demande à ce rythme ce qu’il va rester de compréhensible du sens de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, et du fait de maintenir les cultes hors d’une influence sur la société civile qui ici se renforce, et jusqu’où ?

Des événements qui font moins de bruit, mais participent silencieusement à une sorte de jurisprudence défavorable à la laïcité, doivent aussi alerter. Début juin 2018, la CAF de Dordogne informe le maire de Bergerac d’alors de la suspension de l’agrément et des financements de deux maisons de quartier, pour avoir ouvert leurs portes aux habitants jusqu’à 1h du matin en période de ramadan, constituant une atteinte à la laïcité selon l’institution. Pour le maire qui crie au scandale, cette ouverture prolongée est « une simple mesure d’ordre public… ». Pour régler l’affaire, on mobilise le préfet. Une réunion de médiation a lieu le lendemain en préfecture en présence du maire et du directeur de la CAF de Dordogne. Un accord est trouvé : les centres sociaux pourront rester ouverts plus longtemps pendant le ramadan mais également lors d’autres événements. Qu’est-ce que cela change à l‘infraction vis-à-vis de la laïcité ? Rien. On voit bien comment ce genre d’accommodement dit raisonnable, mais qui n’en a que le nom, fait en réalité le lit de pratiques communautaires religieuses d’enfermement, qui n’ont en aucune façon à être prises en charge par des établissements publics https://www.lacoalition.fr/La-CAF-suspend-les-subventions-de-deux-maisons-de-quartier-de-Bergerac-pour. Et quelle assignation pour les populations, puisqu’ainsi, le centre de quartier participe indirectement à l’encouragement à cette pratique qui ressort uniquement normalement d’un choix personnel, privé.

Comment expliquer cet « en même temps » ? Est-ce du clientélisme et de l’électoralisme ? Un manque de colonne vertébrale idéologique ? Autre chose ?

L’ambiguïté règne, et ce n’est pas que le fait du gouvernement actuel, mais de longue date. Dans la continuité avec ses prédécesseurs, Emmanuel Macron élude toute clarification sérieuse au sujet de l’islam communautaire, et des problèmes que plus personne ne peut contester qui en viennent, en continuant de se conformer à la volonté « d’accompagner » l’organisation du culte musulman, sinon de l’organiser tout court. La création du Conseil Français du Culte Musulman remplacé il y a peu, par de nouvelles assises de l’islam de France dites Forum de l’islam de France [Forif], pour lesquelles on ne voit pas bien la différence, puisque l’on y retrouve les mêmes, cache mal l’échec d’une politique qui tient d’abord à l’absence d’analyse sérieuse sur le sujet. On sait bien que les revendications communautaires à caractère religieux venant de l’islam se renforcent sans que rien ne semble pouvoir les arrêter. Rappelons que, selon l’Observatoire du fait religieux en entreprise nous sommes passés entre 2013 et 2021, de 2% de cas bloquants pour motifs religieux à 16%, pour conclure que cela commence à s’opposer au bon fonctionnement de l’entreprise. Et que, en 2003, 24% des femmes françaises se déclarant musulmanes disaient porter le voile, elles étaient 31% en septembre 2019 (Ifop)…

Mais de quoi parle-t-on lorsque l’on en vient à organiser via les préfets non plus un dialogue, mais une structure, que l’on entretient. Et surtout, avec un but affiché par l’Etat, créer un « Islam de France », et donc en quelque sorte un islam estampillé « républicain ». Inévitablement, à partir du moment où l’Etat demande aux représentants de ce culte de l’écouter et de co-construire avec lui des réponses à la place à y donner en France, cela implique de renvoyer l’ascenseur, par des concessions. Cela mène inévitablement à une forme de clientélisation politique, qui rappelle bien évidemment les pratiques banalisées qui découlent du multiculturalisme. Donner par cette politique d’institutionnalisation un caractère officiel à l’islam, c’est comme partir de l’idée qu’il préexiste une communauté qui est à représenter, et c’est donc l’encourager en assignant nos concitoyens de confession musulmane d’abord à leur religion, puisqu’on parle d’eux essentiellement à travers leur culte et non avant tout comme citoyen.

Il y a indéniablement derrière cela, une absence d’analyse solide des difficultés d’intégration liées à une conception de l’islam qui se réclame d’une tradition étrangère à la République, très présente chez les pratiquants, qui découle d’une vision relative à des Etats d’origine qui n’ont pas opéré de séparation avec cette religion, et donc avec son influence historique. L’islam prise au pied de la lettre, est une religion qui ne sépare ni le religieux du politique, ni de la vie sociale qu’elle entend juridiquement régenter. Tant que l‘on n’affrontera pas publiquement ce problème du côté de l’Etat, en posant les enjeux relatifs aux rapports entre l’islam et la République de façon authentique, vraie, rien ne s’opposera à la croissance de ce phénomène, à la montée des tensions comme dans l’école publique, et plus grave encore, à ce que les islamistes puissent jouer sur le communautarisme qui est sous-jacent à cette évolution, pour en faire le terreau de la radicalisation. Et pas plus ainsi à ce que les élus de tous bords ne jouent pas d’un clientélisme politico-religieux qui lui aussi gagne en surface d’élections en élections, puisque condamnés dans ce contexte à s’adapter à cette nouvelle donne, avec le risque bien sûr du multiculturalisme au bout.

Emmanuel Macron et sa majorité sont-ils, dans le fond, plus multiculturalistes qu’ils ne le laissent entendre ?

On pourrait se référer à la politique de discrimination positive engagée par Mme Elisabeth Moreno, Ministre déléguée en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Egalité des chances, dans le précédent gouvernement, par la création d’un « Index de la diversité en entreprise », impliquant une logique de quotas, pour s’en convaincre . Mais par-delà, le risque du multiculturalisme tient plus encore à une volonté politique qui échappe, que ces ambivalences sinon ces ambiguïtés mettent au jour. Dans l’ordre des bons signes qui redonnent de la cohérence, il faudrait sans doute que l’État impose à un islam « en France » d’être conforme à la République et ses principes, d’inspiration laïque, plutôt que l’aventureux projet d’un « islam de France » qui conduit à bien des concessions poussant des vents contraires. Ce changement de cap, de nombreux concitoyens l’espèrent, dont bien d’entre eux de confession musulmane contre toute assignation identitaire forcée, ce qui se fait cruellement attendre, pendant que « le regard du quartier » de plus en plus voilé en impose. C’est une France exposée au retour du religieux dans le politique qui se profile, qui ne peut que signifier vider notre République de son sens. Il faudrait un sursaut républicain, mais rien n’indique qu’il puisse venir de l’actuelle majorité."



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